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Décryptage | Chine : la deuxième économie mondiale en eaux troubles

SHENZHEN, CHINA - FEBRUARY 09: The logo of Evergrande Group is seen on the façade of the company headquarters on February 9, 2021 in Shenzhen, Guangdong Province of China. (Photo by Shen Longquan/VCG via Getty Images)

International | Depuis l’éclatement de la bulle immobilière, l’Empire du milieu fait face à une demande intérieure morose et connaît la déflation. Les autorités chinoises comptent sur la montée en gamme de leur industrie pour relancer la machine. 

 

« La tendance fondamentale d’une reprise économique et de perspectives positives à long terme n’ont pas changé ». Début décembre, les principaux dirigeants du Parti communistes chinois (PCC), dont le chef de l’État Xi Jinping, dressaient un tableau positif en matière de développement économique lors d’une grande réunion. « Dans l’ensemble, les conditions favorables l’emportent sur les facteurs défavorables », exposaient-ils. 

Les chiffres de croissance publiés mi-janvier semblent aller dans ce sens. Le PIB chinois a progressé de 5,2% en 2023, soit légèrement au-dessus de l’objectif initial de 5%. C’est plus du double qu’aux Etats-Unis (2,5%), dix fois plus qu’en zone Euro (0,5%). Ces données ne sont pourtant pas venues calmer la méfiance des investisseurs financiers. « Le vendredi 2 février 2024, le Shanghai Composite (indice phare de la bourse de Shanghai, NDLR) a enregistré sa pire semaine depuis 2018. Et l’indice CSI300 (composé des 300 plus grosses capitalisations boursières du pays, NDLR) a atteint son plus bas niveau depuis cinq ans le lundi 5 février 2024 », signale Yingrui Wang, économiste chez AXA. 

« Un observateur non-initié pourrait y déceler une forme d’incohérence », remarque François Chimits, analyste au Mercator Institute for China Studies (Merics). Sauf que pas vraiment. L’indicateur de croissance, l’un des plus élevés au monde, ne reflète pas – entièrement –  la véritable santé de l’économie chinoise, et ce pour plusieurs raisons. Premier point, les données statistiques en provenance du pays sont accueillies avec réserve, alimentant la suspicion de « lissage » par les autorités. Et quand bien même, ce taux reste bien en deçà de ceux enregistrés durant la dernière décennie. Surtout, le principal facteur reste ce que les économistes appellent l’effet de base : avec un point de départ très bas, le rebond est d’autant plus fort. Pour rappel, le PIB a progressé de seulement 2,9% en 2022 en raison des fortes restrictions sanitaires. Soit la plus faible hausse – hormis 2020 – répertoriée depuis… 1976.  

Pire, la dynamique globale de la deuxième économie mondiale apparaît inquiétante à bien des niveaux. « Cela fait plus de deux ans que la Chine est confrontée à une forte méfiance de la part des investisseurs financiers. L’indice CSI 300, a par exemple chuté de près de 45% depuis fin 2021 », rappelle Stéphane Latouche, chef du bureau de représentation de la Banque de France à Singapour. Le pays fait face à une crise de confiance sur les risques et la soutenabilité de son modèle de croissance ». 

 

Eclatement de la bulle immobilière 

Pour comprendre comment l’économie du pays est arrivée à ce stade, il faut remonter à la mi-2020. En pleine crise Covid, les autorités décident d’un resserrement du secteur immobilier afin d’en contenir la bulle. Si d’aucuns considèrent l’ajustement nécessaire après des décennies d’endettement excessif et de surcapacités des promoteurs, les mesures prises entraînent une crise immobilière sans précédent. Symbole de celle-ci, la mise en liquidation judiciaire du géant du secteur Evergrande par un tribunal de Hong-Kong le 29 janvier dernier. 

En décembre, les ventes de biens immobiliers étaient 60 % en deçà du niveau de 2019 dans les trente plus grandes villes du pays . Les nouvelles constructions ont, elles, chuté de 50% entre fin 2021 et fin 2023. L’effondrement d’une activité pesant entre 14 et 16% du PIB est évidemment problématique. Et ses canaux de diffusion à l’économie, multiples. La contribution directe des agents du secteur à l’emploi et à la demande (matériaux, services etc.) s’est ainsi érodée. « Les assouplissements réglementaires se sont multipliés au cours des derniers mois pour limiter la baisse des ventes et endiguer la chute des nouvelles constructions, mais restent marginaux et n’ont eu que peu d’effets », soulève Camille Macaire du bureau de représentation de la Banque de France à Singapour. Pas de nature à permettre aux promoteurs de rebondir, eux qui font également face au vieillissement de la population. 

Le secteur financier a également été mis à rude épreuve. Les institutions ayant prêté des fonds aux promoteurs, en particulier les banques du pays, sont contraintes d’absorber les pertes lorsque ceux-ci se révèlent incapables de rembourser leurs emprunts. « Lampleur potentielle de cet impact est très difficile à mesurer au regard des expositions indirectes et des ramifications opaques qui caractérisent le système financier en Chine » , souligne l’économiste de la Banque de France. « Il y a des cadavres dans les placards mais personne ne sait à quel point, renchérit François Chimits. Probablement, que les autorités à Pékin elles-mêmes ne le savent pas. »  Si les banques semblent assez solides pour amortir le choc dans l’immédiat, cela demeure un facteur d’incertitude important. Les gouvernements locaux subissent eux aussi les répercussions : avant la crise, environ 40 % de leurs revenus provenaient des ventes de terrains à bâtir aux promoteurs.

Dernier maillon de la chaîne : la richesse des ménages, qui s’est dégradée en raison de la dévalorisation des biens immobiliers, ces derniers constituant 60% de leur patrimoine. De nombreux Chinois avaient ainsi acheté un logement y voyant une forme d’assurance-vie.  « Les ménages augmentent leur épargne et réduisent leur consommation pour compenser les pertes de sécurité financière , signale Yingrui Wang. Ces dépenses prudentes réduisent la demande intérieure, affectent la croissance économique dans son ensemble. Cela a en partie augmenté les pressions déflationnistes dans l’économie. » 

 

Similitude avec la crise japonaise 

Alors que l’inflation préoccupe une grande partie des Etats dans le monde, la Chine est confrontée à un problème antagoniste : la déflation. En 2023, les prix à la consommation ont reculé de 0,3% sur un an. « Les prix du porc, qui pèsent lourd dans le panier de l’IPC chinois, ont connu une année médiocre et ont entraîné les prix déjà faibles en territoire déflationniste », observe l’économiste d’AXA. Bien que cette baisse apparaît bénéfique pour les consommateurs, elle comporte le risque de déclencher une spirale négative. « L’attente de prix plus bas à l’avenir retarde les dépenses d’aujourd’hui », remarque-t-elle. En raison d’une demande en berne, les entreprises se voient ainsi obligées de brader leurs marchandises au détriment de leur rentabilité. D’autre part, la déflation provoque une dégradation financière des emprunteurs car celle-ci renchérit mécaniquement le coût de la dette. 

Pour ne rien arranger, les exportations, habituel moteur de la deuxième économie mondiale, se sont contractées de 4,6% en 2023 selon les données publiées par les Douanes chinoises, enregistrant leur premier repli depuis 2016. La faute à la faible croissance en Europe et une volonté des Etats-Unis de réduire toujours plus sa dépendance envers son rival chinois, même si la Chine contourne en partie cet obstacle en vendant ses marchandises au Mexique, qui ensuite les réexpédie chez l’oncle Sam. La hausse du commerce extérieur avec son allié russe n’est pas apparue suffisante pour combler les pertes. 

De quoi laisser craindre une crise similaire à celle connue par le Japon durant les années 1990 ? L’éclatement d’une bulle financière et immobilière avait alors conduit à une longue période de stagnation économique et de déflation, plus connue sous le nom de décennie perdue. « La situation de la Chine présente certaines similitudes avec celle du Japon, comme la formation de bulles lors d’une croissance rapide et un fort effet de levier dans plusieurs secteurs de l’économie. Toutefois, les deux économies présentent des différences fondamentales, expose Yingui Wang. Bien que les promoteurs immobiliers chinois soient très endettés, les ménages ont un ratio prêt/valeur relativement faible. Par conséquent, bien que la Chine soit confrontée à des risques et à des défis, un scénario à la japonaise n’est pas nécessairement une issue plausible. »

 

 Montée en gamme de l’industrie chinoise 

D’autant que des motifs d’espoir subsistent. Le secteur financier du pays est relativement insulaire avec une faible dépendance à l’égard des investissements étrangers.  « Ceci confère aux autorités une certaine maîtrise des conditions financières dans le pays, en mobilisant le secteur bancaire qui est prêt à assurer le financement de l’économie malgré les risques, en prenant ainsi le relais du retrait des investisseurs financiers », appuie Stéphane Latouche. 

La Chine dispose également d’un fort relais de croissance grâce à des secteurs d’avenir liés à la transition énergétique : les voitures électriques, les énergies renouvelables et les batteries au lithium. « La Chine possède des avantages technologiques et compétitifs qui lui permettent d’être leader mondial sur ces activités, ou à fortiori de disputer les premiers rangs », observe François Chimits. 

Sur le dernier semestre, la production de ces trois secteurs clé a augmenté, selon les chiffres du bureau national des statistiques, respectivement de 28,5 %, 54 % et 30,3 % sur un an. Qu’importe si la demande intérieure est incapable d’absorber cette hausse, l’objectif est tout autre : inonder le reste du monde de sa surproduction. Face aux besoins des pays dits avancés, qui se sont lancés dans des stratégies de « neutralité carbone » et de « croissance verte » , la Chine à de quoi les satisfaire. Qui plus est à moindre coût. Prenons l’exemple des voitures électriques. Le modèle MG4 du chinois MG coûte environ 10 000 euros de moins que la Megan E-Tech de Renault (29 900 euros contre 39 000 euros).

Cette montée en gamme de l’industrie chinoise inquiète les Occidentaux et leur objectif de réindustrialisation. De retour d’un voyage en Chine le 18 février, le sous-secrétaire d’État américain aux affaires internationales Jay Shambaugh, a déclaré que «le reste du monde répondrait » à la politique d’exportation et surproduction de Pékin, rapporte le Financial Times. En Europe, Bruxelles a ouvert une enquête sur les subventions chinoises aux véhicules électriques, qui pourrait déboucher sur des tarifs douaniers renforcés dans ce domaine.

Même affaiblie, la puissance de frappe de Pékin reste conséquente. In fine, si le mal qui ébranle la deuxième économie mondiale est profond, François Chimits constate que « les munitions à disposition des autorités sont elles aussi importantes ».

 


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