Manifestez-vous ! Elon Musk prendra à présent votre commande pour une nouvelle et belle toiture à énergie solaire faite de cellules photovoltaïques incrustées dans des dalles de verre. Les plus belles ressemblent à des morceaux d’ardoises (French slate), ce que Musk a sur le toit de sa maison. Si vous êtes une personne riche et écologique ayant toujours souhaité avoir des panneaux solaires mais que votre association de propriétaires n’aimait pas ces choses inesthétiques et imposantes, alors vous êtes chanceux !
Exactement, pour juste 58 189 euros pour un toit moyen de 278 mètres carré, vous pouvez générer de l’énergie solaire avec l’assurance de ce que Musk appelle la « garantie infinie ». Pour l’ensemble complet, vous aurez besoin du système de batterie Powerwall qui peut contenir l’énergie dans votre Tesla. Si vous êtes un client fidèle, Musk pourrait même vous offrir un voyage dans sa navette spatiale (ou au moins l’Hyperloop).
Ou pas. Pour l’instant, cette toiture n’est autre qu’un nouveau jouet onéreux de Musk pour les gens riches et écologiques. Comme l’a montré David Levine, collaborateur de Forbes et PDG du service d’énergie solaire de l’entreprise Geostellar, il y a à peu près autant de marché pour le toit de Tesla qu’il y avait pour l’Apple Watch doré à 15 218 euros. Le problème étant, selon lui, que le nouveau toit à énergie solaire de Tesla n’est pas particulièrement pertinent comme toiture ou comme équipement solaire.
Comparez la toiture Tesla à 58 189 euros à ce qu’il vous coûterait de refaire votre toit normal avec des tuiles de shingle valables 30 ans (environ 6 266 euros), plus un panneau solaire standard (22 000), vous finiriez avec un système moins onéreux et d’une capacité plus élevée pour moitié prix. Il faut néanmoins garder à l’esprit que le « coût » Tesla est le prix de détail suggéré par le fabricant, sans indication du montant perdu par Tesla pour chacun.
Il semble qu’il y ait quelque chose à tenter pour eux. SolarCity indiquait une perte nette de 734 millions d’euros en 2016 sur 653 millions d’euros en recettes. Les pertes ont augmenté plus rapidement que les ventes.
La division rapportait 150 Mw d’installations solaires dans le premier quart de 2017, soit 30% de moins que l’année précédente. En Californie, leur marché principal, l’énergie solaire, s’est développé si vite que les gestionnaires de réseau traversent un moment difficile pour répondre à la demande. La Solar Energy Industries Association prévoit une augmentation de 3% cette année des installations solaires résidentielles américaines, à comparer avec celle de 60% constatée en 2015 et celle de 16% l’année dernière.
La production solaire mondiale a doublé depuis 2014 atteignant 56 000 gigawattheures par an. Le développement va se poursuivre mais à l’écart des 3 grands installateurs que sont Solar City, Vivint et Sunrun. Ils correspondaient à 60% des installations solaires résidentielles encore quelques années auparavant. Le chiffre est tombé à 40% depuis que des installateurs solaires plus entreprenants et de plus petite taille sont entrés sur le marché.
Il est peu certain que les tuiles de verre de Tesla seront la solution miracle pour passer avec succès son tournant solaire, mais Musk semble déterminé à les produire quand même avec une production de masse prévue à la Gigafactory 2 de Tesla à Buffalo (Etat de New York), usine à 805 millions d’euros construite avec 671 millions d’euros d’aides de l’Empire State. Ce sera la plus grande industrie de fabrication de panneaux solaires en Occident. Dow Chemical lançait son ardoise solaire flexible Powerhouse en 2010 et m’avait affirmé à l’époque qu’ils espéraient que cela deviendrait un marché à 1 milliard de dollars de bénéfices, mais ça n’a pas pris. Dow a enregistré une perte de 447 millions d’euros en 2014, quand il a abandonné la construction d’une usine de plaque de silicone dans le Tennessee et a cessé la production de Powerhouse l’année dernière. Il faut se rappeler que Solyndra a dépensé 447 millions d’euros dans son design révolutionnaire pour un meilleur panneau solaire avant de faire faillite en 2012. De nombreuses victimes ont suivi. SunEdison et Abengoa en ont fait les frais l’année dernière. Sungevity et OneRoof ont fait faillite. Les fabricants de panneaux SolarWorld et Suniva ont tous les deux rendu le dumping chinois sur les panneaux photovoltaïques coupable de leur disparition.
« C’est un ensemble de faits malheureux mais la technologie avance », affirme John Berger, PDG de Sunnova, une entreprise du secteur solaire basée à Houston avec 50 000 clients. Il avance que l’inlassable offensive de l’innovation technologique est la raison pour laquelle Sunnova n’est jamais entré sur le marché de la fabrication de composants ou même d’exploiter une équipe d’installateurs. Selon lui, Sunnova a survécu et prospère en baissant les prix et en ciblant les clients avec lesquels les marges seront supérieures. Berger s’étonne face aux gains rapides dans l’efficacité de la technologie photovoltaïque, à des prix toujours plus bas. L’équipement représente désormais seulement 4 centimes d’euros par watt du coût moyen total du système de 3,133 euros par watt (après installation).
L’arrivée de systèmes plus efficients et moins chers signifie des contrats moins nombreux pour les installateurs et moins d’opportunités de réaliser des bénéfices. Dans une activité rentable, quand ces derniers sont réduits, il est possible de pousser la force de vente de manière à en augmenter le volume. Quand les profits se dégradent (ou n’ont jamais été au rendez-vous), vendre plus signifie simplement que la faillite va arriver plus vite. L’une des premières choses faites par Tesla lors de l’acquisition de SolarCity était d’en finir avec sa pratique de la vente au porte-à-porte. Cette dernière s’était avérée fructueuse pour conclure des contrats mais les stratégies de ventes sous haute pression ont suscité des critiques. Les législateurs fédéraux enquêtent sur la manière dont Tesla et Sunrun communiquent des données sur leurs taux grandissant d’annulations de contrat.
Entre-temps, il faut garder un œil sur les milliards de dollars de titres adossés à des actifs issus des succès de SolarCity ces dernières années. SolarCity et ses concurrents se sont rapidement développés de 2010 à 2015 en raison de leur capacité à attirer des milliards de dollars en « tax equity » des banques et fonds spéculatifs. La voie royale pour débuter sur le marché de l’énergie solaire à l’époque était, pour un propriétaire, de louer les panneaux à succès de ScolarCity, et de conclure en sus une convention d’achat d’électricité (Power Purchase Agreement, dit PPA). La tax equity a contribué financièrement à l’installation de milliers de systèmes solaires sur les toits de résidences et a été remboursée au moins à 30% sous forme de crédits d’impôt fédéraux et aides d’Etat (et accélérant peut-être même l’amortissement !). L’entreprise d’énergie solaire louait les panneaux à des propriétaires qui acceptait de payer pour chaque Kwh d’énergie solaire produite sur leur toit (incluant une indexation d’environ 3% par an). Tout cela représente un flux financier non-négligeable, inscrit par la suite sur des titres adossés à des actifs.
SolarCity a généré et liquidé près d’1 milliard de ces ABS solaires depuis 2013. Les agences de notation ont généralement donné à ces instruments une note BBB, rapportant actuellement 3,7%. L’ABS solaire moyen a une durée de vie d’environ 5 ans ; une hausse de 100 points de base dans les taux tendrait à déprécier la valeur de ce titre de 5%, ou plus. En 2008, les rendements BBB ont atteint 10%. Dans un excellent article sur l’innovation de la titrisation dans l’industrie solaire, les professeurs du MIT Francis Sullivan et Charles Warren font état de ce que « peu, si ce n’est aucune autre forme de titrisation, ont les mêmes risques de technologie fondamentale que l’ABS solaire. » Les baux ou prêts pour les automobiles ne sont pas aussi longs. Il y a de plus un réel marché secondaire pour la reprise relativement facile de voitures en cas de paiements non-exécutés.
Il est difficile de recycler des panneaux solaires. Après avoir été retirés d’un toit, ils n’ont qu’une faible valeur résiduelle. Il y a aussi l’inquiétude du « transfert de risque » : lorsqu’un propriétaire doté d’un PPA solaire déménage, il doit transférer le contrat au nouveau propriétaire qui, s’il souhaite une telle installation, préférera sûrement un système nouveau, moins cher et plus efficace. Pourquoi payer 10 ans de plus pour un système obsolète quand de nouveaux systèmes coûtent deux fois moins cher et produisent deux fois plus ? En interrompant le paiement du PPA, l’ABS n’a plus vraiment de valeur. « Les PPA sont les prêt subprime de l’industrie solaire », affirme Levine qui crée des entreprises dans l’industrie solaire depuis 20 ans. « Et ils vont faillir ». Il n’est pas le premier à soulever cette inquiétude. Jim Chanos, vendeur à découvert, a qualifié Tesla/SolarCity de « insolvabilité à retardement ». Musk n’est pas du même avis.
Comme Berger de Sunnova. « Les produits ont merveilleusement bien fonctionné », dit-il. Durant les deux derniers mois, Sunnova a inscrit 626 millions d’euros de nouveaux titres adossés à des actifs. Il voit le marché se consolider graduellement par les grandes entreprises d’énergie qui réaliseront que l’électricité photovoltaïque distribuée (plus les batteries) est une adéquation naturelle avec les centrales à gaz qu’elles exploitent déjà. Avec le temps, l’énergie solaire se débarrassera de ses subventions pour devenir le marché plat mais omniprésent qu’elle a toujours été destinée à être. Il y pourrait y avoir un marché de niche pour les toits solaires en tuiles de verre sur mesure, mais probablement pas, affirme-t-il. « Ce n’est pas Facebook. C’est une activité de base. Le producteur à bas coût gagne », selon Berger.
Ce producteur à bas prix n’est sûrement pas SolarCity qui a réduit de 20% sa main d’oeuvre au cours de l’année dernière. Mardi, le PDG et co-fondateur Lyndon Rive a révélé qu’il démissionnerait prochainement, quittant la division « en meilleure santé que jamais auparavant ». Il n’a jamais atteint l’objectif du million de clients promis pour 2018 (il démissionne avec 325 000). Peut-être que Rive essaiera à nouveau ; il a confié à Reuters qu’il prévoit de créer une nouvelle entreprise l’année prochaine.
Le Rédacteur en chef, Chris Helman, est basé à Houston, Texas. Vous pouvez le contacter sur Twitter @chrishelman.
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