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Économie Américaine : Le Revers De La Médaille Du Plein Emploi

« Qu’un pays fabrique des puces d’ordinateur ou des chips, quelle est la différence ? », telle fut la remarque tristement célèbre de Michael Boskin, président du conseil des conseillers économiques du président George H.W. Bush. Aujourd’hui, la qualité des emplois connaît un réel déclin aux États-Unis. Alors que le taux de chômage aux Etats-Unis est à son plus bas niveau depuis 50 ans, pourquoi tant de personnes ont-elles du mal à trouver un emploi avec un salaire décent et un volume horaire stable ?

Un nouvel indicateur économique – le JQI US Private Sector Job Quality Index (l’indice américain de qualité de l’emploi dans le secteur privé) – nous offre une explication : l’offre d’emplois est abondante mais les emplois sont d’une qualité de plus en plus faible. 

« Le problème de cette offre abondante de postes vient de sa qualité qui se détériore depuis 30 ans », explique Dan Alpert, banquier d’investissement et professeur à la Cornell Law School. Le JQI est construit et tenu à jour par Dan Alpert et ses collègues chercheurs à la Cornell University Law School, la Coalition for a Prosperous America, la University of Missouri-Kansas City, et le Global Institute for Sustainable Prosperity. (En ce qui concerne le modèle de construction du JQI, voir la note technique en fin d’article).

Par conséquent, lorsque le Bureau of Labour Statistics annonce les statistiques officielles du chômage et que l’administration trompette qu’il s’agit de la « meilleure économie de l’Histoire », nous savons que ce n’est pas le cas et pour quelle raison.

La qualité des postes proposés aujourd’hui n’est pas aussi mauvaise qu’en 2012, mais elle est bien pire que celle entre les années 90 et 2000. Dans l’ensemble, nous observons un déclin séculaire de la qualité de l’emploi.

Le JQI offre non seulement « une lecture en temps réel de la qualité des emplois aux Etats-Unis », mais il propose également des solutions aux problèmes qui laissent perplexes les économistes depuis des décennies.

  1. Si le taux de chômage est si bas, pourquoi les salaires n’augmentent-ils pas ?

Les économistes se demandent depuis longtemps pourquoi on ne voit pas les salaires augmenter puisque le taux de chômage est faible. En fait, les salaires médians ont, pour la plupart, stagné aux Etats-Unis au cours des dernières décennies. L’importante corrélation entre le chômage et l’inflation était basée sur les données observées pour la première fois par l’économiste néo-zélandais William Phillips en 1958 et la « courbe de Phillips » qui en résulte et fait toujours partie de la doctrine politique courante de la plupart des banques centrales.

Pourtant, au cours de la dernière décennie, on a pu constater un décalage important entre le faible taux de chômage et l’inflation des salaires. Cette situation est attribuable à des taux de participation plus faibles chez les jeunes travailleurs et les plus anciens. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

« Un facteur beaucoup plus important existe, rompant cependant les liens antérieurs entre le chômage et l’inflation, il s’agit de la composition modifiée du fondement de l’emploi lui-même », indique le JQI White Paper. « Le canal par lequel cela se produit est assez simple : si une plus grande proportion d’emplois entraîne des revenus inférieurs à la moyenne de tous les emplois (c’est à dire une réduction du niveau du JQI), en comparaison à avant, alors des personnes qui participent à la vie active auront un plus faible impact sur les revenus des ménages – et donc sur la demande globale – que par le passé. Bien que les banques centrales des Etats-Unis, de la zone euro, du Japon et du Royaume-Uni aient injecté plus de 10 billions de dollars dans leurs économies collectives au cours de la dernière décennie, la demande globale reste peu enthousiaste. »

  1. Pourquoi la participation à la vie active est-elle si faible ?

Un autre débat s’éternise parmi les économistes : pourquoi la participation à la vie active est-elle si faible ? Des dizaines de millions d’Américains en âge de travailler ne sont toujours pas officiellement employés et n’ont aucun intérêt apparent à envoyer leur CV. Si le marché du travail est au cœur du débat, pourquoi tant de gens se marginalisent-ils ? La proportion de travailleurs de la génération plus âgée est souvent l’explication apportée. Nous sommes à présent conscients d’un nouvel élément important : les travailleurs ne réintègrent pas le marché du travail car bon nombre des emplois sont de basse qualité.

  1. La suppression d’emplois manufacturiers n’a-t-elle pas entraîné la création d’autres emplois ?

La manœuvre manufacturière des Etats-Unis a considérablement diminué au cours des trois dernières décennies, passant de 23% de l’emploi civil total aux Etats-Unis en 1970, à seulement 8% en mai 2019. Comme le taux de chômage est aujourd’hui très bas, la suppression d’emplois manufacturiers a dû entraîner la création d’autres emplois. Mais ces emplois sont-ils de qualité inférieure ? Le JQI nous donne la réponse : « Des emplois à bas salaire et au nombre d’heures réduit ont majoritairement remplacé la perte des emplois manufacturiers. »

  1. Pourquoi la technologie de pointe n’a-t-elle pas sauvé l’économie des Etats-Unis ?

La catégorie d’emploi « Services professionnels et techniques » est considérée par beaucoup, comme une voie permettant à l’économie de « progresser vers des sommets plus hauts ». Les services professionnels et techniques étaient censés offrir un salaire élevé, une croissance du nombre d’employés et une opportunité d’augmentation de la productivité. En réalité, le JQI rapporte que l’emploi a augmenté de 41% dans ce secteur et et que le salaire hebdomadaire moyen de 1 366 euros pour les travailleurs non cadres, dépasse le salaire d’employés de nombreuses autres industries.

Cependant, cela ne suffit pas à compenser ce que l’économie a perdu dans le secteur manufacturier. « Le secteur, avec ses 7,5 millions d’employés non cadres (7% du nombre total des emplois non gestionnaires dans le secteur privé), n’est tout simplement pas assez important pour faire le poids dans les totaux nationaux et le bien-être de la population active en général. Par conséquent, l’hypothèse du « passage à un niveau supérieur » est beaucoup trop mince pour envisager d’élaborer une stratégie nationale de croissance économique pour une nation de 327 millions d’habitants. »

L’idée des partisans d’une « élévation » était que l’économie américaine monopoliserait les postes très qualifiés et deviendrait par son concept et son modèle, un exemple pour les grandes entreprises du monde, tandis que les économies asiatiques seraient associées à la main d’œuvre de « pauvre qualité », uniquement dédiées à la construction de produits.

« Cette théorie s’est avérée impertinente », explique le JQI White Paper. « La Corée du Sud a commencé de cette manière dans les années 1960 en se rapprochant avec déférence des principales entreprises américaines et européennes pour se renseigner sur les techniques de fabrication. Au fil du temps, le pays a compris que miser sur la conception des produits et la possession des noms de marque était beaucoup plus profitable. Aujourd’hui, la Corée du Sud est le premier fabricant mondial de téléphones portables, de téléviseurs et d’autres produits de consommation. La Chine, géant mondial de la fabrication n’a pas omis ce fait… Avec d’autres pays ciblant ce qu’ils considèrent comme des industries à forte valeur ajoutée, les Etats-Unis ne sont pas seulement en danger mais sont aussi contraints de recourir davantage à des industries à faible croissance, offrant des emplois peu rémunérés et à horaires réduits ».

  1. Pourquoi la productivité américaine est-elle au point mort ?

Un autre casse-tête économique classique est l’incapacité de la productivité à augmenter au cours de la dernière décennie. Pas vraiment une surprise, selon le JQI White Paper. « Comme les emplois de fabrication de biens plus productifs ont diminué au cours des trois dernières décennies, au profit de catégories d’emplois de services plus nombreuses et généralement moins productives, il devrait être évident que les gains de productivité du travail se ralentissent. En comparant la tendance de la croissance de la productivité du travail non financière de 1947 à 2009 et celle de 2010 à nos jours, la quasi-stabilisation de la croissance de la productivité a été historique tant dans son degré que dans sa durée. »

  1. À quoi ressemblent réellement les nouveaux emplois ?

Le JQI White Paper brosse un tableau sombre. « Le succès de grandes vedettes telles que Google, Apple ou Pfizer ne devrait pas nous faire oublier que Leisure & Hospitality est aujourd’hui notre plus gros secteur avec 14,7 millions d’employés non gestionnaires. C’est un secteur qui rémunère ses travailleurs 14,94 euros de l’heure et le travailleur moyen ne travaille que 25,8 heures par semaine, ce qui représente un revenu hebdomadaire moyen de 386 euros. (Les prestations comme l’assurance maladie dans ce secteur sont faibles voire inexistantes).

Alors que tous ces emplois manufacturiers de qualité s’exportaient vers d’autres pays, que pensaient les décideurs politiques ? Une remarque de Michael Boskin, président du Conseil des conseillers économiques du président George H.W. Bush, nous donne un indice pour répondre à cette question : « Qu’un pays fabrique des puces électroniques ou des chips, quelle est la différence ? »

Sa remarque désinvolte s’est révélée tragiquement incorrecte. « Quand tout ce qu’il reste à un pays, c’est la fabrication nationale de produits alimentaires transformés », conclut le JQI White Paper, « il se retrouve finalement avec beaucoup de travailleurs en mauvaise santé, qui font face à un lourd manque de sécurité et surtout de dignité. Une république qui n’offre rien de mieux que cela ne peut durer longtemps. »

Si votre anglais vous le permet, poursuivez votre lecture avec :

Why Does The U.S. Lose More Manufacturing Jobs Than Germany

The ‘Pernicious Nonsense’ Of Maximizing Shareholder Value

 

Note technique sur le JQI

Le US Private Sector Job Quality Index (JQI) mesure le rapport entre ce que les chercheurs appellent les emplois « de qualité » et ceux de « faible qualité ». Le JQI est le rapport pondéral des emplois « de qualité » qui paient plus que le salaire hebdomadaire moyen et ont tendance à nécessiter plus d’heures de travail par semaine et les emplois de « faible qualité » qui paient moins et suscitent moins d’heures de travail. L’indice est moyenné sur les trois mois précédents afin de calmer le chahut et assurer la comparabilité entre les différents secteurs.

À l’heure actuelle, le JQI est à peine à 81, ce qui signifie qu’il y a 81 emplois de qualité pour 100 emplois de pauvre qualité. Bien que cela représente une légère amélioration par rapport au début 2020, il est encore bien en baisse par rapport à 2006, la veille de l’effondrement du marché du logement, lorsque l’économie représentait environ 90 emplois de qualité pour 100 de faible qualité.

En effet, le marché du travail américain ne s’est pas complètement remis de la grande récession. Pire encore, la tendance à long terme de la balance des emplois est encore plus inquiétante.

Le but est de réviser le JQI mensuellement et le mettre à jour, en même temps que la diffusion de nouvelles données du BLS, qui se fait normalement le vendredi de chaque mois. Les communiqués de la mise à jour à venir mettront en évidence les causes sous-jacentes de tout changement important à l’indice et noteront les changements dans l’orientation des tendances, à mesure qu’ils deviendront évidents.

« Le JQI a trouvé la pièce manquante du puzzle économique », expliquent les auteurs. Ils « se réjouissent de la perspective de surveiller les avances et transferts périodiques qui représentent un outil de prévision. Une utilisation plus poussée du JQI, combinée à d’autres indicateurs, permet de mieux expliquer l’échec de certains facteurs – qui étaient traditionnellement considérés comme ayant une influence directe les uns sur les autres – pour fonctionner comme prévu. »

Le JQI White Paper annonce les futurs domaines de travaux concernant l’amélioration du JQI. Bien évidemment, d’autres dimensions de la qualité de l’emploi sont à prendre en compte, au-delà de la rémunération et du nombre d’heures de travail. Par exemple, le JQI actuel n’inclut pas la sécurité du marché du travail, des éléments qui sont pourtant inclus dans l’approche de l’OECD sur la qualité de l’emploi. Néanmoins, le JQI est une étape importante vers la compréhension de la qualité des emplois et de son rôle central dans l’économie des Etats-Unis.

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