Depuis le 5 décembre 2019, une grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites prônée par le gouvernement d’Edouard Philippe paralyse une partie du pays. Le mouvement de grève n’est pas terminé et aucune trêve de Noël n’a été consenti par les cheminots grévistes, principale tête de pont de ce mouvement social sans précédent.
Résumé de la réforme des retraites proposée par le gouvernement d’Edouard Philippe
Réformer le système des retraites faisait partie intégrante du programme du candidat à la présidence Emmanuel Macron. Une fois le rapport de 132 pages publié en juillet 2019, intitulé « Pour un système universel de retraite » et commandé par l’exécutif à Jean-Paul Delevoye, ex Haut-Commissaire à le réforme des retraites, le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) est venu compléter le premier rapport dès sa publication en novembre 2019.
Afin que le système de retraite par répartition « à la française » soit pérennisé et à l’équilibre à long-terme, il a été préconisé, dans les grandes lignes, par ces rapports : de mettre fin à la vingtaine de régimes spéciaux au sens large afin de les « fondre » dans un seul et même régime, d’acquérir des points tout au long de sa carrière (en activité ou en interruption d’activité pour différentes raisons), points qui auront tous la même valeur pour les futurs retraités, (iii) mettre en place un « âge pivot », en-deçà duquel la valeur d’un point sera décotée et vice versa. L’équilibre financier d’un tel système de retraite ainsi que sa pérennisation sont abordés de manière différente en fonction des deux différents rapports susmentionnés. De plus, à court-terme et selon le dernier rapport du COR, l’équilibre budgétaire du système général ne semble par être hors d’atteinte malgré des prévisions de croissance et d’inflation relativement optimistes. L’équilibre budgétaire des régimes spéciaux liés au secteur public semble, quant à lui, plus difficile à maintenir avec un recours au déficit public quasi systématique chaque année. Le rapport Delevoye, qui mentionne davantage l’équilibre budgétaire à plus long-terme, est moins optimiste que celui du COR et la pérennisation des systèmes de retraite actuels semblent plus difficilement atteignable sans réforme structurelle.
Ces quelques points susmentionnés donneraient au futur système des retraites un caractère universel. Mais universel ne veut pas dire uniforme. En effet, chaque secteur, chaque métier, chaque individu a ses spécificités et la prise en compte de ces spécificités est nécessaire afin de distribuer au mieux les points.
En revanche, le caractère d’universalité de la réforme défendu par l’exécutif pourrait mettre à mal certains régimes spéciaux au nom de plus de justice sociale et d’équité. Une incompréhension et un mécontentement légitime sur le fond s’est donc fait sentir et un mouvement de protestation sans précédent s’est déclaré le 5 décembre dernier. Ce mouvement dure et de nouvelles mobilisations interprofessionnelles sont prévues en janvier. Combien coûte ce mouvement social et à qui peut-il profiter sur le plan économique ?
Qui sont les perdants et les gagnants de ce mouvement social ?
Lorsque nous parlons de ce mouvement de grève qui a débuté le 5 décembre 2019, nous pensons en premier lieu aux cheminots de la SNCF et de la RATP qui poursuivent le mouvement social depuis le premier jour, et ce, sans interruption, ni même une trêve lors des fêtes de fin d’année, pourtant espérée par tous les usagers. Sur le plan économique, ce sont donc ces deux entreprises de service public qui sont les premières touchées. Selon Jean-Pierre Farandou, le nouveau président de la SNCF, au 24 décembre, le manque à gagner s’élevait à 400 millions d’euros pour la SNCF. Pour la RATP, c’est environ 3 millions d’euros par jour de manque à gagner au global (recettes manquantes, futurs remboursements et pénalités). Au 6 décembre 2020, soit après 33 jours de mobilisations, la perte de chiffre d’affaires pour ces deux organisations s’élèverait à environ 800 millions d’euros (calculs de l’auteur), soit 700 millions d’euros pour la SNCF et 100 millions d’euros pour la RATP. Pour rappel, la grève « perlée » de 2018 avait coûté 790 millions d’euros à la SNCF avec 36 jours de grève au total sur environ trois mois. Sur le plan international et plus particulièrement en Allemagne, des mouvements sociaux lancés par le principal syndicat (UFO) du personnel de cabine ont agité le groupe Lufthansa (Lufthansa, Eurowings et Germanwings, ses filiales low-cost) au cours du dernier trimestre 2019 et a cloué au sol plusieurs centaines d’avions, grevant ainsi le chiffre d’affaires du groupe aérien. Peu d’estimation ont été faites sur le coût d’un tel mouvement mais cela représenterait plusieurs dizaines de millions d’euros de manque à gagner.
Mais la SNCF et la RATP sont loin d’être les seuls perdants de cette grève. En effet, les commerçants, l’hôtellerie et la restauration sont les secteurs les plus durement touchés avec des baisses de chiffre d’affaires évaluées entre 30 et 50 % selon les différents syndicats de ces secteurs. Ces estimations sont en glissement annuel (donc par rapport à la même période fin 2018, en plein cœur des manifestations des gilets jaunes qui avaient déjà mis à mal les chiffres d’affaires de ces secteurs) et ces baisses touchent plus particulièrement l’Ile-de-France.
Si l’on se concentre sur les Français, selon Frédéric Donand, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine, le coût serait encore plus élevé et estimé jusqu’à environ 500 millions d’euros par jour de grève. Et pour cause, lorsqu’un travailleur doit trouver un moyen alternatif pour se rendre à son travail, cela lui coûte de l’argent, de l’essence, du stationnement, de la dépréciation de son véhicule, etc. Lorsqu’une école est fermée ou un enseignant absent, les parents doivent trouver dans l’urgence des moyens de garde alternatifs, voire même poser des jours de congés payés. Les travailleurs indépendants et itinérants perdent du temps et donc de l’argent dans les bouchons engendrés par la grève dans les transports en commun. C’est donc bien le budget mensuel des Français qui est directement touché.
De l’autre côté du spectre, certains secteurs profitent de ce mouvement social, c’est notamment le cas des moyens de transports alternatifs comme les bus, les VTC ou même les vélos et trottinettes en libre-service. Selon Jean Rosado, directeur général adjoint de l’entreprise de bus Flixbus, le nombre d’autocars en circulation est passé de 400 à 500 en décembre 2019 et le nombre de réservation sur l’ensemble du réseau a doublé sur cette même période. L’entreprise Blablacar qui met en relation des personnes désirant faire du co-voiturage a vu ses inscriptions multipliées par dix depuis le début du mouvement social. Les VTC, quant à eux, majorent leurs prix car la demande a augmenté drastiquement sur la fin de l’année 2019.
Enfin, si les commerces de proximité, voire certaines grandes surfaces, ont connu d’importantes baisses de fréquentation durant cette période, le e-commerce n’a pas vu d’impact positif significatif. Un report de consommation est donc envisageable à court-terme.
Peut-on réellement chiffrer le coût d’un tel mouvement social à l’échelle macroéconomique ?
Il est donc très difficile de connaitre le coût net, même approximatif, d’un tel mouvement de grève sur l’économie du pays alors que le mouvement est toujours suivi. Si l’on compare cette mobilisation sociale avec d’autres mobilisations du même acabit ayant eu lieu par le passé, nous pouvons tout de même dire que les mouvements sociaux n’ont qu’un impact limité sur le plan macroéconomique. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) évalue, en recoupant un grand nombre de données, que ce mouvement social aurait un impact à la baisse d’environ 0,1 point de PIB en 2019 car ce qui est perdu par la SNCF et la RATP, pour ne citer qu’eux, est aussi consommé par les individus qui cherchent des solutions alternatives aux soucis de mobilité ou encore de garde d’enfants. En revanche, si la grève venait à se durcir en janvier 2020 avec des blocages de raffineries et donc des pénuries de carburant, l’économie de l’Hexagone pourrait connaitre un ralentissement plus prononcé. Au-delà du coût pour l’économie réel française, il convient de prendre en considération le fait que le taux de syndicalisation des actifs français est l’un des plus faibles de l’OCDE à environ 11 % contre plus de 18 % en Allemagne et plus de 50 % dans les pays du Nord de l’Europe. Une meilleure représentativité des salariés français par les syndicats pourrait donc être une des solutions dans le long chemin vers le progrès social.
Article rédigé par Julien Moussavi, BSI Economics
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