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Comment Qobuz s’impose comme le “Hermès de la musique”

Qobuz, la plateforme de téléchargement et de streaming musical française, vient de continuer son expansion à l’international en s’implantant au Japon, deuxième marché économique mondial dans le secteur musical. Après des difficultés financières en 2015, l’entreprise a su changer de stratégie et a réussi à se repositionner sur le marché afin de devenir un acteur incontournable du streaming musical à l’international.


Dans l’univers du streaming musical, dominé par des géants tels que Spotify ou Deezer aux moyens colossaux, une petite entreprise française fait figure d’exception. Depuis 2007, Qobuz, une plateforme de téléchargement et de streaming musical française trace sa route, portée par un positionnement unique : offrir à ses utilisateurs une qualité sonore inégalée et une expérience musicale haut de gamme qui va au-delà de la seule écoute. En cette fin d’année 2024, la plateforme a franchi une nouvelle étape en s’implantant au Japon, deuxième marché mondial de la musique. Cette expansion illustre la manière dont l’entreprise a su surmonter ses difficultés financières, elle qui était en grandes difficultés il y a presque dix ans.  

Fondée en 2007 par Yves Riesel et Alexandre Leforestier, deux passionnés de musique classique, Qobuz voit le jour avec une ambition claire : faire découvrir de la musique à des passionnés en proposant une offre en haute résolution audio. «. Nous ne sommes pas dans la course au volume, mais dans la recherche d’une qualité sonore et d’une expérience utilisateur inégalées », déclare Georges Fornay, directeur général délégué de Qobuz, que Forbes a pu rencontrer. En effet, sur une plateforme de streaming classique la musique proposée est au format MP3, alors que sur Qobuz, il est aux formats WAV et AIFF, 29 fois plus performants que le format MP3, soit le même standard que celui des studios d’enregistrement. 

Aujourd’hui, avec 20 millions de titres en haute résolution (sur leur catalogue de 100 millions de titres) et forte d’un ancrage dans 26 pays depuis son arrivée au Japon, l’entreprise française se positionne comme la référence sur le marché mondial du téléchargement et de streaming musical de haute qualité. 

Georges Fornay, dans les locaux de Qobuz. ©Maurice Midena

 

Une période de turbulences : surmonter les difficultés financières de 2015

Pourtant, en 2015, Qobuz est placée en redressement judiciaire suite à son incapacité à lever les fonds suffisants pour accompagner leur développement. « À l’époque, la société perdait beaucoup d’argent, près de 80 % de son chiffre d’affaires, ce qui était colossal », explique Georges Fornay. Le chiffre d’affaires, trop modeste par rapport à la taille de l’équipe,ne parvenait pas à couvrir des coûts salariaux importants tout en assurant un modèle économique rentable pour l’entreprise.

Plutôt que de sombrer, Qobuz trouve un nouveau souffle grâce à l’arrivée de Denis Thébaud en 2015. Investisseur français et entrepreneur aguerri, il est le fondateur de la société Innelec Multimédia qui est aujourd’hui le leader français de la distribution de jeux vidéo (fondée en 1983, 108 millions de CA en 2019) Il devient l’actionnaire majoritaire de la plateforme et redéfinit la trajectoire de cette dernière. « Quand Denis est arrivé, il a repris Qobuz avec un projet initial ambitieux, celui de créer un « Amazon culturel », mais il s’est rapidement concentré sur le cœur de l’entreprise : la musique », raconte Georges Fornay. Recruté par Denis Thébaud, Georges Fornay arrive en 2019. Ancien dirigeant de Sony et artisan du succès de la PlayStation en Europe, il a participé à redéfinir la stratégie de l’entreprise. En tant que directeur général délégué depuis 2020, il supervise la relance de Qobuz en s’appuyant sur trois axes : refinancement, repositionnement de l’offre et internationalisation.

À la suite du redressement judiciaire en 2015, Qobuz s’est repositionné sur le marché en investissant dans une double stratégie pour augmenter son chiffre d’affaires et afin d’assurer sa survie. L’entreprise a d’abord injecté des fonds pour stabiliser ses opérations et regagner la confiance des labels, notamment en réglant les impayés et en optimisant le fonctionnement quotidien de son service. « Quand Denis Thébaud a repris l’entreprise, elle était quasiment en cessation de paiements », se rappelle Georges Fornay. 

“L’objectif principal, c’était déjà de retrouver des fonds suffisants pour que la plateforme fonctionne correctement et que les clients ne soient pas déçus s’ils viennent l’essayer et puis repartent aussitôt. Il s’agissait aussi d’investir dans le marketing pour se créer une identité unique et fidéliser les clients.” raconte Georges Fornay. En choisissant de proposer une offre musicale en haute définition, il était nécessaire d’effectuer une transformation technique en interne du système afin de pouvoir supporter des fichiers plus lourds.L’enjeu n’était pas de faire grossir le catalogue mais d’en conserver la qualité. 

Plutôt que de rivaliser directement avec des géants comme Spotify, Deezer ou Apple Music, Qobuz opte pour une stratégie de niche, essentiellement centrée sur une approche qualitative du produit et du marché. L’entreprise a entrepris son rebranding en se concentrant sur un marketing ciblé sur une clientèle plus âgée, généralement au-delà de 40 ans; et une expansion tournée vers l’international. L’objectif pour l’entreprise étant de se rendre profitable en réalisant un chiffre d’affaires de moins de 100 millions d’euros, là où les géants Spotify et Deezer réalisent respectivement 13 milliards et 500 millions d’euros de chiffres d’affaires.

 

Streaming luxueux

Fidèle à son positionnement en termes de qualité audio haut de gamme, la stratégie marketing de Qobuz cible une clientèle au croisement de plusieurs niches : « les audiophiles équipés de matériel sophistiqué, les mélomanes en quête de découvertes, collectionneurs numériques et les consommateurs sensibles aux valeurs éthiques », énumère Fornay. La plateforme choisit d’ailleurs de miser sur une offre exclusivement musicale, haut de gamme, débarrassée des contenus annexes tels que les podcasts proposés par les géants du téléchargement et du streaming, afin d’afficher une identité unique dans la tête de leurs consommateurs. Qobuz a recruté en interne une équipe de rédacteurs et se présente comme un média musical en produisant un contenu éditorial riche en interviews et articles de fond, complétés par une rubrique spécialement dédiée à la Hi-Fi afin d’accompagner l’écoute musicale et satisfaire l’appétit de ses consommateurs.

« Nous ne sommes pas intéressés par la course au volume ou les algorithmes de masse. Notre priorité est la qualité, qu’elle soit sonore ou éditoriale. », soutient Georges Fornay. Pour ce faire, la plateforme propose un catalogue unique et “décalé » dans un secteur souvent critiqué pour sa standardisation en mettant l’accent sur des genres tels que le jazz et la musique classique, une ligne éditoriale héritée des origines de ses fondateurs, loin de la pop et du rap qui trustent le top des charts.

Qobuz veut aussi se distinguer par une éthique revendiquée plus respectueuse des artistes. En outre, avec un abonnement moyen trois fois plus élevé que la concurrence, la plateforme offre une rémunération significativement supérieure aux créateurs : « Notre revenu moyen par utilisateur est deux fois et demie supérieur à celui des grandes plateformes, ce qui nous permet de mieux rémunérer les artistes tout en offrant une expérience unique. » explique Georges Fornay. D’autant que l’absence d’une offre gratuite financée par la publicité renforce cette image d’exclusivité et de respect pour le produit culturel haut de gamme.

 

La croissance par l’internationalisation

Pour garantir sa rentabilité, Qobuz mise sur l’expansion à l’international. Une stratégie payante puisqu’aujourd’hui, près de 78 % de son chiffre d’affaires provient de l’étranger, contre seulement 22 % pour la France. Cette transition a été rapide car il y a cinq ans, le marché français représentait encore 50 % des revenus de l’entreprise. 

Plutôt que de chercher à couvrir tous les territoires, Qobuz adopte une approche sélective dans son implantation à l’international. Leur stratégie consiste à investir dans des marchés en croissance dans le secteur du téléchargement et du streaming musical, encore peu saturés au niveau des concurrents, afin de capter cette croissance et de la transformer en chiffre d’affaires.  

Le Japon, deuxième marché musical mondial, est un exemple parfait de cette stratégie. En effet, l’archipel est rempli d’amateurs de musique, avec encore une forte consommation de vinyle, et le streaming n’y représente pas encore la moitié du marché de l’écoute. Et le marché n’est pas encore saturé. Pour Georges Forney, « Ce marché est complexe, mais il correspond à notre public cible, très exigeant en matière de qualité sonore. ». 

Ensuite, chaque lancement est soigneusement préparé : « Nous avons ouvert 26 pays, mais toujours de manière ciblée et adaptée à chaque culture locale », précise Fornay. L’application Qobuz est traduite dans la langue locale, des rédacteurs freelance produisent du contenu adapté à la culture locale et dans la langue locale, et le catalogue est régulièrement enrichi de musiques spécifiques à chaque marché. Au Japon par exemple, Qobuz enrichit son catalogue de plus de 100 millions de titres en intégrant les pistes haute résolution de e-onkyo music et un répertoire de musique japonaise, incluant des genres spécialisés comme la J-Pop. Cette attention portée aux détails culturels permet à Qobuz de viser des publics exigeants, comme les mélomanes japonais, réputés pour leur exigence quant à la haute qualité sonore.

Quand Qobuz se met à l’heure japonaise

 

Solidité du modèle

Grâce à son repositionnement stratégique, l’entreprise française a réussi à surmonter ses difficultés financières et à s’imposer comme la pionnière du téléchargement et du streaming musical dit « de luxe ». « Nous avons fait un énorme chemin depuis nos débuts »,conclut Georges Fornay. « Passer de 80 % de pertes en termes d’EBITDA à moins de 10 %, c’est une prouesse que nous devons à notre stratégie d’hyper niche et à notre engagement pour la qualité. »

Qobuz est aujourd’hui proche de l’équilibre financier. À l’horizon des deux prochaines années, l’entreprise espère atteindre la rentabilité financière complète en poursuivant son développement international tout en renforçant son identité haut de gamme. 

En se concentrant sur une recherche de qualité sonore, le respect des artistes et une stratégie d’expansion à l’international ciblée, Qobuz a réussi à surmonter ses difficultés financières et pourrait bien inspirer d’autres acteurs du secteur. D’autant que pour Georges Fornay,  « En quelques années, nous avons réussi à réduire nos pertes de manière considérable, ce qui témoigne de la solidité de notre modèle ».

 


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