Le mot d’ordre est clair. De Washington à Paris en passant par Berlin, les gouvernements des pays occidentaux ont tous décidé la semaine dernière de soutenir les entreprises et l’économie. Et qu’ils ne lésineraient pas sur les moyens pour amortir le choc majeur infligé par le coronavirus à l’économie.
En l’espace de trois jours, les grands de ce monde ont mis la main à la poche dans des proportions impensables encore quelques semaines plus tôt, à une époque désormais brutalement révolue où l’orthodoxie budgétaire régnait alors en maître : un plan de relance de 34 milliards d’euros annoncé par Boris Johnson au Royaume-Uni, des « dizaines de milliards d’euros » promis par les ministres Peter Altmaier et Olaf Scholz pour protéger les entreprises allemandes, tandis qu’Emmanuel Macron s’engageait pour sa part devant les Français le 12 mars au soir à vouloir protéger « quoi qu’il en coûte » les entreprises percutées par les impacts en chaîne de l’épidémie.
Des annonces à la hauteur du tsunami financier provoqué de toute pièce par une crise sanitaire d’une ampleur inégalée depuis l’épouvantable grippe espagnole qui s’était déclarée à l’été 1919, laissant sur son passage plus de 20 millions de morts aux quatre coins du monde.
Car les marchés financiers ont littéralement dévissé jeudi dernier un peu partout, le CAC 40 perdant -12,28%, plus forte baisse de son histoire en une seule journée, pour finir la séance à un peu plus de 4 000 points seulement. Même déconfiture dans toute l’Europe, qualifiée par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S) de nouvel « épicentre » de l’épidémie, sans que Francfort (-12%), Londres (-10%) et a fortiori Milan dans un pays entièrement confiné (-17%) ne puissent échapper à ce reflux.
Dans cet environnement instable où les mauvaises nouvelles succèdent chaque jour aux mauvaises nouvelles, avec une population contaminée qui vient de dépasser les 150 000 personnes à travers le monde, les institutions internationales se sont elles aussi porté au secours de l’économie.
Ce même « jeudi noir » sur les places boursières, Christine Lagarde annonçait que la Banque Centrale Européenne (BCE) allait débloquer une enveloppe de 120 milliards d’euros pour permettre aux banques de continuer à accorder des prêts aux entreprises et aux ménages.
Deux jours plus tôt, une réunion des chefs de gouvernement de la zone euro avait abouti à une première décision solidaire : la création d’un fonds de 25 milliards d’euros pour venir en aide aux secteurs les plus vulnérables, la commission européenne arbitrant pour sa part en faveur d’un premier assouplissement budgétaire. Dorénavant, toute dépense budgétaire exceptionnelle engagée pour lutter contre l’épidémie de covid-19 ne sera pas prise en compte dans l’évaluation du déficit public des pays concernés.
De quoi être rassuré quand on est une petite et moyenne entreprise en dépit de l’effondrement de son activité, rongée par la contraction des échanges internationaux ?
On peut en douter. Car certains secteurs d’activité – comme les transports aériens, l’événementiel, le commerce ou encore les entreprises de voyage- ont déjà perdu jusqu’à 80% de leur chiffre d’affaires depuis quelques semaines sous l’effet combiné des dernières grèves (liées au débat sur les retraites depuis décembre 2019) et des baisses de fréquentation depuis l’arrivée du virus en provenance de la Chine.
Il faut le reconnaître: le gouvernement français n’a pas été le dernier à dégainer pour voler au secours des entreprises, menacées d’asphyxie par l’actuelle crise sanitaire. Après les déclarations publiques du président de la République, son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire a fait feu de tout bois pour rassurer vendredi 13 mars, annonçant pêle-mêle la création d’un fonds de solidarité pour les TPE, une garantie étendue de l’Etat à travers BPI France pour les prêts de trésorerie ou encore la possibilité de reporter les charges sociales et fiscales pour les entreprises ainsi que l’amélioration du dispositif de couverture financière du chômage partiel pour les employeurs.
Des mesures saluées par les organisations patronales et les fédérations professionnelles.
Rien que l’extension de la garantie d’Etat de 70 à 90% devrait permettre, selon le directeur général de BPI France, Nicolas Dufourcq, d’injecter plus de 3 milliards d’euros de crédit dans l’économie française dans les prochaines semaines. Et sans doute davantage si cela devait s’avérer nécessaire.
C’est bien. Pourtant la mobilisation du gouvernement français et celle de ses homologues européens et occidentaux pose question. A la fois parce qu’elle s’est faite en ordre bien trop dispersé, mais aussi parce que le choc infligé par le coronavirus est d’une telle violence pour des PME déjà fragilisées dans leur trésorerie et souvent endettées qu’il appelle des mesures beaucoup plus fortes encore pour espérer l’amortir et prétendre relancer la machine économique une fois le pic pandémique passé.
Si l’on veut éviter les défaillances en chaîne dans notre tissu productif, il faut non seulement aller vite mais frapper fort. Très fort.
Première source d’amélioration sur laquelle plancher en priorité : la coordination des actions menées par les banques centrales. Pourquoi ne pas embrayer très vite sur le précédent que constitue la décision de la Banque d’Angleterre, qui a décidé de ramener son taux de refinancement de 0,75% à 0,25% au cours des derniers jours ?
Une action qui supposerait une coordination accélérée de la Réserve fédérale américaine, de la BCE et de la Banque du Canada.
Second front: la rigueur budgétaire. Un premier geste a été fait au niveau européen avec la décision d’assouplissement de la doctrine budgétaire de l’Union la semaine dernière. Il devra s’accompagner de décisions beaucoup plus fortes encore lors de la réunion de l’Eurogroupe ce lundi 16 mars à Bruxelles.
Mais c’est probablement à un niveau plus large encore que celui de la zone euro qu’il faut envisager une coordination budgétaire exceptionnelle. Une opportunité se présente: tirer parti du sommet du G7 exceptionnel prévu ce jour pour coordonner l’action des grandes puissances économiques occidentales contre le coronavirus sur les volets sanitaire, économique et financier.
Soulager les tensions de trésorerie que nos entreprises vont connaitre et les aider à préparer la reprise au plus vite s’impose à nous comme un défi considérable, nécessitant aussi des réponses à l’échelle nationale.
A côté des mesures d’urgence déjà annoncées il y a quelques jours par le gouvernement, notre pays doit réfléchir sans tarder à un aménagement de la loi de finances pour 2020. Il s’agit dans ce nouvel environnement de crise dans lequel nous entrons de prendre de nouvelles dispositions fortes pour soutenir l’investissement des entreprises et la demande.
Des idées radicales commencent à circuler. On se doit, compte tenu de la situation d’une exceptionnelle gravité, de les étudier sans a priori. Ainsi, s’il est vrai a priori que distribuer des chèques aux Français, comme le suggère Nicolas Goetzmann (Financière de la cité) dans une interview au journal Le Figaro ces derniers jours, pourrait être regardé comme une manière de jeter de l’argent par les fenêtres compte tenu des effets sur la dépense publique que cela occasionnerait, ce moyen, également évoqué par l’économiste américaine Claudia Sahm, comme le plus efficace parmi les différents instruments de relance étudiés par elle, pourrait aussi créer un choc psychologique suffisamment fort adressé à l’économie française. Dans cette hypothèse, il devrait alors être comparé dans ses résultats escomptés avec le coût qu’il représenterait, évalué à un peu plus de 30 milliards (soit 1,3% du PIB) pour nos finances publiques pour 500 euros distribués par habitant et jusqu’à 2 000 pour une famille de quatre personnes.
De manière plus orthodoxe, un instrument contracyclique qui a fait davantage ses preuves pourrait être mobilisé : stimuler l’investissement des entreprises. Continuer à baisser les taux, réduire drastiquement les impôts de production aussi car pénalisant toujours notre compétitivité, ou encore augmenter la dépense publique pour stimuler la consommation, sont des pistes sérieuses à examiner.
Avec les mesures de confinement qui s’imposent pour endiguer la pandémie et dont nul ne semble savoir précisément le terme, il faut se préparer à payer cher, très cher, la crise du coronavirus sur le plan économique. La BCE, encore bien trop optimiste, a ramené ses prévisions de croissance pour la zone euro en 2020 à +0,5% (après +1,1% estimés en décembre dernier). C’est bien à une récession économique majeure à laquelle nous n’échapperons pas cette année. Il n’est donc plus question de demi-mesures mais de constituer un véritable « bouclier anti-crise », afin de contenir les défaillances d’entreprises et les pertes d’emplois dès les prochains mois.
Au milieu du cauchemar et de la crise, autorisons-nous à rêver un peu. Et si le coronavirus pouvait être l’occasion tant attendue, à côté des épreuves qu’il nous inflige, d’enfin ressusciter une coordination internationale et européenne aujourd’hui encore en berne ? Et si, à l’intérieur de nos propres frontières, l’unité nationale pouvait revenir dans un pays qui en a tant besoin de se rassembler, lui qui est en proie depuis de trop longs mois à de graves et pénalisantes divisions qui ralentissent sa marche en avant? Le coronavirus est un poison pour l’Homme et les Etats. Il doit être aussi une source d’inspiration pour la gouvernance mondiale et notre cohésion nationale.
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