Elon Musk a une fois de plus utilisé Twitter pour diffuser une opinion controversée. Cette fois, le PDG milliardaire de SpaceX et de Tesla a contrarié les urbanistes en rejetant un phénomène constaté pour la première fois en 1866.
La 29 décembre, Elon Musk a tweeté : « Le trafic induit est l’une des théories les plus irrationnelles que j’aie jamais entendues ».
Il répondait ainsi aux critiques qui avaient fait remarquer que son tweet précédent – « Construisez des tunnels très sûrs et résistants aux tremblements de terre sous les villes, pour résoudre le problème de la circulation » – ne faisait de décrire un tunnel de métro.
Elon Musk a ajouté plus tard : « Si le système de transport dépasse les besoins des transports publics, il y aura très peu de trafic ».
Il existe très peu de preuves empiriques de cette affirmation, et de nombreuses preuves du contraire, en particulier en Californie du Sud, où vit Elon Musk, et où la pose de grandes quantités d’asphalte sur le sol a toujours stimulé l’utilisation de véhicules à moteur. (Les voitures électriques se font embourber dans la circulation tout aussi facilement que les voitures non électriques).
Les urbanistes ont une expression concise pour décrire le trafic induit :
« Construire plus de routes pour prévenir les embouteillages, c’est comme un homme gros qui desserre sa ceinture pour prévenir l’obésité ».
Cette citation a été paraphrasée d’un article de Lewis Mumford, paru en 1955. Dans The New Yorker, le grand spécialiste de l’urbanisme avait suggéré que « [les experts pensent que les embouteillages] peuvent être résolus en augmentant la capacité des voies de circulation existantes… Tout comme le remède du tailleur contre l’obésité, qui consiste à élargir les coutures du pantalon et à desserrer la ceinture, cela ne fait rien pour freiner l’appétit gourmand qui [a] provoqué l’accumulation de graisse ».
Lewis Mumford décrivait le concept encore inconnu du trafic induit dans les transports. Cette théorie a été décrite dans le détail en 1969, par J.J. Leeming, ingénieur britannique spécialiste de la circulation routière et arpenteur-géomètre de comté. Il a observé que, plus on construit de routes, plus il y a de trafic pour « remplir » ces routes.
L’idée de description de J.J. Leeming a été conçue peu après que le mathématicien allemand Dietrich Braess eut publié le paradoxe de Braess, qui démontrait que l’on ne peut pas se fier aux automobilistes « égoïstes » pour considérer les temps de parcours optimaux pour tous, et non seulement pour eux-mêmes, ce qui entraîne des retards pour tous.
(Ces idées ont été développées dans le Lewis-Mogridge Position de 1990 et le paradoxe de Downs-Thomson de 1992).
L’idée selon laquelle la construction de plus de routes entraîne davantage d’embouteillages a été utilisée par les militants anti-routes à partir des années 1970 pour combattre la futilité de la construction de routes et, au Royaume-Uni, elle est brièvement devenue une position orthodoxe à la suite des conseils donnés au gouvernement par le Comité consultatif permanent sur l’évaluation des routes principales dans son étude de 1994. Le programme de construction routière du Premier Ministre Margaret Thatcher – « le plus important depuis les Romains » – a été interrompu. (On s’attend à ce que le Premier Ministre Boris Johnson fasse renaître ce programme).
Si l’étude de J.J. Leeming est devenue une théorie acceptée par la plupart des experts du monde des transports, le trafic induit était connu bien avant 1969. En 1866, l’arpenteur et ingénieur William J. Haywood, l’un des constructeurs du viaduc de Holborn à Londres, déclarait que la nouvelle voie de circulation attirerait plus de voyageurs : « la facilité de locomotion stimule le trafic en soi », écrivait-il.
Sa solution ? Construire plus de routes. C’est également la conclusion de l’étude sur le développement des routes de Londres, de Sir Charles Bressey, publiée en 1937. Dans son rapport, Sir Charles Bressey écrivait :
« À titre d’exemple typique, on peut citer la nouvelle route Great West Road qui est parallèle à l’ancienne route de Brentford High Street. Selon les extraits du recensement de la circulation du ministère… la nouvelle route, dès son ouverture, transportait quatre fois et demie plus de véhicules que l’ancienne route. Cependant, aucune diminution n’a été constatée dans le flux de circulation le long de l’ancienne route et depuis ce jour, le nombre de véhicules sur les deux itinéraires n’a cessé d’augmenter… Ces chiffres illustrent la manière remarquable dont les nouvelles routes génèrent un nouveau trafic ».
Elon Musk poursuit donc une longue tradition d’experts passionnés d’automobile qui ignorent allègrement les preuves de leurs yeux.
L’autoroute Katy Freeway de Houston compte 26 voies à son point le plus large. Elle a été agrandie entre 2008 et 2011, pour un coût de 2,8 milliards de dollars afin de réduire l’encombrement routier important. L’expansion n’a pas atténué les embouteillages, elle les a aggravés. Entre 2011 et 2014, la durée des trajets a augmenté de 30% pour les trajets du matin et de 55% pour les trajets du soir.
La vision qu’a Elon Musk du monde – celle de routes vides sans fin – est un rêve illusoire, mais sa « vision » est une vision dominante, avec des politiciens locaux et nationaux du monde entier qui répondent au problème de l’encombrement routier grâce à la solution magique qui n’a jamais fonctionné : plus de routes, parfois dans des tunnels.
En 1932, l’urbaniste britannique Thomas Sharp a décrit très précisément la façon dont certains automobilistes ne seraient pas satisfaits tant que chaque centimètre de terrain ne serait pas recouvert d’asphalte.
« Un automobiliste est capable de se plaindre de l’état « surpeuplé » de la route s’il constate qu’il n’a pas continuellement un tronçon d’un kilomètre à lui tout seul », a écrit Thomas Sharp.
« Il déclarera qu’il n’y a aucun plaisir à conduire dans de telles conditions. Il cherchera sur sa carte un itinéraire alternatif par des voies tranquilles où il pourra rouler à toute allure le long de la route tout seul. Et, quand les autres verront que cet itinéraire alternatif et toutes les autres alternatives sont épuisées, il continuera d’exiger un nouveau système routier afin que sa conduite automobile redevienne un plaisir ».
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