Lors d’une interview avec Piers Morgan, le directeur du Comité suprême en charge de l’organisation de la Coupe du monde au Qatar est revenu sur le nombre de décès de travailleurs migrants sur les chantiers du Mondial.
Récemment, lors d’une interview avec l’animateur de talk-show Piers Morgan, Hassan Al Thawadi, le directeur du Comité suprême en charge de l’organisation du Mondial au Qatar, a laissé échapper que les organisateurs estimaient que 400 à 500 travailleurs étaient morts sur les chantiers de la Coupe du monde.
Il s’agit d’une affirmation stupéfiante, car pour la première fois, les estimations officielles du Qatar concernant le nombre de victimes lié à l’organisation de la Coupe du monde dépassent la centaine. Cette affirmation est également étonnante en raison de la désinvolture avec laquelle Hassan Al-Thawadi a laissé échapper ce chiffre. Par ailleurs, cette déclaration ne faisait pas partie d’un rapport officiel ou d’une enquête et la manière dont l’information a été rapportée laissait entendre qu’elle n’avait pas beaucoup d’importance.
Hassan Al-Thawadi a agrémenté son intervention de toutes les bonnes phrases. « Un mort, c’est déjà trop, c’est aussi simple que cela », a-t-il affirmé. Cependant, il est clair qu’un mort n’est pas de trop, ou même 500, pour cette Coupe du monde qui est un véritable exercice de soft power et de politique. Les conditions de travail s’améliorent, a affirmé Hassan Al-Thawadi. Cela fait douze ans que le Qatar a choqué le monde en obtenant le droit d’accueillir une Coupe du monde dans des stades qui n’existaient pas encore. Il a eu plus d’une décennie pour ramener les conditions de travail à des niveaux humains. Pourtant, chaque jour de la Coupe du monde, des reporters mettent en lumière des cas de mauvais traitements et d’exploitation.
Au cœur de la situation difficile, des souffrances et des décès des travailleurs migrants se trouve le tristement célèbre système de la kafala, qui prévaut dans tous les pays du Golfe. En arabe, kafala signifie littéralement « tutelle ». Celle-ci lie un travailleur étranger à un sponsor et confère à ce dernier « des pouvoirs incontrôlés sur les travailleurs migrants, ce qui leur permet d’échapper à l’obligation de rendre des comptes en cas d’abus en matière de travail et de droits humains, et laisse les travailleurs redevables de dettes et dans la crainte constante de représailles », selon Human Rights Watch. Le Qatar prétend que la kafala a été abolie, mais la réalité sur le terrain suggère que cette abolition n’est rien de plus qu’une réforme sur le papier et non dans les faits.
L’année dernière, le Guardian a écrit que 6500 travailleurs migrants étaient morts en construisant les stades pour la Coupe du monde et les infrastructures connexes, ce qui a suscité une tempête de protestations dans certains pays d’Europe occidentale.
La question la plus importante que la déclaration d’Hassan Al-Thawadi a fait remonter à la surface est peut-être le chiffre lui-même. Pendant la majeure partie de la préparation de la Coupe du monde, le nombre de victimes parmi les travailleurs cité par le Qatar était de 37. Aujourd’hui, si l’on en croit Hassan Al-Thawadi, ce nombre s’élève à 500, ou, selon ses propres termes, « entre 400 et 500. Je n’ai pas le chiffre précis, c’est quelque chose qui est en cours de discussion. »
« Il semblait, d’après cette citation, que les hauts responsables au Qatar étaient encore en train de “décider” du nombre de morts qu’ils choisiraient, pour contrer les morts réels », a écrit le journaliste britannique Nick Harris sur Twitter.
Il est inimaginable que le Comité suprême n’ait pas été au courant de la mort des travailleurs, compte tenu de la mainmise du Qatar sur ce que les migrants peuvent et ne peuvent pas faire dans cet État du Golfe. Peut-être que la nouvelle révélation d’Hassan Al-Thawadi est un chiffre de compromis ?
De multiples enquêtes et études indépendantes affirment que plus de 6000 personnes sont mortes en travaillant sur les infrastructures du Qatar avant la Coupe du monde. Les tours de magie et les illusions que le Qatar a réalisés pour réduire ce chiffre au minimum sont bien plus impressionnants que tout ce qu’ils ont montré pendant la Coupe du monde.
Le décès d’un ouvrier en parfaite santé pendant la construction du stade est considéré comme une mort naturelle, simplement parce que rien ne lui est tombé dessus ou qu’il n’est tombé de nulle part. On ne mentionne pas les conditions de travail inhumaines, la chaleur impitoyable ou les longues heures de travail. Tous ces facteurs ont joué un rôle dans des milliers de décès « naturels » de travailleurs.
S’il y a une chose pire que de tuer ces personnes, c’est d’effacer leur existence même. C’est exactement ce que fait le Qatar en n’étant pas honnête sur les décès de travailleurs liés à la Coupe du monde.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Samindra Kunti
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