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Comment Vladimir Potanine, l’oligarque le plus riche de Russie, développe-t-il son empire financier à l’abri des sanctions occidentales ?

Vladimir Potanine
Il est l'oligarque le plus riche de Russie, et pourtant, il échappe aux sanctions de l'Occident (à l'exception du Canada). Qui est Vladimir Potanine ? | Source : Getty Images

Après plusieurs dizaines d’années passées entre New York et Moscou, Vladimir Potanine est en train de construire un mastodonte du secteur bancaire, qui pourrait « devenir la plus grande banque privée de Russie. »

 

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le président américain Joe Biden et ses confrères européens ont pris pour cible les oligarques russes et leur « fortune mal acquise » en procédant à des saisies et à des gels d’avoirs. Toutefois, l’oligarque le plus riche de tous, Vladimir Potanine, n’est pas visé par les sanctions occidentales. Il continue de développer son empire commercial. Il a notamment conclu trois transactions dans le domaine des services financiers le mois dernier.

Le 11 avril, Interros, la holding d’investissement de Vladimir Potanine, a racheté Rosbank à la Société Générale, qui avait acheté le groupe bancaire russe à l’oligarque russe au cours d’une série de transactions entre 2006 et 2014. Un ancien employé de la SocGen a déclaré à Forbes qu’il s’agissait d’une « affaire fantastique » pour Vladimir Potanine.

Le 28 avril, Oleg Tinkov, le fondateur de la Tinkoff Bank, l’une des plus grandes banques privées de Russie, a vendu sa société à Interros pour un montant non divulgué après avoir dénoncé publiquement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Oleg Tinkov a déclaré à Forbes qu’il avait été « forcé » par le Kremlin à vendre ses actions pour environ 3 % de leur valeur réelle.

La semaine dernière, le groupe Interros a fait l’acquisition de United Card Services, la branche russe de la société de paiements américaine Global Payments Inc. (les conditions de la transaction n’ont pas été divulguées). L’opération a été « réalisée dans l’intérêt du développement des activités bancaires du groupe Interros », selon un communiqué de presse.

« Il semble qu’une décision ait été prise pour consolider certains actifs dans les services financiers non pas dans les mains des banques d’État, mais dans celles d’un groupe privé loyal », déclare Vladimir Milov, dissident politique et économiste russe en exil. « Potanine a été particulièrement loyal envers Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir. »

Quiconque connaît l’histoire de l’ascension de Vladimir Potanine ne sera pas surpris par ses récentes victoires : capitaliser sur la tourmente est la spécialité de l’oligarque. Ce financier et magnat des métaux de 61 ans a bâti sa fortune dans le chaos des années 1990, tout d’abord en organisant le tristement célèbre système de « prêt contre actions », un arrangement qui a permis à Vladimir Potanine et à un petit groupe d’hommes d’affaires bien placés de prendre le contrôle d’actifs publics précieux dans le domaine de l’énergie et des matières premières à des prix avantageux. Ce système a jeté les bases de l’oligarchie et de la kleptocratie en Russie et a permis aux oligarques de surmonter la crise financière russe de 1998 grâce à des transferts d’actifs douteux.

Vladimir Potanine fait partie des quelques magnats de l’ère Eltsine qui se trouvent encore en Russie et qui ont échappé à toute sanction occidentale importante (seul le Canada l’a sanctionné). Sa société Nornickel, le plus grand producteur mondial de nickel et de palladium raffinés, continue de produire des métaux pour des clients du monde entier, en particulier pour l’Europe. L’année dernière, Nornickel a fourni 27 % des importations européennes de nickel, selon le cabinet de conseil en ressources naturelles Wood Mackenzie. L’installation de production de matériaux pour batteries de Nornickel en Finlande, construite en partenariat avec le géant allemand de la chimie BASF, est un pilier essentiel du programme environnement de l’Union européenne (UE). Nornickel est également un acteur incontournable des marchés mondiaux du palladium : la société produit environ 35 % du palladium mondial, un métal rare utilisé dans les semi-conducteurs et les voitures.

Vladimir Potanine a habilement partagé son temps entre le Kremlin et l’Occident. Il a financé un investissement de deux milliards de dollars pour les Jeux olympiques de 2014 en Russie, tout en finançant des institutions culturelles américaines et en siégeant dans des conseils d’administration prestigieux. Il a côtoyé des dirigeants démocratiquement élus lors de conférences d’affaires tout en continuant à conclure des accords avec d’autres oligarques. Comme son homologue plus connu Roman Abramovitch, Vladimir Potanine a profité du meilleur des deux mondes pendant plus de deux décennies.

« Potanine a toujours été l’opportuniste ultime », déclare Stanislav Markus, professeur de commerce à la University of South Carolina, qui se concentre sur l’économie post-soviétique. « Du système de prêts contre actions, à ses affrontements avec Oleg Deripaska au sujet de Nornickel, en passant par la construction philanthropique de ponts avec des acteurs occidentaux et, maintenant, par son interprétation pertinente du réajustement du pouvoir en Russie. »

Cette interprétation du réajustement du pouvoir en Russie inclut, semble-t-il, la décision de l’oligarque de redomicilier ses principaux investissements avant le début de la guerre en Ukraine. Le 10 décembre 2021, alors que Vladimir Poutine rassemblait les forces armées à la frontière ukrainienne, Vladimir Potanine a déménagé le siège d’Interros Capital, une filiale du groupe Interros qui détient la participation de l’oligarque de 31,5 % dans Nornickel, de Chypre à l’île Rousski, une région administrative spéciale dans le golfe de Pierre-le-Grand (l’une des deux régions « offshores russes » que Vladimir Poutine a créées en 2018 pour attirer les capitaux russes chez eux, par le biais d’incitations fiscales).

À l’annonce de son retour en Russie, le groupe Interros a promis de « devenir un investisseur de référence » dans l’Extrême-Orient russe, région la plus pauvre du pays. Cet engagement, qui rappelle les investissements de Roman Abramovitch dans la région orientale de Tchoukotka lorsqu’il y était gouverneur, comprend le financement du vaste projet touristique du parc des Trois Volcans dans la péninsule montagneuse du Kamtchatka.

Vladimir Potanine compte également un ami important : Andreï Klishas, ancien président de Nornickel, qui préside aujourd’hui le Comité de la législation constitutionnelle et du renforcement de l’État du Conseil de la Fédération de Russie. Andreï Klishas a été l’une des figures clés des réformes constitutionnelles russes de 2020, qui ont permis au président Vladimir Poutine de rester au pouvoir. « Klishas est la figure la plus importante qui pousse la législation stratégique orchestrée par le Kremlin », explique Vladimir Milov, « et il reste très proche de Potanine. »

Les autorités américaines et européennes n’ont donné aucune explication à l’absence de sanctions visant Vladimir Potanine. Paloma Hall Caballero, porte-parole de la Commission européenne, a refusé de commenter le statut de l’oligarque au regard des sanctions, mais a ajouté que « rien n’est exclu. » Le Trésor américain n’a pas répondu à la demande de commentaire de Forbes. Beaucoup soupçonnent Vladimir Potanine d’avoir évité les sanctions en raison de la dépendance importante de l’Occident vis-à-vis de Nornickel.

Si la société Nornickel était touchée par des sanctions, « cela entraînerait une perturbation de la demande, car il est très difficile de remplacer les unités perdues [et] l’Europe est la plus exposée », déclare Nikhil Shah, responsable de la recherche sur le nickel au sein de la société d’intelligence économique CRU Group. Bien que les États-Unis dépendent davantage du Canada que de la Russie pour leurs importations de nickel, des sanctions de la part des États-Unis ou de l’UE feraient grimper les prix partout dans le monde, selon Nikhil Shah.

 


Les revenus de Nornickel, qui étaient de 3,1 milliards de dollars en 2003, ont atteint les 17,1 milliards de dollars en 2007. La capitalisation boursière de la société est passée de quatre milliards de dollars à 28 milliards de dollars au cours de la même période


 

« Potanine est actif dans le secteur du nickel et du palladium, qui est vital pour l’industrie de l’UE », explique Sebastiaan Bennink, associé chez BenninkAmar, un cabinet d’avocats néerlandais spécialisé dans les sanctions commerciales. « C’est également la raison pour laquelle l’importation de nickel est exclue des nombreuses interdictions prévues par la réglementation de l’UE en matière de sanctions. »

Si seul Vladimir Potanine, et non sa société, était sanctionné, les entreprises occidentales traiteraient la société Nornickel comme si elle avait été pénalisée, même si l’oligarque détient moins de 50 % de la société, un seuil clé dans la législation sur les sanctions, déclare Viktor Winkler, juriste spécialisé dans les sanctions et ancien responsable des normes mondiales en matière de sanctions à la Commerzbank AG, basée en Allemagne. Les banques et les sociétés européennes éviteraient Nornickel « simplement en raison de la nature très médiatisée de l’engagement de Potanine dans la société », déclare Viktor Winkler. « Ils appelleraient tous cela une RBA, une approche fondée sur le risque, mais en réalité, ce serait tout simplement de l’anxiété. »

en 1961 dans une famille aisée de membres du parti communiste, Vladimir Potanine a fréquenté l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, un établissement d’élite, au début des années 1980, avant d’obtenir un emploi au ministère du Commerce extérieur. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée en 1991, Vladimir Potanine a créé sa holding Interros, spécialisée au début dans le négoce de métaux non ferreux. Il s’est rapidement associé à Mikhaïl Prokhorov pour créer le groupe bancaire Oneximbank, qui a profité des premiers jours de la vague de privatisations en Russie.

Les deux associés ont consolidé leur fortune pendant (et grâce à) la campagne de réélection de Boris Eltsine, premier dirigeant démocratiquement élu de la Fédération de Russie, en 1996. Impopulaire dans les sondages, accablé par un déficit public massif et confronté à la résurgence du parti communiste, le président Eltsine avait besoin d’un soutien financier pour sa campagne et son gouvernement avait besoin d’être renfloué. Craignant les prises de contrôle par l’État et sentant l’opportunité qui s’offrait à lui, Vladimir Potanine a été le fer de lance de la création du système de prêt contre actions. L’opération est complexe sur le plan financier, mais son essence est simple. En échange d’un prêt au gouvernement russe, accablé par les déficits, et d’une aide au financement de la campagne de réélection d’Eltsine, Vladimir Potanine et quelques riches hommes d’affaires ont reçu des actions de 12 sociétés énergétiques et minières d’État sous la forme de « baux ». Ces baux devaient ensuite se transformer en propriété si, et seulement si, Eltsine remportait l’élection (ce qui fut le cas).

« Tout le plan avait été conçu par Vladimir Potanine », déclare Daniel Treisman, professeur de sciences politiques à la University of California, à Los Angeles, et spécialiste de la politique post-soviétique. L’oligarque avait « essentiellement élaboré les détails » de l’opération, avec l’économiste Anatoly Chubais, alors vice-premier ministre chargé de la politique économique et financière, qui avait pour mission de diriger les efforts de privatisation.

Après avoir pris des parts dans Nornickel, Vladimir Potanine a brièvement servi dans le gouvernement du président Eltsine en tant que vice-premier ministre, tandis que son partenaire, Mikhaïl Prokhorov, a continué à superviser les opérations commerciales de Nornickel. La société de production de métaux a connu une croissance rapide, grâce à la réorganisation de l’entreprise par Prokhorov et au boom mondial des matières premières. Les revenus de Nornickel, qui étaient de 3,1 milliards de dollars en 2003, ont atteint les 17,1 milliards de dollars en 2007. La capitalisation boursière de la société est passée de quatre milliards de dollars à 28 milliards de dollars au cours de la même période.

 


« Vladimir Potanine a fait preuve d’une intelligence exceptionnelle pour cultiver les partenaires occidentaux par le biais de la philanthropie, [et] de son engagement auprès des institutions culturelles », déclare Stanislav Markus


 

Cependant, Vladimir Potanine a failli tout perdre pendant la crise financière russe de 1998, lorsqu’une ruée sur le rouble a décimé la valeur des participations des oligarques. Ainsi, il a dépouillé Oneximbank d’actifs précieux, ce qui a eu pour effet de préserver sa fortune personnelle tout en faisant porter le poids du passif aux actionnaires étrangers de la banque. Selon David Lingelbach, professeur de commerce à la University of Baltimore, qui a vécu en Russie pendant dix ans, de 1995 à 2005, Vladimir Potanine était « agressif dans cette pratique » du démembrement des actifs.

Après l’arrestation de Mikhaïl Prokhorov pour avoir sollicité des prostituées en France (il a nié tout acte répréhensible et n’a jamais été inculpé), Vladimir Potanine a poussé son ancien partenaire à démissionner de Nornickel en 2007, puis à lui vendre sa participation dans la société au rabais. À son tour, Mikhaïl Prokohorov a poussé son ancien partenaire à négocier, mais il s’est finalement vendu à un autre oligarque : Oleg Deripaska et sa société UC Rusal. « Parfois, un joueur fort peut être trop confiant », a déclaré sournoisement Mikhaïl Prokhorov à Forbes en 2009. Toutefois, Vladimir Potanine a eu sa revanche. Mikhaïl Prokhorov, qui a ensuite acheté les New Jersey Nets, a rapidement reçu une lettre l’informant qu’il ne pouvait plus pratiquer de sports nautiques sur la base d’entraînement de la réserve d’Istra, une propriété qui appartenait à Interros. Sommé de retirer son équipement entreposé là, Prokhorov aurait demandé : « Est-ce que [Potanine] peut aussi me forcer à quitter ma maison ? »

Pendant ce temps, Vladimir Potanine cultivait des relations avec des courtiers occidentaux en énergie. Il a signé le Giving Pledge, créé par Warren Buffett et Bill et Melinda Gates pour inciter les milliardaires à consacrer au moins la moitié de leur fortune à des œuvres caritatives. Il a siégé au conseil consultatif du Council on Foreign Relations, basé à New York, et a été administrateur de la fondation du musée Guggenheim (il s’est discrètement retiré de ces deux conseils après l’invasion russe en Ukraine). Le groupe de bienfaisance de Vladimir Potanine a fait don de plus de 5,5 millions de dollars au Kennedy Center for the Performing Arts. Il a également donné généreusement à l’université d’Oxford et a offert plus de 250 œuvres d’art russes au Centre Pompidou en 2016.

« Vladimir Potanine a fait preuve d’une intelligence exceptionnelle pour cultiver les partenaires occidentaux par le biais de la philanthropie, [et] de son engagement auprès des institutions culturelles », déclare Stanislav Markus. « Ces relations peuvent s’avérer précieuses pour protéger les droits de propriété des oligarques » et les aider à éviter les sanctions.

Bien sûr, Vladimir Poutine a également reçu l’attention de Vladimir Potanine. L’oligarque a investi plus de deux milliards de dollars (400 millions de dollars de sa propre fortune, le reste provenant d’un emprunt d’État) dans l’immense station de ski Rosa Khutor à Sotchi. Le complexe a été construit pour un important projet du président russe. La station accueille toujours plus de deux millions de visiteurs par an et est détenue par Interros. Vladimir Potanine affirme avoir imaginé de créer pour la première fois une « station de ski de montagne de classe mondiale en Russie » en 2002, lors d’une escapade de ski en Autriche avec le président russe. Plus récemment, Vladimir Potanine a chargé Sergueï Batchine, le directeur général de Rosa Khutor, de diriger la construction de son nouveau pôle touristique dans l’Extrême-Orient russe.

Les relations de Vladimir Potanine auraient pu l’aider en mai 2020, lorsqu’un vieux réservoir de carburant de Nornickel a laissé échapper 150 000 barils de diesel dans son centre arctique isolé de Norilsk (la ville de 200 000 habitants qui a donné son nom à l’entreprise de Vladimir Potanine). Vladimir Poutine a humilié l’oligarque en direct à la télévision, Nornickel a payé une amende de deux milliards de dollars et a financé le nettoyage, mais l’empire commercial et la fortune de Vladimir Potanine n’ont pas été touchés.

Alors que la guerre de la Russie en Ukraine se poursuit, les autorités occidentales pourraient encore changer d’avis sur Vladimir Potanine. Mercredi 4 mai, l’UE a annoncé son intention d’éliminer les importations de pétrole russe d’ici la fin de l’année. Les États-Unis ont également intensifié leur pression sur les oligarques ces dernières semaines, annonçant une nouvelle procédure simplifiée pour la saisie des biens des oligarques.

Les récents investissements de Vladimir Potanine dans des actifs de services financiers basés en Russie pourraient contribuer à l’immuniser contre toute tempête à venir. En attendant, Vladimir Milov, le dissident en exil, pense que l’oligarque ne fait que commencer. « Je pense qu’il est probable qu’Alfa Bank connaisse bientôt le même sort que Tinkoff », affirme-t-il, faisant référence à l’autre grande banque privée russe dont les dirigeants milliardaires, Mikhaïl Friedman, German Kahn, Alexeï Kouzmitchev et Pyotr Aven, ont tous été sanctionnés par l’UE, le Royaume-Uni, les États-Unis ou les trois. « Il y a une grande ouverture. Vladimir Potanine a de l’expérience dans le secteur bancaire, et il voit l’ouverture. Il pourrait devenir la plus grande banque privée de Russie. »

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : John Hyatt

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