À la veille d’un vote des actionnaires sur le rétablissement de sa prime en actions de 50 milliards de dollars, Elon Musk est confronté à une résistance farouche de la part de soutiens auparavant fiables qui remettent désormais en question son engagement envers Tesla.
Article d’Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Flora Lucas
Durant des années, Elon Musk n’a pas eu de plus grand fan que Ross Gerber, l’investisseur de Tesla. Lorsqu’il s’est moqué de la Securities and Exchange Commission (SEC) sur Twitter il y a quelques années, Ross Gerber lui a demandé de se défouler en privé, car « tu ne fais qu’aider l’ennemi ». Lorsque le conseil d’administration de Tesla a demandé aux actionnaires en 2018 d’attribuer à Elon Musk des actions d’une valeur potentielle de plusieurs dizaines de milliards de dollars, Ross Gerber l’a soutenu, car « les vrais actionnaires sont tous pour Elon ».
Cependant, après une année au cours de laquelle Elon Musk a fait des commentaires de plus en plus controversés et s’est fixé sur de nouvelles entreprises, comme X et sa start-up d’intelligence artificielle xAI, Ross Gerber en a eu assez. Le PDG du gestionnaire de patrimoine Gerber Kawasaki, basé à Los Angeles, est soudain devenu un critique virulent et franc de l’entrepreneur qu’il admire depuis longtemps. À l’approche d’un vote des actionnaires visant à rétablir une rémunération d’environ 50 milliards de dollars pour le PDG de Tesla, il votera contre : c’est la première fois qu’il s’oppose aussi publiquement à l’une des recommandations du conseil d’administration de Tesla.
« Lorsque j’ai voté pour le package en 2018, c’était sur la base des informations dont je disposais à l’époque et du fait qu’Elon travaillait à temps plein chez Tesla », a déclaré Ross Gerber à Forbes. « Désormais, ma réticence à voter en sa faveur est liée à de nouveaux facteurs, le plus important étant qu’il ne travaille plus chez Tesla. Il travaille pour xAI et il travaille pour X. Tesla n’est pas sa priorité. »
Les soutiens d’Elon Musk quittent le navire les uns après les autres
Ross Gerber n’est pas le seul soutien d’Elon Musk à lui tourner le dos après des années de dévotion. Leo Koguan, basé à Singapour, qui a décrit Elon Musk comme « la seule personne que je respecte vraiment sur Terre » et qui prétend être le plus gros actionnaire de Tesla, a également voté contre la proposition du conseil d’administration de rétablir les attributions d’actions dont Elon Musk a été privé par un juge du Delaware en janvier. « J’ai découvert que Tesla avait un actionnaire, un conseil d’administration unipersonnel et un PDG tyrannique », a déclaré Leo Koguan à Forbes. « La priorité est qu’il travaille et qu’il fasse son travail en tant que PDG de Tesla. »
« J’ai découvert que Tesla avait un actionnaire, un conseil d’administration unipersonnel et un PDG tyrannique. »
Leo Koguan
Elon Musk s’est défendu à plusieurs reprises des accusations concernant son manque d’implication dans Tesla, alors même que le nombre d’autres entreprises qu’il dirige s’est accru pour inclure SpaceX, Boring Co, Neuralink, X et xAi. « Je travaille pratiquement tous les jours de la semaine. Il est rare que je prenne un dimanche après-midi de congé », a-t-il déclaré lors d’une récente conférence téléphonique sur les résultats. « Je vais faire en sorte que Tesla soit très prospère. L’entreprise est prospère et le sera encore plus à l’avenir. »
Des investisseurs institutionnels plus stables ont également été effrayés par les frasques d’Elon Musk et ont voté contre le plan de rémunération, notamment le fonds souverain norvégien de 1 700 milliards de dollars, Amalgamated Bank, le California Public Employees’ Retirement System (CalPERS), le New York City Comptroller et Nordea Asset Management, ainsi que les sociétés de conseil Institutional Shareholder Services et Glass Lewis.
Outre la rémunération du milliardaire, l’assemblée annuelle des actionnaires du 13 juin soumettra également au vote les projets d’Elon Musk de retransférer Tesla au Texas, après avoir quitté le Delaware, où il avait transféré l’entreprise pour bénéficier de l’approche plus souple de l’État en matière de réglementation des entreprises, ainsi que les nouveaux mandats au conseil d’administration de ses proches : son frère Kimbal et James Murdoch.
Elon Musk et les analystes boursiers optimistes comme Dan Ives de Wedbush et Adam Jonas de Morgan Stanley s’attendent à ce que le vote sur la rémunération soit favorable au milliardaire, d’après les enquêtes menées auprès des actionnaires. « Jusqu’à présent, environ 90 % des actionnaires individuels qui ont voté se sont prononcés en faveur de la résolution », a tweeté Elon Musk le 8 juin. « Le sentiment du public est sans équivoque. »
Ross Gerber n’en est pas si sûr. Elon Musk, qui détient 13 % de l’entreprise, « ne peut pas voter pour ses actions, donc si vous l’enlevez, le choix revient aux actionnaires institutionnels, à qui l’on conseille de voter contre », a-t-il déclaré. « Pour l’instant, l’issue du vote est incertaine, ça se jouera à pile ou face. »
« Le fait qu’Elon ne se préoccupe plus de Tesla provoque une réelle déception. »
Ross Gerber
L’issue du vote n’est pas certaine et laisse entrevoir une sorte de bilan pour Elon Musk, qui a perdu l’estime du public, passant d’un entrepreneur en série largement loué et d’un visionnaire des technologies propres à un milliardaire pugnace et erratique qui ne semble pas se soucier d’offenser les clients actuels et potentiels de Tesla, les régulateurs et même les présidents, passant apparemment plus de temps à poster des messages sur X à ses 187 millions d’abonnés qu’à élaborer des stratégies avec des ingénieurs sur de nouveaux modèles et de nouvelles fonctionnalités. Résultat : des tweets incendiaires, antisémites, racistes et anti-trans, et des ratés retentissants comme l’encombrant Cybertruck de Tesla. Rien de tout cela n’aide la marque de l’entreprise à l’heure où la concurrence sur le marché des véhicules électriques devient de plus en plus féroce.
« Je pense que tous les propriétaires et actionnaires de Tesla sont vraiment tristes et déçus qu’Elon ne se préoccupe plus de Tesla », a déclaré Ross Gerber.
L’action Tesla a chuté de 1,8 % pour atteindre 170,66 dollars l’action mardi 11 juin et a perdu près de 30 % cette année.
Un avenir incertain
Année après année, les votes sur les propositions des actionnaires lors des assemblées annuelles de Tesla ont été des affaires sans suite : les initiatives recommandées par le conseil d’administration ont été approuvées. Celles auxquelles il s’est opposé, telles qu’une meilleure divulgation sur le travail des enfants, la discrimination et l’impact environnemental de ses opérations et de son approvisionnement à l’échelle mondiale, ont échoué. Cependant, le vote sur les rémunérations intervient à un moment où l’avenir de l’entreprise leader dans le secteur des véhicules électriques semble moins certain qu’il y a un an, et où les inquiétudes concernant l’orientation et le jugement commercial d’Elon Musk se font de plus en plus vives.
Les activités de Tesla en Chine, qui ont permis d’assurer une rentabilité constante à partir de 2020, s’essoufflent et l’entreprise a publié des résultats médiocres pour le premier trimestre en avril, avec un bénéfice net en baisse de 55 % et une chute des ventes qui a dépassé les prévisions des experts. Peu après, Elon Musk a choqué les marchés en annonçant qu’il avait inexplicablement licencié la plupart des membres de l’équipe Supercharger de Tesla, un point positif en termes de chiffre d’affaires puisque de plus en plus de constructeurs automobiles paient l’entreprise pour accéder à son vaste réseau de recharge de véhicules électriques. Par la suite, de nombreux membres de l’équipe ont été réembauchés, selon les médias, mais l’entreprise a également dû faire face à un exode de ses principaux dirigeants : le premier vice-président Drew Baglino, le responsable des politiques publiques et du développement commercial Rohan Patel et Rebecca Tinucci, qui dirigeait l’équipe Supercharger.
Elon Musk a également cessé de parler de certains des objectifs qu’il s’était fixés depuis longtemps. Lors de la conférence téléphonique sur les résultats de Tesla en avril, il n’a pas mentionné son objectif de vendre 20 millions de véhicules électriques dans le monde d’ici à la fin de la décennie, et n’a pas fourni de détails sur les modèles électriques à moindre coût que le marché attend depuis qu’il les a promis pour la première fois en 2006. Il s’agit d’une question cruciale, car ces modèles sont nécessaires pour faire face à la concurrence de plus en plus rude de rivaux tels que le Chinois BYD, qui vend déjà des véhicules électriques beaucoup moins chers que la berline Model 3 et le crossover Model Y de Tesla.
Au lieu de cela, Elon Musk s’est attaché à promouvoir Tesla en tant qu’entreprise d’intelligence artificielle, évoquant des projets spectaculaires de robotaxis et de robots humanoïdes. Cependant, ni l’un ni l’autre ne sont susceptibles de générer des revenus significatifs avant des années, à supposer que l’entreprise parvienne à les transformer en réalités commerciales. L’engouement d’Elon Musk pour l’IA, avec xAI qui vient de lever 6 milliards de dollars, marque également une autre volte-face par rapport aux avertissements catastrophiques qu’il avait lancés il y a une dizaine d’années à propos de l’essor de l’IA.
Après l’achat de Twitter par Elon Musk, sa participation dans Tesla a considérablement diminué, car il a vendu des milliards de dollars d’actions pour financer l’achat. Au début de l’année, il a commencé à affirmer qu’il méritait une plus grande participation dans Tesla parce qu’il s’inquiétait d’une prise de contrôle par des intérêts « douteux ». « Je ne suis pas à l’aise avec l’idée de faire de Tesla un leader de l’IA et de la robotique sans avoir 25 % des droits de vote », a-t-il déclaré sur X.
Ces intérêts douteux semblent inclure certains de ses anciens partisans inconditionnels qui considèrent désormais ces déclarations comme la preuve qu’Elon Musk ne donne plus la priorité à Tesla et qu’il a des « conflits d’intérêts », a déclaré Leo Koguan à Forbes. Par exemple, CNBC a récemment rapporté qu’Elon Musk avait demandé à Nvidia de détourner une
Le plan de rémunération d’Elon Musk au cœur des débats
« Il a extorqué publiquement 25 % de Tesla », a déclaré Leo Koguan. Les actionnaires qui approuvent ce plan de rémunération en actions « donneraient plus d’actions à sa poche déjà insondable ».
« Il a extorqué publiquement 25 % de Tesla. »
Leo Koguan
La présidente de la société, Robyn Denholm, s’efforce de rallier le soutien des investisseurs au plan de rémunération d’Elon Musk, en arguant que Tesla atteindra divers objectifs financiers et de capitalisation boursière fixés en 2018 et que l’augmentation de sa participation aidera Elon Musk à rester motivé pour donner la priorité à la société. « La ratification du plan de rémunération est vraiment une question d’équité : d’équité envers notre PDG », a-t-elle déclaré à CNBC la semaine dernière.
Son argument a convaincu les investisseurs, notamment le milliardaire Ron Baron, qui s’est prononcé en faveur du plan de rémunération la semaine dernière. « Sans son acharnement et son intransigeance, il n’y aurait pas de Tesla », a-t-il déclaré dans une lettre ouverte.
Il existe certainement des preuves que le dynamisme d’Elon Musk est le seul responsable du succès de l’entreprise. Cependant, son comportement de plus en plus controversé semble également lui nuire. L’image de marque de l’entreprise de véhicules électriques a chuté de manière spectaculaire dans un récent sondage Axios Harris 100 sur les entreprises américaines les plus visibles. Tesla est tombée à la 63e place dans l’enquête, alors que l’entreprise occupait la huitième place en 2021. Ross Gerber pense que les choses ne peuvent qu’empirer.
« Les performances de l’entreprise ont été si médiocres depuis qu’il a acheté Twitter », a-t-il déclaré. « Il semble que tout le monde autour d’Elon nie le fait que cela a affecté les ventes de Tesla et que son système de croyances antisémites et racistes est préjudiciable à la marque Tesla. »
« C’est comme si tout le monde vivait dans l’illusion que tout va s’arranger parce que l’homme providentiel va venir et inventer des robots qui sauveront Tesla. »
À lire également : Elon Musk utilise les ressources de Tesla pour développer l’IA
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits