Elles s’appellent Malalai, Mashal ou encore Ziba. Elles étaient championnes de taekwondo, infirmières, footballeuses ou se rêvaient journalistes jusqu’au 15 août dernier. Elles vivaient l’existence normale de femmes d’une vingtaine d’années dans la capitale afghane. Depuis cette date, ses femmes sont confrontées à une vie qu’elles n’ont pas choisie, qu’elles n’avaient jamais connue et à laquelle elles n’adhèrent pas. Leurs paroles sont rapportées de Kaboul jusqu’en France par Ava Djamshidi avec des photos de Philippe de Poulpiquet exposées sur les Champs-Élysées. Des femmes qui aujourd’hui n’ont plus le droit d’être vues. Rencontre avec ceux qui ont risqué leurs vies pour raconter celles de ces femmes.
Il y a 20 ans en 2001, une femme afghane sous sa burqa bleue faisait la couverture du magazine Elle. Donc, le 15 août 2021, la rédaction du magazine a naturellement formulé le souhait de consacrer un numéro aux femmes de Kaboul. « C’est notre devoir en tant que magazine féminin de raconter, d’analyser et d’informer. Évidemment, il y avait énormément de risques. Au moment où tout le monde quittait le pays, nous envoyions nos reporters sur place. C’était donc une décision difficile à prendre, mais mettre ces femmes en couverture a été un geste fort pour ne pas les oublier. Au magazine Elle, nous sommes aux côtés de toutes les femmes. Notre mission est de les accompagner dans leurs combats », déclare Véronique Philliponnat, directrice de la rédaction.
Dès la prise de Kaboul par les talibans, les deux reporters ont pris la décision d’aller sur place pour parler de la situation afghane. Pour Philippe de Poulpiquet, photographe et grand reporter au Parisien, « il fallait y aller, il fallait raconter ce qui se passait là-bas, et même si beaucoup nous disaient que ce n’était pas le moment, nous avons décidé d’y aller ». Pour Ava Djamshidi, grand reporter, « il n’y a pas eu de questionnement, c’était assez évident qu’il fallait se rendre à Kaboul, mais il fallait surtout sécuriser les risques, il fallait préparer les documents pour que notre reportage puisse voir le jour. »
En tant que femme à Kaboul, Ava Djamshidi, a dû se plier aux règles imposées aux femmes par les talibans. « J’ai bien ressenti la différence de genres. C’était, pour moi, une vraie immersion dans la vie de ses femmes. Il faisait plus de 30 degrés et comme les Afghanes, je devais être couverte d’une abaya, je me suis sentie entravée. J’ai été choquée de voir que sous leur abayas, ces femmes qui ont vécu libres et indépendantes pendant 20 ans doivent maintenant prendre des antidépresseurs pour tenir. «
À la question, comment les hommes vivent cette situation vis-à-vis de leurs femmes, la reporter nous explique qu’il y a très peu d’hommes qui résistent pour les Droits des femmes. Durant leur reportage, Ava et Philippe ont rencontré certains hommes outrés par la situation actuelle qui osent le dire. Mais ils restent des exceptions.
Parmi les photographies qui trônent sur la célèbre avenue parisienne, quelques photos de talibans se perdent au milieu de celles de femmes qui résistent désespérément. Pour le photoreporter, les mettre de façon neutre dans cette exposition était un choix important et réfléchi. Il fallait montrer qui sont les oppresseurs contre qui ses femmes se battent sans les mettre à l’honneur, sans qu’ils posent en seigneurs de guerre.
Aujourd’hui exposées à la vue de tous, sur les Champs Élysées, les photographies de Philippe montrent des Afghanes aux visages découverts et pourtant sur place, les journalistes nous expliquent que « ce qui frappe à Kaboul, c’est qu’on ne les voit pas [les femmes NDLR]. Dans les rues, on aperçoit seulement quelques silhouettes de femmes sous leurs abayas qui se faufilent rapidement » déclare Ava. Elles ont fait le choix de poser sans leur voile malgré les risques, car « si on ne les laissait pas apparaître à visage découvert, pour elles, on faisait exactement comme les talibans, on les cachait. Ces femmes, quand elles rentrent dans le salon de beauté, elles enlèvent leur abayas, elles enlèvent leurs baskets noires, elles se découvrent et redeviennent les jeunes femmes féminines qu’elles étaient avant cet été, elles remettent des talons, elles sont en crop-top, elles se maquillent. C’est cette féminité que j’ai voulu photographier. Pour nous, avec notre prisme occidental, ce sont des choses normales, mais pour elles, c’est quasiment un acte de résistance. Ce n’était donc pas seulement de prendre des femmes afghanes cachées comme on a pu voir et revoir, mon but était d’aller au-delà des clichés, on voulait photographier ses femmes comme elles sont vraiment » explique Philippe.
Pour les deux reporters, cette exposition a une symbolique forte. Quand on sait que toutes les femmes représentées dans les devantures de magasins ou de salons de beauté ont été effacées soit par les propriétaires par peur de représailles soit par les talibans qui ont effacé à la peinture « les yeux et la bouche, comme pour les rendre les femmes aveugles et muettes ». « Les voir là, à cet emplacement, dans le pays de la liberté, c’est frappant. Les mettre sur cette avenue, c’est les remettre dans l’espace public et c’était vraiment important pour ne pas les oublier « nous confie Ava.
Exposition jusqu’au 17 janvier 2022 sur les Champs-Élysées, de l’avenue de Marigny au rond-point des Champs Élysées.
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