Le 29 janvier dernier, Ursula von der Leyen a donné plus de détails sur l’ambitieuse feuille de route de la Commission européenne pour redresser l’économie des 27 face aux mastodontes américains et chinois. Sous l’appellation de « boussole pour la compétitivité », cette initiative doit viser à replacer le Vieux continent dans la course mondiale à l’attractivité. Mais avec un focus clair sur les entreprises, la transition environnementale risquerait-elle d’en pâtir ?
La présidente de la Commission européenne avait pourtant inclus la décarbonation dans ses axes prioritaires, aux côtés de l’innovation et de la sécurité. Une initiative définie comme « une approche et une série de mesures phares pour traduire chacun de ces impératifs en actions concrètes », indiquait la Commission.
« L’Europe a tout ce dont elle a besoin pour gagner. En même temps, nous devons corriger nos faiblesses pour regagner en compétitivité », déclarait Ursula von der Leyen.
La compétitivité comme priorité en Europe
Face à la pression des marchés mondiaux et à l’avantage compétitif de pays comme la Chine et les États-Unis, l’Europe cherche à renforcer ses industries clés, notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’automobile, et des technologies de l’information. L’heure est donc au changement de priorité pour l’Europe alors que les deux premières puissances mondiales ont creusé un fossé béant avec une Europe enlisée dans la stagnation. « Il est temps de relancer le moteur de l’innovation », avait annoncé la cheffe de l’exécutif européen après les annonces tonitruantes de Donald Trump en matière de protectionnisme ou d’investissements dans l’intelligence artificielle. Passé les effets d’annonce, il n’en demeure pas moins que le retour de Trump à la Maison-Blanche a agité les marchés et poussé le reste du monde à revoir ses priorités économiques.
Première mesure d’envergure suivie de près : le démantèlement des politiques vertes du président américain, avec un combat assumé contre les normes environnementales sur le sujet – notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie – ou toute forme de régulation considérée comme trop contraignante pour les entreprises. Sa politique du « drill baby, drill » confirme à nouveau son soutien à l’énergie fossile, avec des mesures favorisant le charbon, le pétrole et le gaz, souvent au détriment des énergies renouvelables. Ce changement de politique a des implications pour le climat mondial, avec des retards potentiels dans la transition vers une économie à faible émission de carbone.
Cette volonté de Donald Trump de se dédouaner des initiatives environnementales présente de gros risques pour le commerce international. Le nouveau cap affirmé par les États-Unis et l’Europe pourrait influencer les investissements en innovation, surtout dans les technologies vertes. Les divergences sur les politiques environnementales, elles, peuvent compliquer la coopération internationale sur les questions climatiques, et potentiellement ralentir les efforts mondiaux pour lutter contre le changement climatique.
L’élection de Donald Trump, un frein mondial pour la transition ?
L’un des décrets signés par Donald Trump dans la foulée de son investiture actait un nouveau retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, qu’il qualifiait d’« escroquerie injuste et unilatérale ». C’est la seconde fois que les États-Unis se retirent de cet accord international conclu il y a dix ans, et visant à maintenir la hausse du réchauffement climatique en dessous de 2 °C.
« L’Accord de Paris tient par son universalité, en contrepartie d’une absence de contraintes sur les politiques de réduction d’émissions. Donald Trump pourrait entraîner dans sa décision d’autres États. Je pense à l’Argentine qui a retiré ses négociateurs de la COP29 cet automne. Mais aussi au Venezuela, à la Russie, voire à certains pays européens comme la Hongrie, ce qui aboutirait à un véritable schisme », alertait auprès de Public Sénat François Gemenne, membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Et si en 2017, lorsque Donald Trump avait annoncé que les États-Unis quitteraient l’Accord de Paris, l’effet domino qu’il escomptait n’a pas eu lieu (de nombreux pays ayant au contraire redoublé leur engagement), l’Agence internationale de l’énergie s’attend en 2025 à ce que le marché mondial des technologies propres triple pour dépasser les 2 000 milliards de dollars d’ici 2035. « Les pays ont désormais conscience que leur prospérité future est étroitement liée à leur capacité à passer aux énergies propres », assurait Laurence Tubiana, l’une des négociatrices de l’Accord de Paris dans un éditorial publié par le Financial Times. Mais c’était sans compter sur Donald Trump, qui a indiqué vouloir miser à plein sur la production d’hydrocarbure, ce qui pourrait s’accompagner d’une hausse sensible des émissions de gaz à effet de serre, alors que la précédente administration s’était engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Donald Trump veut rendre les États-Unis non seulement « indépendants sur le plan énergétique », mais aussi « dominants sur le plan énergétique », et s’est engagé à réduire de moitié les prix du gaz naturel et de l’électricité, en grande partie via une augmentation de la production de gaz naturel. Cela pourrait creuser l’écart entre les prix de l’énergie dans l’UE et aux États-Unis, ce qui nuirait encore plus à la compétitivité industrielle de l’Europe. Sur ce point, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a appelé ce mercredi l’Union européenne à « se réveiller » pour innover « plus vite » face à « l’imprévisibilité » de la politique économique de Donald Trump.
La position environnementale de l’Europe comme avantage concurrentiel
Bien que l’Europe reste compétitive dans la lutte contre le changement climatique, elle réévalue désormais ses politiques, qui pourraient être perçues comme des entraves à la croissance économique, comme certaines régulations environnementales strictes. Le Green deal, ce plan qui prévoit la neutralité carbone dans l’Union européenne d’ici 2050, avait notamment fixé l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs dans les 27 pays d’ici 2025. Lorsque les règles européennes concernant les émissions de CO2 avaient été durcies au 1er janvier 2025, les ministres français de l’Industrie, Marc Ferraci, de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher et de l’Europe, Benjamin Haddad, ont poussé une tribune commune dans Les Échos dans laquelle ils demandent à la Commission européenne d’assouplir les normes à l’encontre de l’industrie automobile sur les émissions de CO2. Ces nouvelles règles pénalisent les constructeurs qui commercialisent des véhicules qui émettent plus de 95 g de CO2 par kilomètre, contre 116 g auparavant. Les ministres français ont demandé à Ursula von der Leyen d’étudier la piste d’un lissage des « objectifs sur plusieurs années » afin de réduire les contraintes de l’industrie automobile.
Ursula von der Leyen a nié ce potentiel renoncement aux engagements environnementaux du Pacte Vert, particulièrement la neutralité climatique de l’UE. « Les objectifs sont gravés dans le marbre : nous devons les atteindre d’ici à 2050. Il est absolument vital et nécessaire que nous y parvenions », a assuré la présidente de la Commission européenne lors d’une conférence de presse à Bruxelles le 29 janvier 2025. L’Union européenne doit concilier une croissance plus rapide de la productivité avec une transition réussie vers une économie verte. À long terme, le meilleur moyen pour l’UE de réduire l’écart de coût de l’énergie avec les autres économies pourrait bien être de poursuivre la transition vers une énergie propre. Une plus grande efficacité en matière d’énergie et de ressources créera également un avantage concurrentiel pour les entreprises européennes, tandis que la fabrication et les services autour des technologies propres émergentes pourraient être une source de croissance de la productivité. Pour ces raisons, et en réponse à l’urgence climatique, la décision d’Ursula von der Leyen de persévérer dans la réalisation de ses objectifs verts malgré les vents contraires politiques semble justifiée.
Malgré cette volonté réaffirmée, la question des moyens accordés à l’environnement se pose. Pour que l’Europe puisse relancer son activité et redevenir innovante, la Commission a fait le choix à travers sa « boussole pour la compétitivité » de revoir des dizaines de législations. En particulier un texte emblématique sur le devoir de vigilance des entreprises envers leurs sous-traitants ; un autre sur le reporting social et environnemental ; le règlement Reach pour protéger la santé humaine contre les risques liés aux substances chimiques ; ou encore la CSRD, une directive qui oblige les grands groupes à produire des rapports sur la durabilité de leurs activités. Une mission de simplification accélérée pour répondre aux inquiétudes des organisations patronales, tout en maintenant la trajectoire environnementale comme ligne de mire.
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