Niveau du PIB, nombre de personnes en situation d’emploi, résultats des entreprises… La crise du coronavirus a eu l’effet d’un ouragan sur notre univers habituel de chiffres. Par Matthieu Malige, Directeur Exécutif Finances et Gestion de Carrefour.
D’une certaine façon, tous les repères sont tombés : des statistiques qui seraient passées pour catastrophiques il y a de cela encore quelques mois nous paraissent parfois surmontables, des mouvements dont nous ne soupçonnions même pas l’ampleur se produisent d’un jour à l’autre, des impossibilités économiques théoriques comme les prix négatifs émaillent la une des journaux…
Précipités dans un univers où rien ne nous est familier, force nous est d’admettre que les chiffres ont perdu de façon temporaire une grande partie du statut de guide précieux qu’ils jouent habituellement pour nous. Mesurer la réalité d’une situation à partir de statistiques n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui, même si nous aurions peut-être plus que jamais besoin de nous appuyer sur elles pour nous orienter. Dans les quelques semaines qui s’annoncent, où seront dévoilés les résultats du second trimestre pour les grandes entreprises comme pour les comptabilités nationales, tout ce que nous pourrons voir et entendre fera figure d’aberration.
Comment s’orienter dans ces circonstances ? Faut-il jeter toute notre sagesse traditionnelle par la fenêtre, accepter pendant un temps de naviguer dans un environnement économique qui n’aura ni nord ni sud, ni haut ni bas ?
La période qui s’ouvre est d’abord porteuse d’une leçon claire et précieuse pour nous tous, celle de l’humilité devant les chiffres, parce qu’ils auront toujours quelque chose à nous indiquer, mais que nous ne pouvons pas prétendre maîtriser complètement leur signification, leurs implications pour l’avenir, ni même déterminer exactement et sans hésitation possible ce que serait une “bonne” ou une “mauvaise” nouvelle en termes de données économiques. Mais j’y vois aussi trois autres enseignements importants.
D’abord, nous ne pourrons que nous rappeler que les données économiques ont un rôle indispensable de garde-fou qui, même s’il sera rendu plus difficile à déchiffrer pendant quelque temps, sera plus indispensable que jamais. Nous aurons à comprendre les limites que nous impose notre environnement, les manoeuvres qui sont ou ne sont pas réalisables, dans un moment où précisément tout semblera virtualisé et où le sens du “réel” sera parfois difficile à garder. Ce sera à nous de ne pas baisser la garde, de rester conscients que nous ne pouvons pas nous appuyer purement et simplement sur ce qu’une donnée chiffrée nous indique, mais avons à nouveau un rôle actif et curieux à jouer pour la comparer, la mettre en perspective, la tourner et retourner en plusieurs sens pour essayer de comprendre ce qu’elle a malgré tout à nous dire quant à ce qui nous attend et aux chemins que nous pouvons envisager.
Ensuite, notre attention devra s’élargir, nous devrons devenir plus imaginatifs dans le genre et la variété des indicateurs que nous prendrons en compte, et nous serons nécessairement amenés à considérer des données que nous avions l’habitude d’ignorer ou d’accorder des poids différents aux chiffres qui nous guident à l’accoutumée. De cette attention élargie ressortiront très certainement des conclusions qui nous accompagneront bien après que la crise sera passée ; nous découvrirons de nouvelles façons de mesurer ce qui importe réellement, d’évaluer la direction et le potentiel de tout un ensemble de décisions critiques. Nous aurons à nous rendre particulièrement attentifs à des signaux d’alerte surgis de masses statistiques qui restent en temps normal dans l’angle mort de notre champ de vision économique et financier.
Enfin, l’expérience présente sera indéniablement une occasion de nous rappeler que les chiffres avec lesquels nous jonglons en permanence sont bien des accompagnateurs de la décision, et en aucun cas des critères d’orientation à eux seuls. Ils ne prennent leur sens que dans le cadre d’une perspective globale, qu’elle soit la stratégie d’une entreprise ou même les aspirations d’un collectif pour l’avenir. C’est toujours reliés à un terrain, à une expérience, à une connexion aux autres et au futur que nous imaginons qu’ils gagnent leur fonction d’éclaireurs de la décision. À nous de trouver les moyens de les y relier aussi fermement que possible dans les mois qui viendront.
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