Il y a un peu plus de dix ans, à la suite de la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne lançait l’Energiewende. Son but était de sortir de la production électrique nucléaire en investissant massivement dans l’éolien, le solaire et la biomasse. Pourtant, malgré la mise en œuvre de plus de 100 GW pour un coût frôlant les mille milliards d’euros, cette stratégie du « tout renouvelable » débouche aujourd’hui sur des résultats catastrophiques : l’Allemand paye son kWh deux fois plus cher que le Français, les émissions allemandes de CO2 n’ont été que faiblement réduites et le charbon est toujours massivement utilisé dans la production électrique. Cerise sur le gâteau, l’Allemagne a durant cette période fortement accru sa dépendance au gaz russe.
Le miracle énergétique allemand est un mirage
Les résultats catastrophiques de l’Energiewende se lisent en filigrane de l’historique des émissions allemandes de CO2. Alors que durant la période 1990 à 2010, elles avaient baissé de près de 25% grâce à la mise en œuvre du nucléaire, la baisse a été stoppée nette dès le début de l’Energiewende. Et pour cause ! Durant la période 2010-2015, les prix très élevés du gaz obligèrent les Allemands à compenser la réduction du nucléaire en maintenant au plus haut niveau leur production électrique charbonnière. Cependant, à partir de 2015, ils opérèrent un déplacement partiel de la production charbonnière vers le gaz dont les cours s’étaient effondrés début 2015.
La faible baisse des émissions enregistrée au cours des dernières années n’est en rien dû aux renouvelables mais à ce déplacement partiel du charbon vers le gaz naturel. En revanche, cette stratégie a accru de façon inconsidérée la dépendance allemande au gaz russe (55% de dépendance comparé à 17% pour la France). Elle s’est notamment matérialisée par la construction de deux gazoducs géants (Nord Stream 1 et 2) reliant directement la Russie à l’Allemagne mais aussi par le refus historique des Verts allemands de construire des terminaux méthaniers sur la mer Baltique. L’Energiewende n’a donc pas consisté à remplacer le nucléaire par des renouvelables mais à appuyer la montée en puissance des renouvelables, d’abord par du charbon puis par du gaz naturel.
La crise énergétique actuelle enterre définitivement l’Energiewende
La crise énergétique apparue sournoisement à l’été 2021 puis frappant de plein fouet l’Europe depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien est en train d’achever l’Energiewende allemand. L’embargo sur le gaz russe associé aux prix stratosphériques du gaz naturel oblige les Allemands à modifier une nouvelle fois leur stratégie. Fermant fin 2022 leur dernière centrale nucléaire, leur seul choix à court terme est de se tourner à nouveau massivement vers le charbon. A moyen terme (horizon de trois à cinq ans), ils construiront à la hâte un terminal de Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Comble de l’hypocrisie, ils ont aussi décidé en collaboration avec les Pays-Bas de relancer un projet controversé de forage gazier en Frise orientale. Bloqué depuis près de dix ans, le permis a été débloqué… en deux jours à peine. Quand on est pressé par les faits, on est bien obligé de s’asseoir pour un temps sur ses croyances idéologiques mais aussi de faire preuve d’une hypocrisie sans limites.
Taxonomie verte et cynisme allemand
Mi-janvier, la France et L’Allemagne avaient trouvé un accord pour inscrire à la fois le gaz et le nucléaire comme énergies dites « de transition » dans la taxonomie verte européenne. Depuis, le conflit russo-ukrainien est passé par là et a mis à bas la stratégie gazière allemande. En conservant tel quel l’accord de taxonomie verte, le pays de Goethe devant à nouveau se tourner massivement vers le charbon aurait donné à la France, dont le nucléaire couvre plus de 70% de la génération électrique, un avantage compétitif certain. Aussi Berlin vient-t-il de déposer un véto réaffirmant avec cynisme par la voix de son ministre de l’Économie et du Climat que « l’énergie nucléaire n’est pas durable et ne doit donc pas faire partie de la taxonomie ».
Pour que le projet porté depuis mi-janvier par la Commission soit abandonné, 7 États sur 27 devaient s’y opposer. Or, en dehors de l’Allemagne, seuls le Luxembourg, l’Autriche et le Danemark sont aujourd’hui solidaires du véto. Aussi l’Allemagne, plus cynique que jamais, a décidé de faire du lobbying auprès du Parlement européen. Ce mardi 14 juin les commissions économie et environnement se sont majoritairement prononcées contre l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte. Un vote instrumentalisé par les députés européens français de la Nupes, dont Yannick Jadot, considérant qu’il s’agit « d’une victoire pour le climat », ou encore Manon Aubry, chef de file des députés européens Insoumis, twittant « le combat des délégations Nupes a payé ». Rien n’est pour autant gagné ni pour les uns ni pour les autres. L’avenir de la taxonomie se jouera lors d’un vote crucial début juillet en session plénière. Un refus de l’Europe pourra sonner le glas de l’unité de façade européenne exposée depuis le début du conflit russo-ukrainien.
Tribune rédigée par Phillipe Charlez
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