La trêve des confiseurs va durer une semaine entre Noël et le Nouvel an. Cette tradition remonte au Moyen-Âge. Napoléon III voulait en faire une arme politique. La IIIème République l’a rendue obligatoire en 1874. La Vème a inventé la prime de Noël.
La trêve des confiseurs avait au départ une fonction religieuse, puis politique. Aujourd’hui, son impact est essentiellement économique.
La trêve des confiseurs s’étale pendant cette période de l’année entre Noël et le Nouvel an où tout s’arrête, sauf les boulangers et pâtissiers qui vendent des gâteaux et des douceurs. En réalité, la trêve des confiseurs n’est plus réglementée.
En fait, beaucoup d’activités non-marchandes tournent au ralenti : le gouvernement, l’administration, la Bourse et le Parlement, même si la session budgétaire par exemple dure jusqu’au 31 décembre, et que si les discussions s’éternisent, on bloque la pendule pour rester dans les clous de la Constitution. Mais c’est rare. L’hôpital tourne aussi au ralenti. Normalement, seul l’accueil des malades, des urgences et le traitement des malades hospitalisés sont assurés. Jusqu‘à une époque assez récente, on n’accouchait pas pendant la trêve. Aujourd’hui que les médecins ne peuvent plus déclencher les accouchements pour convenance personnelle, les naissances sont plus aléatoires.
Les seules activités qui tournent à plein régime sont les activités festives, celles qui délivrent du divertissement, puis, par extension celles du tourisme, du voyage, du spectacle, de la gastronomie, etc. Bref, tout ce qui concourt à la célébration de la fête.
La trêve des confiseurs est donc une période de consommation intense puisqu’on estime que pendant les fêtes, un pays comme la France consomme 20% à 30% de la consommation globale annuelle.
C’est donc devenu un outil de soutien à l’économie incontournable. Il suffit de voir le chiffre d’affaires des grands magasins et de tous ces marchés de Noël qui fleurissent en France à cette époque.
Cette tradition de faire la trêve remonte au Moyen Âge vers l’an 1000. Louis IX, le futur Saint-Louis, va imposer ce qui existe déjà dans les faits et qu’on appelle la trêve de Dieu. Le clergé, qui assiste le roi, veut que les seigneurs cessent de faire la guerre pendant les fêtes spirituelles et les semaines qui les précèdent (Avent, Noël, Carême, Pâques…). Et si les seigneurs refusent de baisser les armes, ils risquent d’être excommuniés.
Le jour où l’on honore le Seigneur, on ne doit pas prendre les armes, la trêve préconise donc que toute violence soit bannie. Dans les faits, elle est peu respectée : au point que ce sont les paysans qui obligent les seigneurs à rester calmes. Pour le roi, cette initiative est un outil politique : elle lui sert à neutraliser ses vassaux. Donc à les affaiblir.
Cette pratique ne sera jamais abandonnée, mais elle ne sera pas systématisée de sitôt.
Il faudra attendre le 19e siècle, la révolution industrielle, le Second Empire et l’imagination débridée de Napoléon III pour ressortir cette tradition… vers la fin de son règne (1870) alors que l’essentiel des réformes économiques ont été mises en œuvre, que la France a rattrapé son retard sur l’Angleterre, que les infrastructures sont en plein développement, que Paris a changé d’urbanisme, qu’on a même déjà imaginé un système de sécurité sociale et de retraite pour adoucir la condition ouvrière, que la situation politique devient de plus en plus difficile à gérer.
Le Parlement de pacotille rue dans les brancards, les groupes de pressions démocrates le traînent dans la boue, en particulier Victor Hugo qui inspire de son exil un club de journalistes et d’agitateurs qui ont juré d’avoir la peau de celui qu’ils appellent toujours Napoléon le Petit. Ce qui fait qu’un jour (dans les années 1860), Napoléon propose de fixer des jours dans l’année où tous les protagonistes de la vie politique cesseraient tout débat, toute critique, toute injure, toute bagarre. Il voulait reprendre la trêve de Dieu qui avait réussi à Saint-Louis, mais à des fins purement laïques. Il n’empêche que la période la plus facile pour organiser une telle trêve devait être celle des fêtes de fin d’année.
Napoléon a du mal à se faire entendre et à faire accepter sa proposition. Il est de plus en plus contesté.
C’est à ce moment-là que, sans doute mal conseillé, Napoléon III part pour reconquérir son prestige dans une guerre calamiteuse avec la Prusse. Ce fut un formidable bâtisseur, mais un piètre diplomate. Il s’entendait à merveille avec les ingénieurs et les architectes, mais ne comprenait pas les militaires. C’était tout le contraire de son oncle dont la notoriété historique l’a toujours encombré.
Cette guerre avec la Prusse va le conduire à sa perte. La défaite de Sedan l’obligera à abandonner le pouvoir et à s’exiler à Londres où, ironie de l’histoire, il y croisera son ennemi mortel, Victor Hugo, qui rentre lui à Paris.
Le problème, c’est qu’à Paris, la situation politique est devenue ingérable. Le retour de Victor Hugo au Parlement n’a rien changé, contrairement à ce qu’il avait espéré. Le génial écrivain est un piètre politique.
La guerre franco-allemande de 1870-71, puis la Commune en mars, avril et mai 1871, ont affaibli la France et surtout Paris, qui ne se relève pas. Au plan politique, c’est la « chienlit », aurait dit le Général De Gaulle. Il n’existe pas de majorité pour gouverner. Les républicains, les bonapartistes, les monarchistes et les révolutionnaires débattent et se battent pour conquérir le pouvoir. Malgré le désordre et la violence, les hommes politiques décident, fin 1874, de mettre leurs querelles et leurs débats en sommeil, invoquant pour prétexte que « le peuple doit pouvoir se concentrer sur les fêtes de fin d’année » . L’Assemblée Nationale va voter à une forte majorité le caractère obligatoire de cette sorte d’armistice politique. En clair, ils reprennent le projet de Napoléon III.
Mais la fête de fin d’année n’est qu’un prétexte. Les hommes politiques se donnaient bonne conscience en veillant à ce que le bon peuple puisse non pas profiter d’une tranquillité d’esprit et faire la fête, mais il s’agissait déjà à l’époque de faire en sorte que le peuple puisse consommer plus. Il fallait donner un coup de pouce au commerce. Les commerces parisiens fermaient les uns après les autres.
Le duc de Broglie, homme politique de l’époque et membre de l’Assemblée, reconnaîtra le caractère économique de la mesure dans ses mémoires : « On convint de laisser écouler le mois de décembre [1874], pour ne pas troubler par nos débats la reprise d’affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précède toujours le jour de l’An. On rit un peu de cet armistice, les mauvais plaisants l’appelèrent la trêve des confiseurs » .
La vérité historique est là. Derrière les joutes politiques qui ne menaient nulle part, la France faisait faillite. Il fallait donc créer un climat propice au commerce.
Ceux qui en ont le plus profité sont les fabricants et commerçants de confiseries. Avec le recul, on serait tenté de penser aujourd’hui que l’effet de cette mesure ne pouvait être que marginal par rapport à la crise économique de l’époque. Et pourtant, la trêve des confiseurs a eu un réel impact sur les ventes, elle a apporté un ballon d’oxygène à des commerçants menacés. L’épargne thésaurisée est sortie et l’argent s’est remis à circuler. Exactement ce qu’avait imaginé Napoléon III, qui a d’ailleurs conseillé aux Anglais la même chose lors de son exil à Londres.
Quelques économistes ont même pensé que les hommes politiques de la IIIe République avaient expérimenté là une méthode qui serait formulée et théorisée en 1936 par John Maynard Keynes : la relance de l’activité économique par la consommation.
Bernard Maris, dans son anti-manuel d’économie, en avait fait une allusion. Raymond Barre, l’auteur du manuel d’économie qui a sans doute eu le plus de succès en France depuis 30 ans, avait lui aussi donné en exemple la trêve des confiseurs.
Avec une différence notoire. C’est que Bernard Maris et Raymond Barre, qui étaient deux keynésiens convaincus, avaient précisé l’un et l’autre que la relance par la consommation nécessitait que la demande soit solvable. Ce que Napoléon III n’avait pas oublié. « Pour que le peuple puisse acheter des confiseries, il fallait qu’il en ait les moyens » , avait-il dit.
Plus tard, beaucoup plus tard, les politiques de droite comme de gauche, sous la IVème et sous la Vème République, ont tout fait pour solvabiliser la demande de fin d’année. Ils ont incité les entreprises à verser un 13ème mois, ou des primes de fin d’année. Et pour les moins favorisés, on a inventé la prime de Noël, versée à plus de 2,5 millions de Français, allocataires du RSA pour la plupart. Cette prime de Noël représente 152,45 euros pour une personne seule, 274,41 euros pour un couple avec un enfant et 442,10 euros pour un couple avec 4 enfants.
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