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Enquête | Comment Trump a bâti un empire du golf grâce à des financements secrets

Trump
Donald Trump au Trump National Golf Club, le 9 août 2023, à Bedminster, New Jersey. Getty Images

Depuis plusieurs années, des soupçons de blanchiment d’argent planent sur l’empire du golf de Donald Trump. Forbes révèle enfin la véritable origine de ses financements.

Un article de Dan Alexander pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Quelques mois après son arrivée à la présidence en 2017, Donald Trump a fait face à des interrogations sur les financements cachés de son empire du golf. L’affaire a éclaté lorsqu’un écrivain spécialisé dans le golf a rapporté qu’Eric, le fils de Trump, aurait affirmé que les fonds venaient de Russie ; une déclaration qu’il a ensuite démentie. Cette histoire a suscité l’intérêt des enquêteurs des finances de Trump, dont le fondateur de la société derrière le dossier Steele, qui a évoqué un possible blanchiment d’argent lors d’un témoignage devant la Commission permanente sur le renseignement de la Chambre des représentants des États-Unis en novembre 2017.

Les médias ont rapidement réagi. Le Washington Post, le New Yorker et le New York Times ont tous cherché à comprendre comment Trump a pu dépenser des centaines de millions dans ses propriétés de golf sans révéler l’origine des fonds. Les investissements dans ses centres de villégiature — notamment deux achetés en 2014 — ont intrigué les sceptiques, qui se demandaient pourquoi Trump risquerait plus de 175 millions de dollars de son propre argent dans des actifs déficitaires. En Écosse, où se trouvent deux complexes de golf Trump, des politiciens ont réclamé un décret sur la richesse inexpliquée afin d’exposer l’argent illicite. Pendant ce temps, Forbes a mené sa propre enquête et, après avoir passé au peigne fin de nombreux documents, estime avoir percé le mystère.

 

Comment Trump a construit un empire du golf en limitant les risques financiers

Une grande partie des fonds — environ 250 millions de dollars — provenait des membres des clubs privés de Trump, qui versaient des dépôts initiaux récupérables après 30 ans en cas de désintérêt. Contrairement aux prêts bancaires, ces dépôts n’imposaient ni intérêts ni garanties hypothécaires, gardant ainsi les dettes discrètes et peu coûteuses. D’autres financements, plus de 450 millions de dollars, provenaient de gains exceptionnels, incluant des remboursements de prêts, des crédits d’impôts et des refinancements immobiliers, qui ont discrètement injecté des liquidités considérables.

N’ayant pas réussi à obtenir de financement supplémentaire de son prêteur habituel, la Deutsche Bank, Trump a dû puiser dans ses propres réserves, mobilisant presque toute sa trésorerie pour rénover ses complexes de golf en Europe et financer sa campagne présidentielle. Bien que le financement via les membres semble aujourd’hui ingénieux, ses paris en espèces apparaissent risqués, vidant ses liquidités au point qu’après l’élection de 2016, il aurait dû contracter un prêt d’urgence, resté confidentiel. Malgré tout, Trump a survécu financièrement, et aujourd’hui, son portefeuille de golfs et de clubs est la branche la plus dynamique de son empire immobilier, avec une valeur estimée à 1 milliard de dollars.

Le candidat républicain, dont les représentants n’ont pas répondu aux questions pour cet article, a ouvert son premier club en 1995, en transformant Mar-a-Lago, autrefois un hôtel particulier, en un club social animé. Les archives montrent qu’il a commencé à collecter des dépôts de membres dès le lancement, accumulant ainsi environ 40 millions de dollars, soit plus de quatre fois les 8 millions qu’il avait investis initialement dans cette propriété de plus de 7 hectares à Palm Beach, en Floride. Par la suite, Trump a créé un parcours de golf à 15 minutes de là, transformant un terrain en Trump International Golf Club, inauguré en 1999, où il a récolté plus de 40 millions de dollars en dépôts.

Plus proche de son domicile new-yorkais, Trump a acquis des propriétés dans le comté de Westchester et à Bedminster, dans le New Jersey, y ouvrant des parcours de golf et collectant plus de 80 millions de dollars de dépôts de membres. Il a aussi étendu son empire en Californie du Sud, en achetant un parcours endommagé par un glissement de terrain pour 27 millions de dollars et en finançant l’achat par un prêt de 20 millions de dollars. Il a finalement généré plus de 75 millions de dollars de liquidités supplémentaires en vendant des terrains résidentiels autour de ce parcours, selon l’analyse des registres de propriété. Cette dernière transaction marque la fin de la première vague d’acquisitions, laissant Trump avec cinq propriétés et plus de 150 millions de dollars d’obligations liées aux adhésions.

 

Le mystère des capitaux derrière les clubs de golf de Trump

Finalement, l’industrie du golf a commencé à douter du modèle de financement par les membres. Bien que les investisseurs apprécient les dépôts comme source de fonds, ils sont moins enclins à assumer les obligations associées, rendant difficile la revente de clubs avec de lourds passifs inscrits dans leurs bilans. Alors que certains se retiraient, Trump a intensifié ses investissements avec une nouvelle série d’achats. En septembre 2008, à court de liquidités après avoir vendu un manoir en Floride au milliardaire russe Dmitry Rybolovlev pour 95 millions de dollars, il a acquis un club de golf à Colts Neck, dans le New Jersey, pour 28 millions de dollars, prenant également en charge 12 millions de dollars d’obligations liées à l’adhésion. Quelques jours plus tard, la faillite de Lehman Brothers a précipité l’économie dans la récession. Pourtant, Trump a continué ses acquisitions, achetant en 2009 trois nouvelles propriétés pour environ 39 millions de dollars, financés par 11 millions de sa poche, un prêt de 10 millions et l’assomption de 18 millions de dollars d’obligations d’adhésion.

L’un des avantages de ces engagements est leur flexibilité de remboursement : Trump n’avait pas à les honorer immédiatement, un détail que le conseiller spécial Robert Mueller a découvert de manière personnelle. En 1994, soit sept ans avant de devenir directeur du FBI, Mueller avait payé une cotisation initiale au Lowes Island Club, en Virginie. Trump a racheté le club en 2009 et l’a rebaptisé « Trump National Golf Club ». En 2011, Mueller a démissionné et a écrit pour demander un remboursement partiel de ses frais d’inscription. Le contrôleur du club lui a répondu en le plaçant sur une liste d’attente. Comme Mueller l’a noté en bas de page de son rapport sur l’ingérence russe, il n’avait toujours aucune nouvelle du club huit ans plus tard.

Trump a fini par franchir les limites. En 2012, il a acheté un parcours à Jupiter, en Floride, en reprenant 41 millions de dollars de dettes des membres. Peu après, il a envoyé une lettre aux membres, indiquant que ceux qui demandaient un remboursement n’étaient plus les bienvenus au club, selon des documents judiciaires. Quelques mois plus tard, Trump a tout de même commencé à leur réclamer des cotisations. En réponse, certains membres se sont regroupés et ont poursuivi le club en justice, obligeant Trump à rembourser les dépôts avec intérêts.

Toujours en 2012, Trump a acquis un parcours près de Charlotte, en Caroline du Nord, pour 3 millions de dollars en espèces et a repris 4,1 millions de dollars de dettes des membres, une somme modeste pour lui. C’est pourtant sur ce parcours, en 2013, que l’écrivain de golf James Dodson a posé la question qui allait soulever bien des mystères : « Avec quoi payez-vous ces parcours ? » Trump a répondu de manière évasive, mentionnant simplement qu’il avait accès à 100 millions de dollars, ce qui a poussé Dodson à en savoir plus. En réalité, Trump disposait de bien plus de 100 millions — des dépôts des membres, de la vente de sa maison à Rybolovlev et d’autres transactions.

M. Dodson a insisté. « Lorsque je suis monté dans la voiturette avec Eric, je lui ai demandé : « Eric, qui finance tout ça ? Je sais qu’aucune banque, à cause de la Grande Récession, ne s’intéresse aux terrains de golf. Depuis quatre ou cinq ans, personne ne finance leur construction. » Et voilà ce qu’il m’a répondu : « Nous ne dépendons pas des banques américaines. Nous obtenons tous les fonds dont nous avons besoin en Russie. » Surpris, j’ai cherché à creuser et il m’a répondu : « Nous avons des gens qui aiment vraiment le golf et qui s’investissent pleinement dans nos projets. » »

Eric, qui a qualifié l’histoire de Dodson d’inventée, aurait pu faire référence soit à la vente de la maison familiale à Rybolovlev, soit au voyage de son père à Moscou à la même époque, qui avait généré 6 millions de dollars en droits de licence via un autre milliardaire russe, Aras Agalarov. Cependant, lorsque Dodson a partagé à nouveau son récit en 2017, au cœur de l’effervescence médiatique autour de la Russie, ces explications plausibles n’ont pas empêché la propagation de théories plus spéculatives.

 

Entre revenus non déclarés et prêts bancaires

Alors que les enquêteurs, législateurs et journalistes se demandaient d’où provenaient les fonds de Trump, les réponses se trouvaient dans les documents bancaires. Ceux-ci, publiés dans le cadre du procès pour fraude intenté par l’État de New York contre Trump, révèlent qu’en 2010, il a reçu 85 millions de dollars d’une source inconnue. En 2010 et 2011, il a également perçu 92 millions de dollars de revenus « non opérationnels », comprenant des remboursements d’impôts, des règlements d’assurance, des gains de vente et d’autres éléments ponctuels. Ces montants semblent inclure un remboursement d’impôt de 73 millions de dollars que Trump a commencé à réclamer en 2010, déclenchant une bataille de plusieurs années avec l’Internal Revenue Service (IRS), selon le New York Times.

Cet afflux de liquidités a permis à Trump de renforcer ses investissements dans le golf, en y engageant cette fois une plus grande part de ses fonds personnels. En juin 2012, il a acheté le Trump National Doral, un complexe de golf à Miami, pour 150 millions de dollars, en contractant un prêt de 125 millions auprès de la Deutsche Bank. D’autres sources de financement continuaient d’affluer : en août 2012, Trump a refinancé la Trump Tower, remplaçant un prêt de 27 millions de dollars par un de 100 millions, encaissant environ 70 millions de dollars. Quelques mois plus tard, il a aussi récupéré près de 100 millions grâce au refinancement de sa participation dans le 1290 Avenue of the Americas, où il détient 30 %. À la mi-2013, Trump disposait ainsi de 339 millions de dollars en liquidités, prêt à les investir.

En 2014, Trump a acquis la célèbre propriété écossaise de Turnberry, qui a accueilli quatre tournois britanniques, pour 65 millions de dollars, ainsi qu’une propriété à Doonbeg, en Irlande, pour 20 millions de dollars. Bien qu’il semble avoir eu les liquidités pour ces achats, ses relevés bancaires montrent un afflux de 50 millions de dollars de liquidités issus d’un « refinancement de la dette » à peu près à la même période. Forbes n’a pas pu déterminer la source de ce refinancement, et une déclaration financière de 2015 ne donne aucune précision sur les prêts qui auraient pu générer ces 50 millions.

Quoi qu’il en soit, Trump a investi plus de 30 millions de dollars dans Doonbeg et Turnberry en 2015, puis plus de 40 millions en 2016. Pendant ce temps, sa petite propriété dans l’Aberdeenshire, en Écosse, continuait d’afficher des pertes, atteignant environ 10 millions de dollars en 2016. Ces dépenses ne s’arrêtent pas là : Trump a injecté plus de 40 millions de dollars dans son hôtel à Washington, D.C., et a dépensé 66 millions pour sa campagne présidentielle. Durant cette période, Ivanka Trump a contacté la Deutsche Bank, qui finançait déjà l’hôtel de Washington, pour obtenir un prêt supplémentaire de 50 millions, avec l’intention de financer la construction de Turnberry. La Deutsche Bank, insistant sur le fait qu’aucun fonds ne serait destiné à la campagne, n’a finalement pas accordé le prêt.

 

Un empire désormais solide malgré des financements contestés

Puis les fonds ont commencé à se faire rares, entraînant apparemment des problèmes de liquidité. Le prêt de la Deutsche Bank pour l’hôtel de Washington obligeait Trump à maintenir au moins 50 millions de dollars en réserve pendant les travaux de rénovation. Quelques jours après l’élection de 2016, le président élu a accepté de régler un litige pour fraude concernant l’Université Trump pour 25 millions de dollars. Le directeur financier de Trump, Allen Weisselberg, a alors commencé à faire des calculs, selon des documents judiciaires et des témoignages. Il s’est finalement tourné vers un prêteur de confiance, Ladder Capital, où travaillait son fils Jack. Dans son témoignage, Jack a déclaré que son entreprise avait consenti un prêt de 25 millions de dollars à court terme pour aider Trump à maintenir sa trésorerie. Allen Weisselberg, qui s’est parjuré lors du procès pour fraude de Trump, n’a pas pu affirmer clairement que ce prêt avait été contracté pour des raisons de trésorerie, se contentant de déclarer : « C’est possible ».

Les dépenses démesurées ont cessé lorsque Trump est entré à la Maison Blanche en janvier 2017, mais les spéculations sur le financement de son empire du golf ont explosé. Les médias du pays entier ont tenté de percer le mystère, sans jamais y parvenir, passant à côté des dettes envers les membres et de l’ampleur des gains. Pendant ce temps, Eric Trump et son frère Don Jr, désormais responsables des affaires de leur père, ont freiné les pertes de la Trump Organization en limitant les dépenses de développement et en vendant certains actifs.

Les affaires ont repris, surtout en 2021, avec la fin de la pandémie. Dans le contexte de la campagne présidentielle actuelle de Trump, ses sources de financement continuent d’être scrutées, un membre du parlement écossais ayant encore récemment réclamé une enquête ce mois-ci.

Ironiquement, les méthodes de financement de Trump lui ont finalement laissé peu de risques dans son activité de golf. Aujourd’hui, alors que de plus en plus de membres peuvent enfin récupérer leurs dépôts, près de trente ans après l’ouverture de Mar-a-Lago, ses clubs génèrent largement de quoi couvrir les dettes. La dernière déclaration financière de Trump montre qu’il ne reste qu’un prêt bancaire pour le Trump National Doral, avec des intérêts d’environ 6 millions de dollars par an — une charge modeste pour une propriété qui génère environ 25 millions de dollars de revenu d’exploitation annuel. Ayant lui-même financé ses complexes de golf en Europe, Trump peut être serein pour ces actifs, d’autant que Doonbeg et Turnberry commencent à afficher des bénéfices d’exploitation.

En fin de compte, les clubs et golfs de Trump représentent aujourd’hui le secteur de son portefeuille le moins susceptible de nécessiter une injection de capitaux, notamment de la part d’un investisseur étranger potentiellement malveillant.


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