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Comment prévenir le sentiment d’isolement en télétravail ?

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Source : GettyImages

Work-from-anywhere, digital nomads ou modèles hybrides : depuis plusieurs mois, et, bien qu’initialement propulsé par des contraintes forcées, le télétravail ne cesse, légitimement, de gagner en popularité. De nombreuses études démontrent en effet des bénéfices forts à ces nouvelles organisations : (1) diminution du taux d’attrition et amélioration de la performance, (2) salariés plus satisfaits et investis dans leur propre développement. Les promesses de cet avenir décentralisé ne doivent toutefois pas participer à cacher certains challenges, qui, s’ils ne sont pas adressés avec sérieux, pourraient faire de ces systèmes de bêtes échecs.

 

Une expérience individuelle

Parmi ces pièges, le sentiment de solitude ressenti par certains télétravailleurs est l’un des plus souvent mis en avant – et sert (trop) souvent d’excuse pour justifier d’un retour au bureau. Si attribuer cette solitude au fait unique du télétravail serait un raccourci trompeur (beaucoup de salariés se sentant isolés bien avant la généralisation du travail à distance, et les espaces collaboratifs contribuant, de manière paradoxale, à renforcer cet isolement), il serait aussi naïf de fermer les yeux : (1) il s’agit d’une problématique dangereuse, sur les plans psychologique (burnout), physiologique (mortalité) et économique, (2) de récentes méta-analyses montrent que, même si l’effet est faible et surestimé par l’opinion populaire, le sentiment de solitude s’est très sensiblement accru suite aux périodes de confinement.

Prendre des initiatives efficaces appelle toutefois à comprendre, qu’il est toujours plus utile de prévenir que de guérir, et que le sentiment de solitude est un construit subjectif auquel on impose par erreur une définition objective. Il convient ainsi de distinguer l’isolement social, qui est un état objectif de séparation aux autres, du sentiment d’isolement ou de solitude, qui se définit comme une perception d’un écart entre les relations réelles et celles souhaitées. Adresser la question requiert dès lors de considérer l’expérience individuelle et les variables psychologiques qui font que certains profils sont plus à risque de se sentir isolés en télétravail : c’est la condition sine qua non pour agir de manière proactive, la personnalité étant d’une importance clé pour expliquer les différences individuelles face à la solitude. De récentes recherches permettent d’ailleurs de fournir des clés de lecture et de prévention, en identifiant trois catégories de dimensions de personnalité et de motivations permettant d’expliquer que certains sont plus susceptibles de ressentir l’isolement en télétravail.

 

Affiliation et appartenance

D’une part, des dimensions caractéristiques du besoin d’affiliation et d’appartenance : de manière assez intuitive, les collaborateurs ayant une préférence pour l’affiliation ou le “faire ensemble” (e.g., ceux qui vont spontanément vers les autres, qui souhaitent rencontrer de nouvelles personnes au travail, ou encore qui préfèrent travailler en équipe), rapportent des niveaux de solitude plus élevés en situation de télétravail. D’autres études appuient aussi ces résultats, en montrant que les profils qui présentent un fort besoin d’affiliation sont plus sujets au stress, à l’anxiété et au sentiment d’isolement lors de périodes d’isolement, tandis que ceux qui sont plus stables émotionnellement et qui ont une préférence pour la solitude vivent une expérience beaucoup plus positive. À la lumière de ces conclusions, les managers ont ainsi tout intérêt à proposer des activités et situations de travail adaptées aux employés avec un fort besoin d’affiliation : (1) mettre en place de nouveaux rituels sociaux et moments de rencontre (e.g., pauses café virtuelles qui ont un impact démontré), (2) confier à la personne une activité riche d’un point de vue relationnel, et l’encourager à créer la rencontre avec de nouvelles personnes (e.g., sessions de coworking), ou encore, (3) créer des normes de travail en équipe afin de partager des référentiels communs (e.g., clarifiez les meilleurs moyens de communication et responsabilités de chacun, célébrer les réussites collectives).

 

Capacité à se projeter

D’autre part, les individus ayant une tendance à l’autoréflexion, l’autoanalyse et au voyage mental dans le temps (capacité à reconstruire mentalement le passé ou à imaginer le futur) réussissent plus facilement à faire preuve de résilience, à gérer l’isolement et à en faire une expérience enrichissante. Plusieurs études démontrent en effet l’utilité fonctionnelle de la nostalgie, pour renforcer les liens sociaux, augmenter l’estime de soi, générer un affect positif, et réduire la perception de solitude. Aussi, la capacité à réfléchir à l’avenir contribuerait à générer du sens, permettant de mieux gérer les épisodes d’anxiété et de solitude, tandis que la pensée contrefactuelle (réussir à s’imaginer comment les choses pourraient être pires) aide à positiver le présent. En somme, la capacité d’un individu à la réflexion mentale, temporelle et abstraite agit comme une ressource protectrice contre la perte de sens qui résulte de la perception d’un isolement social. L’apport de sens par les managers est donc déterminant : (1) aider le collaborateur à se détacher des aspects purement opérationnels pour prendre du recul et davantage de hauteur de vue, (2) lui donner une vision positive du futur et du sens à long terme, ou encore, (3) l’aider à se remémorer comment des moments difficiles du passé ont été surmontés.

 

Reconnaissance au travail

Enfin, les personnes ayant un plus fort besoin de reconnaissance (e.g., besoin de se sentir valorisées et respectées au sein de l’entreprise, d’être félicitées pour leur travail, qui ont besoin de plus de feedback) ressentent également davantage l’isolement en télétravail. En effet, si la reconnaissance au travail est un levier fort pour diminuer le sentiment d’isolement, elle reste un challenge majeur pour les managers : par exemple, en Angleterre, 20% des salariés estiment recevoir moins de reconnaissance de la part de leurs pairs et managers depuis qu’ils travaillent à distance. Identifier les personnes pour qui ce besoin est primordial (d’autres collaborateurs étant plus détachés du regard et des opinions des autres) est ainsi nécessaire pour mettre en place les actions nécessaires auprès des publics cibles : (1) prendre le temps de reconnaître la contribution du collaborateur, (2) lui donner des feedbacks positifs et personnalisés, (3) créer des rituels pour célébrer les réussites avec l’équipe.

 

Si le sentiment de solitude en télétravail s’explique aussi par d’autres facteurs structurels et organisationnels, le capital psychologique (personnalité, motivations) d’une personne permet donc d’en prédire une grande partie – jusqu’à 30%. En prendre conscience et identifier les collaborateurs les plus à risque grâce à des outils fiables (évaluation psychométrique) permettra de donner les meilleures chances de réussite à ces modèles d’organisation distanciels, tout en développant le confort psychologique des publics les plus sensibles, grâce à des interventions ciblées. Finalement, au regard de ces conclusions, il convient de constater que, manager dans le futur et à distance, c’est avant tout maîtriser les bases historiques et scientifiques du leadership, plutôt que de chercher à créer des modèles révolutionnaires : la science a en effet depuis longtemps mis en exergue que le leadership est une question de pouvoir avec les Hommes, plutôt que sur les Hommes.

 

Tribune rédigée par Emeric Kubiak – Head of Science, AssessFirst

 

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