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Chat GPT impacte-t-il l’enseignement supérieur ?

Janvier 2023 : l’Europe découvre l’intelligence artificielle et s’approprie immédiatement ChatGPT.

A l’époque qui paraît déjà lointaine, il s’agit de la version 3. Mais les commentaires sont unanimes : incroyable, bluffant… Pour les étudiants, c’est une aubaine car le nouveau-né de l’intelligence artificielle déjoue la plupart des logiciels anti plagiat. Les professeurs réalisent alors qu’il suffit de demander à ChatGPT le polycopié ou les slides souhaitées pour les obtenir immédiatement. Dans ce contexte, ChatGPT impacte-t-il l’enseignement supérieur ?

Avant toute chose, interdire l’intelligence artificielle en général, ChatGPT en particulier, serait une aberration pour plusieurs raisons : d’abord la lutte contre le progrès technique, technologique aujourd’hui, est un combat perdu d’avance. Les professeurs de plus de 40 ans se souviennent de l’arrivée des ordinateurs portables dans les amphithéâtres et de la volonté de certains de les interdire au nom de la concentration des étudiants, dès lors tentés de parcourir les pages de réseaux sociaux, Facebook notamment à l’époque. Aujourd’hui, la plupart des étudiants prennent leurs notes sur des ordinateurs portables ou sur des tablettes. En outre, par souci de respect de l’environnement, les établissements d’enseignement supérieur bannissent, à juste titre, les feuilles de papier et commencent à faire composer leurs étudiants sur leurs ordinateurs portables. Dès lors, deux types d’épreuves écrites sont envisageables : le premier cas de figure est un sujet relativement proche du cours avec, le cas échéant, des questions de cours ; dans ce cas, l’épreuve est réalisée sur un logiciel qui ne permet l’accès ni aux fichiers sauvegardés sur le disque dur de l’ordinateur, ni aux sites internet. Le second cas de figure est un sujet qui demande davantage de réflexion et qui est traité avec tous les documents numériques sauvegardés sur le disque dur. En outre, l’accès à internet est alors illimité.

Quasiment tous les étudiants se sont appropriés ChatGPT qui a trois vertus essentielles : sa gratuité, sa simplicité d’utilisation et son multilinguisme. Aussi, face à une question posée dans le cadre d’un devoir, il est impossible de résister à la tentation de poser la question à ChatGPT. A ce stade, ChatGPT commet encore des erreurs, ce qui peut entraîner des contre-sens voire au traitement d’un exercice totalement erroné. Mais il est très probable que, dans quelques semaines, ChatGPT fera systématiquement un « sans faute ».

Sur ces bases, les études supérieures semblent soudainement très simplifiées, sans réelle contrainte si les partiels sont réalisés sur ordinateurs avec accès à internet donc à ChatGPT. Il s’agit cependant d’une présomption de simplification pour une raison simple à énoncer : l’intelligence artificielle rabat les cartes du marché du travail. La banque Goldman Sachs a chiffré récemment le nombre d’emplois dans le monde qui vont être impactés par cette nouvelle donne : 300 millions. Et la nouveauté, c’est que cela ne concerne pas prioritairement les emplois non qualifiés ; au contraire, pour la première fois, ce sont les cols blancs, les cadres qui sont les premiers concernés. Evidemment, 300 millions de postes ne vont pas disparaître du jour au lendemain mais les salariés vont devoir s’adapter pour exister face à la puissance de la machine. Selon cette étude, 7 % des emplois aux États-Unis pourraient disparaître car ils seraient remplacés par l’intelligence artificielle et 63 % verraient leurs tâches complétées par l’intelligence artificielle. Finalement, seuls 30 % des emplois ne seraient pas du tout affectés par l’intelligence artificielle, du fait de leur dimension physique ou de leur réalisation en extérieur.

 

 

Il revient alors à l’enseignement supérieur de se saisir de cette nouvelle donne et de préparer les futurs jeunes diplômés à trouver leur place sur un marché en profonde mutation. Ecartons, en premier lieu la question du remplacement de l’enseignant par l’intelligence artificielle. La période de confinement a démontré que les outils de cours en ligne tels Zoom, Teams ou Google Meets étaient technologiquement au point mais totalement inadaptés pédagogiquement. Tout professeur qui a dispensé des cours en ligne en 2020 a constaté n’être jamais allé aussi vite à traiter son programme, compte tenu de la très nette baisse du nombre de questions posées par les étudiants. Trop souvent, ceux-ci étaient informatiquement connectés mais leur attention ne pouvait être aussi soutenue que lors d’un cours traditionnel, en présentiel. Lorsque ces étudiants n’étaient pas en dernière année d’étude, il était naturel de constater, à la rentrée suivante, des lacunes inhabituelles. Ainsi, malgré le confort de rester chez soi et d’y suivre les cours en ligne, la plupart des étudiants ont vite plaidé, dès lors que les conditions sanitaires l’ont permis, en faveur d’un retour en classe, en présentiel. La raison de ce revirement inattendu par certains établissements est simple : il s’agit de la volonté de pouvoir interagir avec le professeur, en lui posant des questions, formellement pendant les cours, informellement pendant les pauses. En d’autres termes, la possibilité de faire rédiger instantanément des slides par ChatGPT ne menace pas les cours : la génération Y qui lit moins que la précédente, qui écoute de plus en plus de podcasts, ne souhaite pas d’auto-formation déshumanisée, fondée uniquement sur la… lecture.

Le dernier point à traiter est le contenu de la formation. Il ne s’agit pas de le modifier fondamentalement ; c’est son appropriation par les étudiants qui doit évoluer. En effet, l’intelligence artificielle résout des problèmes potentiellement complexes qui vont bien au-delà de l’application de règles ou de formules. Mais, le problème étant traité « par écrit », il s’agit ensuite de l’utiliser, dans l’entreprise, en vue de créer de la valeur. Pour cela, il convient de s’approprier totalement le sujet pour être en mesure d’en discuter avec des tiers, notamment des prospects à transformer en clients. C’est la raison pour laquelle il importe désormais, non seulement de connaître des règles et des formules que ChatGPT sait parfaitement appliquer, mais aussi d’en saisir la logique, les fondements. Cela signifie un approfondissement substantiel du travail des étudiants qui doivent dépasser la machine en étant capables de prendre du recul sur ce qu’elle produit. La dynamique qui doit en découler est de nature à permettre une élévation du niveau des cours et une extension naturelle des programmes. En contrepartie des efforts à fournir en cours de formation, les tâches des jeunes recrues seront considérablement enrichies, sous réserve d’avoir assimilé, avant de sortir de l’enseignement supérieur, ce qui était, jusqu’à maintenant, acquis par la pratique, sur le terrain, au cours des trois premières années de vie professionnelle. Bien évidemment, l’évaluation ne peut désormais être que sous forme de partiels écrits, sans accès à internet ou, tout au moins, en bloquant tout accès à ChatGPT et aux autres outils d’intelligence artificielle.

ChatGPT est donc une opportunité inestimable : au-delà des gains de productivité incontestables pour les entreprises, c’est un vecteur immédiat d’enrichissement des tâches, d’accroissement de l’intérêt du travail. Ceci est possible à une condition : une très forte implication des étudiants au cours de leur formation dans l’enseignement supérieur. Une nouvelle révolution industrielle est en marche. Ses effets ne se feront pas sentir dans plusieurs années, ou dans plusieurs mois ; l’unité de temps est désormais la semaine. Et des entreprises ont déjà commencer à adapter leur politique en matière d’emploi à ce nouveau paradigme.

Olivier Levyne est Professeur Affilié à HEC Paris

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