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Droit d’Auteur Et Géants De L’Internet, Quel Rapport De Force ?

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A peine deux mois après l’adoption par le Parlement français de la loi transposant la directive sur le droit d’auteur, première du genre en Europe, Google vient d’annoncer qu’il ne rémunérerait pas les éditeurs de contenus. Après des débats houleux, les géants du numérique semblent bel et bien entamer un bras de fer pour ne pas mettre en œuvre la réglementation. Par Etienne Drouard et Anaïs Ligot.

La loi française reprend pour l’essentiel la Directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins. Elle octroie aux agences et éditeurs de presse un droit de reproduction et de communication au public pendant deux ans à compter de la publication d’un article de presse. Ce droit est assorti des exceptions classiques en matière de droits voisins, déjà prévues dans le Code de la propriété intellectuelle français.

La Directive laissait aux États Membres le soin de fixer la part des revenus générés par ce nouveau droit au bénéfice des auteurs des œuvres journalistiques. La loi française renvoie cette épineuse question à des accords d’entreprise pour les journalistes professionnels et à des accords spécifiques pour les autres auteurs. Enfin, la loi permet aux agences et éditeurs de presse de confier la gestion de leurs droits à un ou plusieurs organismes de gestion collective, à l’image de l’actuelle Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (« Sacem »).

Encore faudrait-il que l’ensemble des parties prenantes s’accordent entre elles sur la notion de rémunération « appropriée et équitable ».

Facebook et Google, savants lobbyistes, s’insurgent

Mieux rémunérer les éditeurs pour limiter la crise de la presse : en voilà une bonne idée ! Et quoi de plus logique, pour cela, que de demander aux géants d’Internet de compenser la désintermédiation qu’ils amplifient entre un producteur de contenus journalistiques et son lecteur ? Facebook et Google sont en effet les deux principaux « consommateurs » d’articles produits par les journalistes : titres et introductions sont systématiquement récupérés lors du partage d’un lien sur Facebook ou d’une recherche sur Google. Mais voilà : cette gratuité ne rémunère pas les producteurs de contenus, dont les revenus chutent, dans tous les pays du monde. D’où la réaction de l’Union européenne pour rééquilibrer la répartition des revenus.

Problème : si l’idée est simple, sa mise en application est complexe. En rajoutant à cela une touche de mauvaise foi de la part des géants de l’Internet, le sujet est devenu un véritable casse-tête. En témoigne la récente annonce de Google qui semble mettre fin à tous les espoirs de rémunération des éditeurs. Le moteur de recherche annonce qu’il se limitera à lettre de la loi et affichera uniquement le titre des articles avec les URL… afin de ne rémunérer personne. Si les éditeurs souhaitent voir des extraits de leurs articles ou des photos publiés, alors ils devront le préciser à Google qui obtempérera, sans pour autant les rémunérer. Ou comment prétexter d’un texte défavorable à Google pour affaiblir davantage les éditeurs que le texte devait protéger.

Les deux géants américains prétendent, par ailleurs, qu’ils ne disposent pas de solutions techniques pour reconnaître automatiquement et avec certitude qu’un article est ou non protégé par le droit d’auteur, notamment pour ceux produits par les « petits » médias. Un traitement manuel serait également impossible car trop chronophage. Les deux géants prennent donc les législateurs à leur propre piège en leur demandant de définir les modalités techniques permettant d’identifier les contenus protégés. Or, n’étant pas ingénieurs en intelligence artificielle, les parlementaires sont naturellement incapables d’expliquer à Google et Facebook comment s’y prendre. Ce n’est d’ailleurs pas leur rôle.

Paradoxe, quand tu nous tiens !

Face à la difficulté d’automatiser la vérification de la protection d’un contenu par le droit d’auteur, le législateur européen avait été contraint de rédiger une directive « de principe », sans modalités techniques. Le législateur français, comme son homologue européen, a renvoyé les débats techniques et pratiques à de futures négociations entre parties prenantes.

Or, l’élaboration d’un cadre à la fois flexible et flou était l’objectif recherché par toutes les parties prenantes. Les ardents défenseurs du droit d’auteur souhaitaient notamment que le texte comporte des prérogatives générales pour englober l’ensemble des cas de figure envisageables et ne s’interdise aucune assiette ni modalité de rémunération.
Pour Google et Facebook, un texte flexible et flou laisse la possibilité de s’arranger ultérieurement avec certaines difficultés, en apportant éventuellement leur propre interprétation du texte… Voilà qui est chose faite : au lieu de payer, ils ne diffuseront les contenus gratuitement que si l’éditeur le leur demande. Au lieu d’être rémunéré, l’éditeur devrait donc demander au géants de l’Internet de bien vouloir diffuser gratuitement ses contenus, ce qui est l’inverse du but recherché.

Pour les défenseurs des libertés sur Internet, opposés à la loi par crainte que celle-ci entraîne une limitation de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, le flou et la flexibilité de la loi sont considérés comme une nécessité pour éviter un cadre trop strict.

Finalement, il aura fallu attendre un entrefilet dans le Journal Officiel de l’Union européenne, pour apprendre que la Pologne a déposé le 24 mai 2019 un recours contre l’Article 17 de la Directive Droit d’auteur. Cet État Membre se fait l’instrument d’une contestation de principe des mesures de protection du droit d’auteur au motif que la propriété intellectuelle porterait atteinte à la liberté d’expression. Manifestement, les mauvais perdants du débat législatif appellent au secours le gouvernement des juges en invoquant les libertés et le droit à l’innovation. Négliger la force de cet argument, quels qu’en soient les initiateurs et leurs motivations, seraient une grave erreur. 

 

Malgré les difficultés, un premier pas dans le bon sens

En somme, la réglementation ne fournit qu’une réponse partielle au problème initialement posé, à savoir la rémunération des médias par les géants d’Internet qui exploitent leurs contenus sans les payer.
Quelle que soit la forme définitive du droit voisin des éditeurs de presse, ce texte reste justifié et utile. Pour la première fois, l’Europe s’était exclamée : « Exigeons une rémunération des créateurs de contenus ! ». Cette rémunération s’annonçait imparfaite dans un premier temps, mais l’essentiel était de faire un premier pas qui en appelle d’autres.

Les débats vont se poursuivre sur ce sujet dans tous les pays de l’Union européenne, qui ont jusqu’au 7 juin 2021 pour transposer cette Directive. Ils permettront d’anticiper les points d’achoppement qui apparaissent dès maintenant. La France, quant à elle, joue le rôle de précurseur. Les modalités techniques et pratiques d’application du texte s’avèrent déterminantes et nous rappellent que le diable est toujours dans les détails quand il s’agit de retranscrire une norme dans les faits.

 

Par Etienne Drouard, avocat associé, et Anais Ligot, avocate, cabinet K&L Gates

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