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Emmanuel Macron ou la diabole comme principe communicationnel

Le Président fraîchement réélu Emmanuel Macron a manifesté depuis le début de son premier mandat une volonté de s’inscrire en dehors des sentiers balisés du bipartisme de la vie politique en France, source de son désormais célèbre « et en même temps ».

 

 

Le candidat Macron avait promis de faire sortir la politique de son carriérisme et des usages sédimentés des figures historiques de la politique politicienne, puisant ses cadres dans la société civile et s’instituant à la fois comme Jupiter et comme maître des horloges.      
Fort de ces prémices placées sous le signe de la double contrainte (« double bind« ) théorisée par l’Ecole de Palo Alto, il n’a cessé de multiplier les déclarations contradictoires tentant d’associer des réalités antagoniques et entre autres des ethos politiques, par définition totalement incompatibles, de gauche et de droite.

Dans cet article, nous nous intéresserons dans un premier temps aux éthos politiques radicalement antagoniques affichés, affirmés et assumés par Emmanuel Macron dans une vision syncrétique de la politique. Puis, dans un second temps, nous considérerons certaines injonctions contradictoires présentes dans la communication politique du Président Macron, qu’il s’agisse de la laïcité et du cadre républicain français, ou encore de la place de la France dans l’Europe. Récemment, à l’occasion de la célébration de la présidence française de l’Union Européenne, une vive polémique a éclaté à la suite de l’installation du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe en lieu et place du drapeau français qui a été perçu par certains cadres de l’opposition comme une atteinte à la souveraineté nationale. Ne peut-on pas – y voir une injonction communicationnelle contradictoire d’Emmanuel Macron aspirant à faire coexister l’intérêt de la France et l’engagement européen tel un « Janus bifrons » des temps modernes ?

Les éthos de Janus

     Lors du lancement officiel de son parti le 6 avril 2016 celui qui n’était que le candidat Macron vantait son positionnement ni de droite ni de gauche. Quelques semaines plus tard, lors de son premier meeting de campagne le 12 juillet 2016 à la Mutualité à Paris, le candidat Macron (et pour quelques mois encore Ministre de l’Économie) avait déclaré au public réuni pour l’occasion  : « je suis de gauche, c’est mon histoire, c’est ma famille [3] ». Le 30 août 2016, quelques jours après avoir démissionné de son poste de Ministre de l’Économie, il déclare dans le Figaro : « Pour ma part, je suis de gauche. D’une gauche qui se confronte au réel, qui veut réformer le pays, qui croit dans la liberté précisément parce qu’elle construit la véritable égalité de tous », a-t-il dit. « C’est ma culture, mon origine, mon histoire familiale » [4]».

Le 14 mars 2017, dans le cadre de l’émission Quotidien, il déclare au micro de Yann Barthès : « Je viens de la gauche et je suis aujourd’hui en train de construire une offre politique qui dépasse ce clivage. Je me retrouve beaucoup plus dans le progressiste et je rassemble des gens de gauche, du centre et de la droite qui veulent travailler ensemble. Je suis progressiste et je suis de droite et de gauche [5]». C’est une sorte d’éthos politique bi-frons qu’Emmanuel Macron esquisse, l’éthos d’un véritable Janus de la politique française qui revendique une double et  fort problématique filiation tout à la fois gaullienne et mitterrandienne. 

 Dans le Marianne du 21 avril 2021, le médiologue Paul Soriano présente Emmanuel Macron comme l’enfant illégitime de François Mitterrand : « Ceux qui croient encore que Macron a surgi de nulle part – ni de gauche ni de droite – ou bien qu’il a opéré une synthèse inouïe – et de gauche et de droite – devraient se rendre à l’évidence : le macronisme est né trente ans avant de prendre le pouvoir, sous Mitterrand, dès les années 1980 [6] ». En d’autres termes, Emmanuel Macron n’a cessé d’osciller entre des éthos de droite et des éthos de gauche, offrant aux sympathisants, aux militants et aux potentiels électeurs ou ralliés de dernière minute tour à tour une figure attractive ou un repoussoir idéologique et partisan.    Si comme l’écrivent Theodoros Koutroubas et Marc Lits, tout acteur politique doit « présenter un éthos qui permet à l’électeur de s’identifier à lui (par les éthos d’identification) ou de retrouver en lui une figure forte et rassurante (par les éthos de crédibilité[7] », alors assurément Emmanuel Macron aura oscillé durant son premier mandat présidentiel entre des éthos antagoniques, fidèle à sa stratégie du « ni de gauche ni de droite ». Il aura ainsi adopté durant la période du Grand Débat National essentiellement trois formes d’éthos (jouant à un niveau de visibilité importante) qui appartiennent à la catégorie des éthos d’identification.      

Le premier éthos mobilisé par Emmanuel Macron est l’éthos de compétence (en économie notamment [8]) qui « exige de quelqu’un qu’il possède à la fois savoir et savoir-faire : il doit avoir une connaissance approfondie du domaine particulier dans lequel il exerce son activité, mais il doit également prouver qu’il a les moyens, le pouvoir et l’expérience nécessaires pour réaliser concrètement ses objectifs en obtenant des résultats positifs. Les hommes politiques doivent donc montrer qu’ils connaissent tous les rouages de la vie politique et qu’ils savent agir de façon efficace [9] ». Par la mobilisation de cet éthos, le Chef de l’Etat a signifié à ses concitoyens qu’il était à la hauteur de leurs attentes, assumant un profil explicitement orienté en direction de la droite.

Le second éthos auquel il a eu recours pour réaffirmer avec force et autorité la position de l’Etat sur la crise des Gilets Jaunes et la condamnation sans appel des violences commises en marge du mouvement est l’éthos de chef (le surnom Jupiter / ou Zeus Pater n’y est d’ailleurs pas étranger) traduit la capacité d’un politicien à entraîner à sa suite la population, à montrer la voie à suivre et à fixer un cap à tenir. L’éthos de chef (clairement connoté à droite) est donc la manifestation d’une puissance symbolique devant laquelle la population se soumet. Durant la crise des Gilets Jaunes Emmanuel Macron  a multiplié les messages rappelant qu’il était le Chef de l’Etat qui apporterait des réponses concrètes aux souffrances des Français.

Enfin,  le troisième et dernier éthos mobilisé est l’éthos de solidarité qui se caractérise par la volonté pour un homme politique a fortiori le Chef de l’État de montrer qu’il partage et défend les opinions de la population qu’il gouverne et à laquelle il appartient. Cet éthos politique est, quant à lui, symboliquement circonscrit au cadastre partisan de la gauche républicaine en France.  

De la diabole avant toute chose…. 

      A travers les trois éthos successifs mobilisés par Emmanuel Macron, on peut aisément déceler un sens aigu de la disruption, un refus systématique de tout enfermement ou de toute assignation / réduction à un univers politique bien précis, ou même à une injonction impérieuse d’appliquer et de respecter scrupuleusement le cadre légal et institutionnel de la laïcité qui sous-tend notre République Française. Dans tous ces cas de figure, la communication politique du Président Macron tient parfois moins du symbole que de la diabole : « Le préfixe dia- signifie « en séparant, en divisant ». Diaballein a donc pour sens « disperser », puis « séparer, désunir » et enfin « calomnier ». De celui-ci dérive le nom diabolos, qui désigne d’abord un homme médisant, un calomniateur et, à partir de la Bible des Septante, le diable. Le latin l’emprunta sous la forme diabolus, et, dès les débuts de l’époque chrétienne, nomma ainsi le démon. De ce nom a été tiré l’adjectif diabolicus rendu célèbre par cette phrase de saint Augustin devenue proverbiale, mais souvent incomplètement citée : Humanum est errare, diabolicum est per animositatem in errore manere (« Il est humain de se tromper, mais persister dans l’erreur par arrogance, c’est diabolique ») [10] ». La diabole est caractéristique de la communication politique macronienne, oscillant sans cesse entre gauche et droite, laïcité et chrétienté.

 

Celui qui croyait au ciel…..[11]

 

Dans le parcours de candidat et de Président d’Emmanuel Macron un dénominateur commun apparaît clairement : le recours constant, tantôt visible, tantôt invisible, à la symbolique et à l’imaginaire cultuel (et culturel) judéo-chrétien dans sa communication politique républicaine et dans ses interventions publiques, en dépit du principe structurant et fondamental de laïcité pour notre République Française.               

         Nous donnerons trois exemples de la façon spécifique dont la communication politique d’Emmanuel Macron au prénom éminemment religieux (« Dieu avec nous ») est informée par une culture et une symbolique catholiques, parfois sans doute à son corps défendant. Eric Dacheux soulignait dès 1999 « le caractère indissociable de l’information et de la communication et le recours permanent de la démocratie à la spectacularisation et au symbolisme qui permettent à une communauté politique de se rendre visible à elle-même [12] ».

Le vendredi 22 septembre 2017, élu depuis quelques mois à peine, Emmanuel Macron a prononcé un discours inspiré et respectueux dans les locaux de la Mairie de Paris, lors d’un colloque célébrant les 500 ans de la Réforme, devant un parterre de dignitaires et de représentants du culte protestant. Il déclaré au début de son discours que « le sang du protestantisme coule dans les veines de la France [13] » et a réaffirmé le rôle des protestants qui constitue « la vigie de la République […] son avant-garde dans les débats philosophiques, moraux et politiques [14] ».

 Dans ce discours, le protestantisme apparaît au Président Macron comme pleinement compatible avec la laïcité pensée comme un cadre ouvert et tolérant pour les religions coexistant dans la République Française.  Emmanuel Macron se réclame d’une vision de la laïcité comme espace dialogique telle qu’a pu la théoriser Edgar Morin il y a quelques années : « la laïcité […] est la constitution et la défense d’un espace public de pluralisme, discussions d’idées, tolérance. […] Elle est à la fois la porteuse et le fruit de la […] relation antagoniste, complémentaire, active, des idées et vérités opposées [15] ».        

Un an après, Emmanuel Macron a prononcé le 9 avril 2018 au Collège des Bernardins un discours devant la Conférences des Évêques de France ce qui a constitué a bien des égards une première en France tant il est rare qu’un Chef d’État laïc vienne dans un lieu de culte consacré tenir un discours aux accents politiques, mais aussi plus largement sociétaux et symboliques. En exorde de son discours, dans le cadre si beau et si particulier du Collège des Bernardins, le Président Macron s’adresse au responsable de la Conférence des Évêques en ces termes : « Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer [16] ».

Chez un Président de la République ayant connu dans sa jeunesse une crise mystique et ne cachant pas son fort attachement à la religion catholique, ce terme de réparation du lien entre l’Église et l’État est tout sauf innocent : il constitue la face cachée et invisible du rapport singulier qu’entretient le Chef de l’État avec cette religion catholique dont on sait qu’elle constitue le terreau si fécond de la société et de la République Françaises. Ce lien entre Église et État, censé être rompu avec les lois de 1905, est en réalité beaucoup moins distendu qu’on ne le croit. La culture catholique infuse profondément la vision du monde, la conception de la société et l’art de vivre à la française. Qu’on le veuille ou non les racines de la France sont souterrainement chrétiennes, elles constituent le sang invisible qui coule dans les veines de notre République indivisible, sociale, démocratique et laïque. C’est ce qu’a prouvé le tweet posté par le Président Emmanuel Macron le 15 avril 2019 au soir lorsqu’il a appris en direct l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris :

Face à l’incendie de Notre-Dame de Paris, le cadre républicain laïc du Président est débordé, excédé et transcendé par la résurgence d’une sacralité chrétienne à l’époque contemporaine.      

La communication politique du Président Macron est empreinte, à son insu et de manière infra-ordinaire (c’est-à-dire « ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel [17]» d’une culture catholique qui l’informe et la sous-tend, entre symbole et diabole.

 


Références bibliographiques

 

Marc AUGÉ Anthropologie des mondes contemporains, Paris, Flammarion : collection Champ Essais, 2010.

Gilles BOETSCH et Christoph WULF (dirs.), Revue Hermès n°43 : « Rituels », Paris, CNRS Editions, 2005.

Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique, Paris, Vuibert, 2005.

Eric DACHEUX, « Action et communication politique : une distinction impossible ? » Communication et organisation n°15, 1999, p 1 à 11.

Oswald DUCROT et Jean-Marie SCHAEFFER, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Editions du Seuil : collection Points Essais n° 397,  1995.   

Alexandre EYRIES, La communication politique ou le mentir-vrai ?, Paris, L’Harmattan : collection Des Hauts et Débats, 2013.

Alexandre EYRIES, La communication poli-tweet. La politique gagnée par les TIC, Paris, L’Harmattan : collection Des Hauts et Débats, 2015.

Alexandre EYRIES, Lectures critiques en communication : culture, technologies, sociétés, Paris, L’Harmattan : collection Des Hauts et Débats, 2016.          

Alexandre EYRIES, Culture, cultures : le lien social au révélateur, Caen, Editions EMS : collection Entreprise et Sacré , 2018.  

Denis FLEUDORGE, (dir.), Extensions du domaine des rituels. Sur quelques rites dans le travail social, Montpellier, Revue Le Sociographe. Recherches en travail social n°25, janvier 2008.

Thierry, GOGUEL D’ALLONDANS, Rite de passage, rite d’initiation. Lecture d’Arnold Van Gennep, Presses Universitaires de Laval, Québec.

Arthur Maurice HOCART,  Au commencement était le rite. De l’origine des sociétés humaines, Paris, La Découverte / MAUSS, 2005.

Christine JUNGEN, « Le temps d’un président. Etude ethnographique d’une cérémonie républicaine » dans Ateliers d’anthropologie n°28, 2004, http://journals.openedition.org/ateliers/8453?lang=en#tocto1n1

Denis JEFFREY, Eloge des rituels, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2003.

Pascal LARDELLIER, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2003.

Pascal LARDELLIER, Sur les traces du rite. L’institution rituelle de la société, Londres, Editions ISTE : Série Traces

Jean MAISONNEUVE, Les rituels, Paris, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.

Edgar MORIN,  « Le trou noir de la laïcité », Le débat n°58, 1990, p 35 à 38.

Georges PEREC, L’infra-ordinaire, Paris, Seuil : collection La Librairie du XXIe siècle, 1989.

Claude RIVIERE, Les liturgies politiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.

Claude RIVIÈRE et Albert PIETTE (dirs.), Nouvelles idoles, nouveaux cultes. Dérives de la sacralité, Paris, L’Harmattan : collection « Mutations et complexité », 1990.

Claude RIVIERE, Les Rites profanes, Paris, Presses Universitaires de France, 1995.

Martine SEGALEN, Rites et rituels contemporains, Paris, Nathan, 1998.

Lucien SFEZ,  La symbolique politique, Paris, PUF, 1988.

Victor TURNER, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, Paris, Presses Universitaires de France, 1969.

Arnold  VAN GENNEP Les rites de passage (1909), Paris, Editions Picard, 1981.

 

 

[1] Docteur en Sciences de Gestion, HDR en Sciences de l’Information et de la Communication, Doyen Académique de l’International Management School Geneva, [email protected]  

[2] Docteur en Linguistique, HDR en Sciences de l’Information et de la Communication, Vice-Doyen de l’International Management School Geneva, [email protected]

Compte Twitter: @alex_eyries

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[3] https://www.bfmtv.com/politique/macron-en-meeting-je-suis-de-gauche-c-est-mon-histoire-ma-famille_AN-201607120076.html    

[4] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/08/30/97001-20160830FILWWW00327-macron-pour-ma-part-je-suis-de-gauche.php

[5] https://www.rtl.fr/actu/politique/videos-macron-affirme-desormais-etre-de-droite-et-de-gauche-7787662882  

[6] https://www.marianne.net/agora/les-mediologues/ni-de-droite-ni-de-gauche-macron-est-juste-lenfant-illegitime-de-mitterrand

[7] Theodoros Koutroubas et Marc Lits,  Communication politique et lobbying, Bruxelles, Editions De Boeck : collection « INFO & COM », 2011, p 53.

[8] « Avec Macron, de surcroît, la gauche jadis « fâchée avec l’économie » a gagné un brevet de compétence (générale) », https://www.rtl.fr/actu/politique/videos-macron-affirme-desormais-etre-de-droite-et-de-gauche-7787662882     

[9] Patrick Charaudeau,  Le discours politique, 2005, Paris, Vuibert,  p 96.

[10] https://www.academie-francaise.fr/le-discobole-la-diabole-et-le-symbole-la-parabole

[11] Louis Aragon, « La Rose et le Réséda », La Diane Français, Paris, Éditions Seghers, 1944.

[12] Eric Dacheux, « Action et communication politique : une distinction impossible ? » Communication et organisation n°15, 1999,  p 4.

[13] https://point-theo.com/macron-devant-protestants-vigies-de-republique/

[14] https://point-theo.com/macron-devant-protestants-vigies-de-republique/

[15] Edgar Morin, « Le trou noir de la laïcité », Le débat n°58, 1990, p 36.

[16] https://eglise.catholique.fr/actualites/cef-recoit-emmanuel-macron/454837-discours-president-de-republique-devant-eveques-de-france/        

[17] Georges Pérec, L’infra-ordinaire, Paris, Seuil : collection La Librairie du XXIe siècle, 1989, p 11.

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