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Comment Elon Musk a contourné l’obligation de divulguer ses finances au public

Elon Musk
Elon Musk et Donald Trump. Getty Images

Elon Musk détient une influence considérable sur les agences fédérales, sans être soumis aux obligations de transparence imposées aux membres du gouvernement, notamment en matière de déclarations d’investissements et de conflits d’intérêts.

 

En l’espace de deux semaines, Elon Musk est devenu l’un des acteurs les plus influents du gouvernement américain. Après avoir pris ses quartiers au sein de l’Office of Personnel Management, il a adressé un message à plus de 2 millions de fonctionnaires fédéraux, les incitant à opter pour une retraite anticipée.

Dans le même temps, il a convaincu le président Donald Trump d’envisager la réduction, voire la fermeture, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui gère un budget de 40 milliards de dollars. Par ailleurs, son équipe au DOGE a obtenu l’accès au service de paiement du département du Trésor américain.

Jusqu’à la semaine dernière, le flou persistait sur la base légale des actions menées par Elon Musk. Opérait-il en tant que conseiller informel sous l’égide de Donald Trump, ou occupait-il un poste officiel au sein de l’administration ?

La Maison-Blanche a levé l’ambiguïté il y a une semaine. Sa porte-parole, Karoline Leavitt, a annoncé que Musk avait été désigné « Special Government Employee » (SGE), un statut accordé aux employés spéciaux du gouvernement, lui conférant un rôle officiel au sein de l’administration fédérale.

Pour Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, ce statut présente un avantage majeur par rapport à celui de fonctionnaire à temps plein : il échappe aux exigences de transparence financière imposées aux hauts responsables de l’administration.

Contrairement aux membres du cabinet, qui doivent déclarer publiquement leurs investissements et intérêts commerciaux, les SGE se contentent de remplir des déclarations financières confidentielles – les formulaires 450 de l’OGE (Office of Government Ethics). Ces documents ne sont accessibles qu’à la Maison-Blanche et à l’Office of Government Ethics, leur permettant d’évoluer dans la sphère publique sans exposition directe de leurs intérêts financiers.

Alors qu’Elon Musk exerce une influence sans précédent sur la bureaucratie fédérale, son statut de « Special Government Employee » suscite des interrogations sur le plan éthique et potentiellement juridique. Plusieurs anciens avocats spécialisés dans l’éthique gouvernementale ont confié à Forbes que cette situation pourrait constituer une faille réglementaire.

« De toute évidence, c’est une solution de contournement. Si quelqu’un détient autant de pouvoir, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit considéré comme un employé à plein temps, soumis aux obligations de transparence financière», estime Richard Painter, ancien avocat en chef de l’éthique à la Maison-Blanche sous l’administration George W. Bush.

Selon lui, Musk ne correspond pas au profil habituel des SGE, qui sont généralement quelques milliers en activité à un moment donné et occupent principalement des postes consultatifs spécialisés. Leur rôle est souvent limité à des domaines précis, sans autorité directe sur les fonctionnaires, contrairement à l’influence tentaculaire exercée par le milliardaire. « Une personne avec un tel pouvoir ne devrait pas obtenir un tel statut », affirme Richard Painter, ancien avocat en chef de l’éthique à la Maison-Blanche. « Ce statut n’est pas qu’un détail technique : ils ne veulent pas que le public sache ce qu’Elon Musk possède ni l’étendue de ses avoirs financiers. Ils contournent la loi sur la divulgation. »

Cette absence de transparence suscite également des préoccupations chez Scott Amey, avocat général du Project On Government Oversight. « Quelles que soient les obligations légales, Musk devrait aller au-delà pour dissiper tout doute sur d’éventuels conflits d’intérêts entre son rôle gouvernemental et ses affaires personnelles. La transparence est essentielle, non seulement pour ses déclarations éthiques, mais aussi pour ses réunions, ses actions et ses décisions, afin de garantir qu’il agit véritablement dans l’intérêt public. »

Certes, une grande partie de la fortune de 420 milliards de dollars de Musk (au 4 février) est déjà connue du public. Sa participation de 210 milliards de dollars dans Tesla est cotée en bourse, et ses 191 milliards de dollars d’actifs dans des entreprises privées comme SpaceX, X (anciennement Twitter), xAI, Neuralink et The Boring Company sont également documentés. Toutefois, ces entreprises entretiennent des liens étroits avec le gouvernement fédéral, qui les réglemente et, dans certains cas, leur attribue d’importants contrats.

SpaceX, par exemple, dépend de milliards de dollars de financements fédéraux et a déjà collaboré avec l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), une institution que Musk cherche désormais à fermer. De son côté, Tesla est fortement dépendante de la Chine, son principal marché et centre de production, ce qui pose des questions supplémentaires sur les intérêts stratégiques et économiques du milliardaire.

Si une grande partie de la fortune d’Elon Musk est connue du public, une somme estimée à 9,5 milliards de dollars en liquidités et en investissements reste hors de portée des regards extérieurs. Ces fonds proviennent de la vente d’actions Tesla lors de transactions précédentes.

Par ailleurs, Musk est endetté à hauteur de 3,5 milliards de dollars auprès de plusieurs banques, des prêts garantis par 238,4 millions d’actions Tesla – une participation évaluée à environ 92 milliards de dollars, selon la politique de mise en gage de Tesla détaillée dans ses documents financiers.

Face à ces enjeux, Don Fox, ancien directeur par intérim de l’Office of Government Ethics sous l’administration Obama, souligne les risques potentiels. « Avec une fortune aussi immense, il est impossible d’anticiper tous les conflits d’intérêts potentiels », explique-t-il.

Don Fox rappelle également que Musk est tenu légalement de remplir un formulaire OGE 450, un document financier confidentiel, même s’il n’est pas rémunéré. « Tous les SGE doivent déposer une déclaration financière, car sans cela, il n’existe aucun moyen de vérifier s’ils se trouvent en situation de conflit d’intérêts. »

Les SGE doivent remplir un formulaire 450, un document confidentiel permettant à la Maison-Blanche d’évaluer d’éventuels conflits d’intérêts liés à leurs actifs financiers. Comme les fonctionnaires à temps plein, les SGE sont soumis à la loi pénale sur les conflits d’intérêts, qui interdit toute implication personnelle et substantielle dans des décisions gouvernementales impactant directement leurs intérêts financiers, selon l’Office of Government Ethics (OGE). Cette loi prévoit une prescription maximale de cinq ans, précise Richard Painter, ancien avocat en chef de l’éthique à la Maison-Blanche.

Pour l’instant, impossible de savoir si Elon Musk a rempli ce formulaire. Interrogée par Forbes, la Maison-Blanche a répondu par un communiqué générique, envoyé simultanément à d’autres médias, affirmant que Musk « sert de manière désintéressée l’administration du président Trump en tant qu’employé spécial du gouvernement ».

De son côté, un porte-parole de l’Office of Government Ethics, chargé de veiller à l’application des obligations financières des employés fédéraux, a refusé de commenter, rappelant que l’OGE ne discute jamais de cas individuels. M. Fox doute que M. Musk ait rempli, ou remplisse un jour, son formulaire de déclaration financière. « Je doute que son employeur s’en préoccupe, d’une façon ou d’une autre. »

 

Un article de John Hyatt pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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