Comment réussir sa transformation d’entreprise ? Voilà un défi que se posent de nombreux cadres dirigeants. Longtemps apanage d’un responsable de la stratégie ou des opérations, la réussite d’une transformation repose de plus en plus sur le rôle de Chief Transformation Officer. Ce nouveau poste offre un avantage : il permet d’avoir un recul et une connaissance de l’ensemble de l’organisation, ses valeurs, son ambition et ses objectifs de long terme. Le Project Management Institute et Accenture se sont penchés sur la question dans une étude réalisée auprès des talents qui acceptent cette nouvelle fonction.
363 professionnels en charge de la transformation d’entreprise ont répondu aux questions posées. Pour deux-tiers d’entre eux, la transformation représente 100% de leurs fonctions, alors que seulement 15% portaient le titre de Chief Transformation Officer. L’importance de ce rôle est non-contestée – 95% considèrent critique le fait d’avoir une personne (ou une équipe) qui pilote la transformation et que la réussite des transformations est souvent liée à la proximité à la direction. En effet, 70% des professionnels interrogées craignent aujourd’hui que sans pilotage clair, les projets de transformation d’entreprise n’atteignent pas les objectifs attendus. Autre enseignement, la vitesse à laquelle les entreprises font face à ce besoin de transformation.
Lamia Moussaoui, certifiée PMP du Project Management Institute et Secrétaire Générale et Vice-Présidente Programmes et Grands Projets du Chapitre France du PMI est experte en pilotage stratégique et transformation des organisations. Elle commente les résultats de cette étude et partage ses conseils et ses observations sur le terrain.
Q : Où trouve-t-on aujourd’hui des Chief Transformation Officers et d’où vient le besoin de créer un poste dédié à cette fonction ?
Je viens de passer 14 ans au sein du Groupe Société Générale qui a une très belle maturité en termes de pilotage de la transformation et, bien que chaque Business ou Support Unit ait son « Transformation Office », ce n’est qu’en 2022 qu’un poste de CTO Groupe a été créé officiellement sur décision du Directeur Général.
De mon expérience, la création un tel poste a été essentielle pour pouvoir fédérer les différents responsables de transformation de chaque département de l’organisation, garantir la cohérence globale de transformation, « connecter les silos » (car il y en aura toujours), identifier les axes de mutualisation pour conduire les efforts dans la bonne et la même direction en termes d’exécution de la stratégie.
Aujourd’hui, je travaille au sein du cabinet Onepoint, spécialisé dans les transformations des entreprises et des acteurs publics et je regrouperai les besoins de nos clients en deux principales catégories :
- des besoins ponctuels: être accompagné pour adresser un besoin précis de transformation tel que le pilotage d’un projet ou d’un programme, l’évolution d’un ou plusieurs processus ;
- des besoins plus globaux et systémiques: être accompagné pour penser une transformation dans toutes ses dimensions ;
Ces besoins touchent une multiplicité de sujets tels que la performance collective, les processus, la data, l’expérience utilisateur mais aussi de la conformité, des risques, etc …
Les entreprises sont aussi en pleine transformation culturelle avec de nouvelles manières de travailler comme l’agilité, l’agilité à l’échelle, le pilotage par la valeur structurés dans différents framework, tels que le framework OKR (Objectives & Key Results) utilisé par Google et plusieurs GAFA, que j’ai eu l’occasion de déployer pendant près de 4 ans au sein de Société Générale et avec de nouveaux clients aujourd’hui.
Q : Quand on parlait au départ de transformation des entreprises il s’agissait principalement d’une transformation digitale. Aujourd’hui, quelles sont les autres forces motrices qui poussent les entreprises à se transformer ?
Comme le rappelle l’étude, le terme de transformation a trop souvent été réduit à la mise en place de nouvelles technologies pour réduire les coûts et améliorer la productivité. Or, la transformation d’une entreprise englobe toute action qui fait passer quelque chose d’un état A à un état B, quelle que soit la complexité du chemin pour y parvenir et pas uniquement en lien avec les nouvelles technologies.
Petit à petit, on a commencé à identifier les premiers signaux, faibles et moins faibles d’un besoin crucial des collaborateurs de remettre du sens dans les transformations. Si on prend l’exemple de la transition écologique ou de la RSE, elles étaient considérées, dans le monde avant Covid, comme un « nice to have ». Aujourd’hui, les enjeux de transition énergétique, sociétale, environnementale mais également économique et technologique doivent adressés dans tous les aspects de nos activités : comment peut-on être plus green avec nos clients dans la façon dont on propose des solutions, comment peut-on transformer nos produits, nos open spaces, … ? Il reste encore de conséquentes transformations à conduire et une réflexion à mener sur la façon la plus optimale d’infuser du sens dans chacune de nos actions.
Q : L’étude démontre un besoin de « change capabilities » : quelles sont ces capacités recherchées chez un CTO ?
Il y a deux notions essentielles à comprendre à travers l’expression « change capabilities » : vouloir se transformer et pouvoir se transformer. L’étude met en évidence un point essentiel auquel j’adhère totalement depuis des années : le véritable challenge n’est pas de réussir une transformation mais plutôt de doter son organisation d’une vraie capacité de transformation en continu.
On ne se donne pas toujours les bons moyens pour réussir une transformation, et on y va des fois « en mode MacGyver » avec des immenses ambitions sans se donner les moyens pour réussir. Au-delà de la définition des objectifs et de résultats mesurables et quantifiables, il faut assurer la bonne allocation de ses investissements aux leviers les plus forts de création de valeur et de non-destruction de valeur. Les initiatives (projets, programmes, …) permettront d’accompagner les transformations à mener dans le respect des trajectoires budgétaires.
Un CTO va assurer un pilotage systémique tout en étant capable de zoomer sur chaque dimension de la transformation et de raisonner à trois horizons de temps différents : court, moyen et long terme. Il va identifier les tendances et les signaux faibles, apporter les bonnes réponses aux enjeux en co-construction avec les différents acteurs de la transformation en sachant jongler entre le travail de fond et les diktats de l’immédiateté qui ont tendance à vouloir constater des résultats immédiats. Enfin, une orientation Valeur et Résultats est essentielle pour ne pas se limiter aux indicateurs financiers pour maximiser la création de valeur.
Q : Quels profils va-t-on aller chercher chez un CTO ?
Le profil idéal pour cette fonction est une personne qui a une tête bien faite et surtout une capacité de piloter une transformation systémique pour adresser toutes ses dimensions sans ne rien manquer de crucial.
Nous avons tendance à regarder sous notre lampadaire, et cette vision globale de l’écosystème dans lequel on opère, permet de lever la tête, de prendre plus de recul pour identifier tous les impacts de la transformation sur son organisation et de les adresser au bon niveau.
Le CTO doit être une personne légitime dans son rôle, il doit donc avoir un parcours professionnel qui lui permette justement d’appréhender les différents aspects de la transformation et de savoir s’entourer des bons sachants, experts et conseillers pour équiper le processus décisionnel des bonnes informations à considérer pour prioriser les efforts là où l’impact sera le plus fort. La transversalité, la capacité analytique, l’intelligence situationnelle et émotionnelle et bien sûr, la communication sont des atouts importants pour ce type de poste.