Rechercher

Eric Nebot : « Retour vers le futur sans les chaussures autolaçantes Nike, ne serait pas Retour vers le futur.

Eric Nebot arrives at the 36th Annual American Cinematheque Award Ceremony Honoring Ryan Reynolds at The Beverly Hilton on November 17, 2022 in Beverly Hills, California. (Photo by Steve Granitz/FilmMagic)

Le fondateur de l’agence Hill Valley s’est imposé comme un des acteurs majeurs du placement de produit. En plein festival de Cannes, Eric Nebot, nous livre ses secrets de fabrication. Entretien avec celui qui est, entre autres, derrière les tenues Chanel de Margot Robbie dans Barbie.

 

Forbes :  Quelle est la recette pour un bon placement de produit ?

Eric Nebot : À partir du moment où le produit s’intègre de manière authentique et organique à l’histoire, le placement de produit est réussi. Retour vers le futur sans les chaussures autolaçantes Nike et sans le hoverboard Mattel ne serait pas Retour vers le futur.

Quel est celui dont vous êtes le plus fier ?

E.R. : C’est difficile de choisir. Miraval dans Emily in Paris peut-être. Chopard dans James Bond. Ou Hennessy dans Once Upon a time in Hollywood. Cette expérience sur le plateau en présence de Quentin Tarantino était extraordinaire. L’équipe nous avait confisqué nos téléphones portables, du coup, il s’agit de souvenirs inscrits à jamais dans ma mémoire. Ce moment où Pacino débarque sur le set, en costume des années 60 avec Di Caprio, casquette à l’envers et t-shirt blanc, une feuille à la main pour lui donner la réplique hors champ. Quelle élégance. Cette équipe technique qui répond à l’unisson à Tarantino à la fin de chaque dernière prise lorsqu’il demande « we are going to do another take and you know why ? » et soudainement les 100 techniciens qui répondent à l’unisson en même temps « because we all love making movies ! ». Jubilatoire. Et quand enfin Pacino nous demande comment prononcer Hennessy X.O. On se pince pour y croire.

Et celui qui a été le moins bien réussi ?

E.R. : Nous essayons systématiquement de contrôler les intégrations. C’est notre métier. Sélectionner et contrôler. Justement afin de ne jamais se retrouver dans une situation où le placement ne serait pas réussi.

Vous avez travaillé avec Spielberg autant qu’avec Kechiche : travaille-t-on de la même façon sur un blockbuster que sur un film d’auteur ? 

E.R. : Spielberg est un auteur. J’ai eu le privilège de travailler avec lui à plusieurs reprises. A chaque rencontre, je me retrouve face à lui comme un gamin devant son idole et je lui pose 10 000 questions. Il m’a confié avoir eu le sentiment de créer un monstre malgré lui. À l’époque de West side story et de son échec en salles, il réalisait que cet échec provenait du système qu’il avait lui-même créé. L’audience ne se déplace que pour voir dorénavant des blockbusters identifiés comme tels. Il s’en voulait d’avoir changé le système. Il a en effet inventé le blockbuster avec Jaws mais il n’avait pas cette intention. Il voulait adapter un livre qu’il avait adoré et le succès est arrivé malgré lui. En tous cas à ce point-là. Je pense que la sincérité est fondamentale pour créer un succès. Mais que ce soit Jaws, Barbie ou La vie d’Adele, les films se fabriquent de la même manière. Une somme de petites mains, d’artisans, qui s’afférent pour aller au bout de la vision d’un réalisateur. Le budget de votre film déterminera le nombre de personnes sur le set, l’ambition des décors construits etc. Mais le processus de fabrication est vraiment le même. Quel que soit le film.

Est ce que ça vous arrive de proposer une marque à un réalisateur avant même d’en avoir parlé à ladite marque ?

E.R. :  Systématiquement. On ne parle d’un projet aux marques que nous représentons que lorsque le réalisateur a validé la possibilité de travailler avec elles.

Vous avez commencé en 2012 : qu’est-ce qui a changé depuis dix ans ? Est-ce que le phénomène #metoo a par exemple influencé votre activité ?

E.R. : Le marché a été littéralement bouleversé suite au Covid et à l’explosion des plateformes. Plus d’un milliard d’abonnés regardent Netflix, Amazon, Disney + et autres HBO Max. Si vous êtes une marque et que vous voulez toucher cette audience vous n’avez pas d’autre choix que d’être intégré au cœur du contenu. Quant au mouvement #metoo, oui, il a bouleversé le marché du cinéma américain également. De manière très positive. La place des femmes dans le cinéma US a enfin changé. Et la place des minorités aussi. C’est une bonne chose. Il fallait en passer par là. Malheureusement en France, j’ai le sentiment que ce n’est pas encore totalement ça. La diversité dans les films français n’est pas encore au rendez-vous.

Le cinéma est-il selon vous le plus puissant des supports marketing ?

E.R. : Le cinéma et les séries oui. Ils sont les seuls à apporter de l’émotion. Votre marque prendra une aspérité inimaginable associée à une histoire et à des personnages auxquels le public pourra s’identifier.

Qu’est-ce qui change dans votre travail avec l’avénement des plateformes de streaming ?

E.R. : Nous travaillons beaucoup plus. Le nombre de contenus s’est démultiplié.

Le monde des marques et du cinéma dialogue-t-il si bien que ça ? Comment faites-vous pour que ces deux mondes, aux objectifs souvent distincts, se parlent et se comprennent ?

E.R. : La frontière entre les marques et le cinéma se réduit de plus en plus. C’est pour cette raison que nous avons monté une division de production au sein d’Hill Valley. Certaines marques que nous représentons souhaitent que nous produisions un contenu émotionnel pour elles. Lorsque nous avons produit « the chef in a truck », le Ritz Paris a été incarné à travers le food truck que conduisait François Perret sur les routes de Californie. Le show a été diffusé sur Netflix et France tv et le Ritz a ouvert le comptoir qui est la déclinaison du truck de la série. C’est ce que j’appelle du « brand content émotionnel » que l’audience de Netflix a dévoré. Nous avons produit plus récemment un long métrage autour de Bernard Magrez et de l’héritage de son empire viticole qui sera diffusé sur Amazon prime à la fin de l’année. Là encore nous sommes bien loin du publi reportage mais bien sur un film documentaire avec un vrai conflit, dans la lignée de la série « Successions ». Les marques peuvent être déclinées en films ou en séries lorsqu’elles ont une histoire, lorsque les personnes qui l’incarnent sont authentiques et portent un conflit en elles, qu’elles assument que l’on traite. Nous vivons un tournant. C’est très excitant.

 

N’est-ce pas un risque des films, comme au hasard, Barbie, deviennent quasiment des pubs à grande échelle et pas simplement des espaces de placements de produits ?

E.R. : Le Ritz, Bernard Magrez, Barbie. Dès lors qu’il y a une sincérité dans le traitement, quelques soient les moyens déployés, dès lors qu’il y a de l’émotion, et de l’authenticité il n’y a pas de risque. Nous avons travaillé sur Barbie et connaissons bien les filmmakers. Leur sincérité est totale et entière. Et c’est pour cette raison que le film a si bien marché. On ne peut pas tromper plus de 200 millions de spectateurs. Margot Robbie et ses associés ne sont pas les premiers a avoir créé une histoire à partir d’un jouet. Transformers, lego et j’en passe étaient passés avant eux. Mais Barbie est la première adaptation de jouets à avoir vu le jour avec une véritable auteure aux commandes. Il s’agit d’un vrai film avec un message sincère et puissant. L’univers des films et des séries a trouvé un nouveau terrain de jeu. Les marques. Et ce n’est que le début.

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC