La pandémie du Covid-19 met en jeu la survie de l’entreprise en incapacité de voir la réalité telle qu’elle est. Seule une approche qui rééquilibre sa personnalité hyper-rationnelle lui offre les conditions nécessaires à sa survie.
Si vous pensez et agissez comme avant, combien de temps pensez-vous que votre entreprise survivra ? La pandémie du coronavirus balaie en continu tous les business plans et plonge les dirigeants dans une période d’incertitude sans précédent. Alors que les usines sont à l’arrêt pour la plupart, le chômage partiel mis en place, les scénarios financiers revus quotidiennement, le management, de son côté, s’applique à continuer “comme avant” en télétravail, espérant que la période de flottement soit de courte durée.
En vérité, l’entreprise joue actuellement sa survie car elle est en incapacité de voir la réalité telle qu’elle est. Seule une approche particulièrement attachée au contexte, à la recherche des contradictions et au leadership met en oeuvre ces conditions de survie puisqu’elle enrichit éminemment la réalité et navigue parfaitement dans l’ambiguïté.
L’entreprise, hyper-rationalisée, ne comprend pas la réalité
A l’image d’un match de tennis où les joueurs s’affrontent dans des conditions définies, l’entreprise s’est construite autour d’une réalité prédictible qui l’empêche de comprendre la crise qui la secoue. Alors que la demande se complexifie, de nouveaux concurrents apparaissent tous les mois et maintenant la crise du coronavirus menace sa pérennité, l’entreprise continue à fonctionner, comme il y a 20 ans, avec un process étouffant bien souvent la créativité, l’hyper-segmentation des tâches diluant la responsabilité, ou encore des strates de chefs ne sachant plus très bien décider.
Si tout est optimisé dans l’entreprise hyper-rationnelle pour simplifier l’interprétation du réel et privilégier les situations déjà connues, la capacité de raisonnement avec la prise en compte de l’ensemble de l’environnement est bien souvent négligée. Indicateurs, normes, masses de données, dates et chiffres, permettent bien évidemment de mieux piloter l’activité mais parfois contrarient le bon sens. Qui ne vit pas de longues et pénibles réunions liées au process au lieu de débattre d’idées pour développer le chiffre d’affaire immédiatement ?
Enfin, le virtuel favorisé par la diffusion de la technologie dans pratiquement tous les métiers accélère la confusion avec le réel. Le management se convainc, études à l’appui, que la confiance et l’esprit d’équipe sont entretenus avec visioconférence, messageries, tableaux de bord. Alors, comment expliquer que 84% des problèmes rencontrés par les équipes en télétravail sont résolus en plus de temps que ceux qui travaillent au bureau ? Un peu comme si chaque soldat espérait des performances équivalentes en s’entraînant autant sur écran dans son salon qu’avec son unité en condition réelle.
L’homme, composé à 70% d’émotions, ne comprend pas le sens de son travail
Le désengagement en France, c’est-à-dire le détachement émotionnel des salariés de l’objectif commun, culmine à 94%, un record en Europe, avec un coût colossal de 97 milliards d’euro. Ses manifestations telles que les négligences répétées, ignorance d’emails, absence de décision, retards, harcèlement moral, progressent dans de nombreux groupes et procèdent de la perte de sens alors même que la crise impose une implication inégalée de chacun.
Autonomie limitée hormis pour les tâches administratives, managers qui ne sont pas à leur place pour 82% d’entre eux, manque de reconnaissance et d’adhésion à la mission de l’entreprise sont quelques-unes des raisons de ce désengagement marqué en France. A quoi bon vouloir se dépasser quand la politique de rémunération ou de promotion n’est pas équitable? A quoi bon faire des team-buildings quand, de retour au bureau, cet élan spontané de joie, générosité, créativité s’envole en fumée? Contrairement à l’entreprise qui aime ce qui est prédictif, efficace, logique, mécanique, rentable, l’homme est de nature imprévisible, car vivant.
Nous promettons quelque chose et nous nous rétractons dans la foulée. Naturellement, nous aimons la liberté, les histoires ou encore la convivialité. Brouillons ou indisciplinés, à la fois étonnants et décevants, nous arrivons le matin au bureau pétris d’émotions et abordons la réalité à travers ce filtre bien personnel. Si nos émotions ne sont que peu exprimées d’ordinaire, la crise du Covid-19 a principalement cristallisé angoisse, colère, peur, tristesse. Comment transformer ces émotions en actions et en opportunités, c’est là toute la difficulté d’une entreprise qui n’est pas habituée à résoudre des problèmes humains complexes.
Leaders, recherche des contradictions et contexte pour développer l’entreprise
La crise qui nous traverse impose un changement immédiat de comportement et d’état d’esprit pour engager pleinement chacun dans la réalité. Et c’est à l’organisation de s’adapter autour de ce changement pour le soutenir efficacement, d’un point de vue structurel et fonctionnel: process, management, rémunération, etc.
Deux approches à essayer :
- la création d’équipes en réseau composées d’un noyau d’experts pluri-disciplinaires disposant d’un pouvoir de décision augmenté pour adresser les priorités/sujets opportuns. Ces équipes doivent avoir accès à toute l’information et au soutien du management jusqu’au plus haut niveau afin d’agir rapidement et ajuster/corriger selon les premiers résultats. Dans cette approche, la compréhension approfondie de l’environnement et du contexte sont privilégiées pour définir des offres et aider immédiatement les clients. Plus avant, il s’agit de mettre en lumière les contradictions de l’entreprise ; est-ce encore justifié de servir tous les clients de la même manière quand certains ne sont pas rentables ou peu stratégiques ?
- l’embauche de leaders, c’est-à-dire des personnes qui sont au service des autres et aiment profondément la nature humaine. Le leader a l’importante mission de connaître la valeur de chacun pour l’atteinte des résultats et également de faciliter les obstacles. Il agit efficacement aux côtés de chacun pour réengager les équipes par le biais d’une communication ouverte et transparente, notamment sur la réalité de la situation. Aussi, il donne confiance sur la capacité à faire face et enfin responsabilise chacun pour réussir non seulement la mission mais celle des autres membres. Ses principaux intermédiaires: conversations stratégiques entretenues, métaphores, grands récits, comportement exemplaire, capacité à inspirer pour se dépasser et atteindre l’objectif commun.
Parce que contrairement à la machine, l’homme est une grâce
A trop vouloir considérer l’homme comme un moyen de production, l’entreprise hyper-rationnelle se prive du seul élément vivant qui peut la sauver. Sans lui, la meilleure stratégie ou les plus beaux processes ne résisteront pas longtemps au Covid-19.
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits