Après avoir redonné ses lettres de noblesses à la Fnac avec pour point d’orgue l’ambitieux rachat de Darty, Alexandre Bompard, fringuant énarque de 44 ans qui a, auparavant, fourbi ses armes du côté de Canal + et d’Europe 1, va s’installer dès ce vendredi 9 juin dans le fauteuil du patron de Carrefour. Objectif : enrayer le déclin de très grandes surfaces dans l’Hexagone et rattraper le retard dans le digital.
« C’est l’équivalent dans le business de ce qu’est Emmanuel Macron en politique. Il est très doué et a, comme Macron, une grande capacité de charme et d’empathie ». La flatteuse comparaison est signée Alain Minc, expert des arcanes politiques et économiques, qui voit ainsi en Alexandre Bompard l’équivalent, du moins dans l’état d’esprit, du nouveau président de la République. Comme ce dernier, le nouveau patron de Carrefour, qui prendra officiellement ses fonctions vendredi 9 juin, est issu du plus prestigieux corps d’administration français, à savoir l’ENA – « son seul défaut, personne n’est parfait » -, sourit Xavier Niel, cité par Reuters, où son classement de sortie (4e) lui a permis de rejoindre l’inspection des finances. S’il a également fait quelques incursions dans le milieu politique, notamment en tant que conseiller technique de François Fillon lorsque celui-ci œuvrait au ministère des Affaires sociales en 2003, la comparaison avec Emmanuel Macron s’arrête ici. S’ils appartiennent tous les deux à la même génération, la trajectoire d’Alexandre Bompard est aux antipodes de celles de la « comète Macron », ce dernier ayant réussi le prodige en moins de 12 mois de passer du statut d’impétueux et turbulent ministre de l’Economie, sans formation politique ni troupes derrière lui, à président de la République, élu avec 66% des suffrages des Français.
Le parcours d’Alexandre Bompard obéit davantage aux « canons classiques » de la réussite à la française. A sa sortie de l’ENA, et comme évoqué en préambule, le jeune homme inspecteur des finances, après avoir participé à la rédaction du rapport « l’Entreprise et l’hexagone » rejoint le cabinet de François Fillon en 2003. Une courte incursion dans la sphère politique avant devenir le bas-droit de Bertrand Méheut à Canal + puis directeur des sports de la chaîne cryptée où il réalise quelques coups d’éclats, notamment l’obtention des droits de diffusion du championnat de France de Ligue 1 tout en parvenant à endiguer l’hémorragie d’abonnés. Auréolé par ces réussites incontestables, Alexandre Bompard s’enhardit et prend la direction d’Europe 1 où, sous sa férule, la station de la rue François 1er enregistre des revenus publicitaires en nette progression.
France Télévisions se refuse à lui…
Régulièrement cité pour prendre la tête de France Télévisions au printemps 2010, le fils de l’ancien président de l’AS Saint-Etienne échoue dans cette entreprise, et cette place tant convoitée échoit finalement à Remy Pfimlin. Quelques mois plus tard, un nouveau défi s’offre à lui : la direction du distributeur de biens culturels en proie à de vives turbulences face à la concurrence croissante et féroce de nouvelles plateformes de e-commerce type Amazon : la Fnac, où il révélera au grand jour ses talents de stratège et de dirigeant. Le nouveau PDG engage alors une vaste transformation digitale, diversifie l’offre dans le petit-électroménager ou les jouets et ouvre des formats de proximité. Le déclin des ventes est enrayé tandis que la rentabilité se redresse grâce à d’importantes suppressions de coûts.
Mais son plus grand fait d’armes n’est autre que le rachat de Darty, au grand dam du géant Steinhoff, propriétaire de Conforama et jouissant d’une force de frappe à nulle autre pareille ( et une capitalisation 20 fois supérieure à celle de la Fnac). Une « joute » boursière épique qui a permis à Alexandre Bompard d’affiner sa stature de fin stratège et « d’homme de coup » du paysage économique français. « Son expérience à la Fnac a été plus qu’un révélateur, presque un test à l’acide », souligne, cité par Reuters, Antoine Gosset-Grainville, un de ses proches amis et administrateur de la Fnac. Et de poursuivre : « son bilan le fait entrer dans le très petit club des managers français de premier rang ». En effet, difficile, sur ce point de donner tort à cet ancien directeur adjoint de cabinet… de François Fillon, comme en atteste l’évolution du cours de Bourse de la Fnac, véritable juge de paix en la matière. Introduite en Bourse à 22 euros en juin 2013, l’action Fnac a vu sa valeur tripler, à environ 68 euros.
Carrefour à un tournant
Désormais, un nouveau défi s’offre à lui : la remise en marche de Carrefour, poids lourd de la distribution française et éminent membre du CAC 40. En effet, Alexandre Bompard va devoir se retrousser les manches pour tenter de relancer les « gros » hypermarchés (+ 7 500 m2) hexagonaux dont les ventes ont continué de décliner en 2016, décrochant encore de 1,6% par rapport à l’année précédente. Le nouveau patron va devoir peaufiner et ciseler sa stratégie dans un environnement particulièrement difficile en France, où la guerre des prix fait rage et où 45% du marché est détenu par des acteurs indépendants non cotés – Leclerc en tête – qui n’ont pas évidemment les mêmes exigences de rentabilité. Autre chantier, le digital où Carrefour a pris énormément de retard par rapport à la concurrence
Du côté des analystes, l’arrivée programmée du jeune dirigeant à la tête du navire-amiral de la distribution dans l’Hexagone a été accueillie avec bienveillance, ceux-ci se rappelant de sa très grande implication personnelle auprès des actionnaires alors que la bataille avec le sud-africain Steinhoff faisait rage. « Avec Alexandre Bompard, les actionnaires de Carrefour ne pouvaient pas trouver mieux, mais je ne sais pas s’il trouvera la martingale », conclut, sous couvert d’anonymat, un bon connaisseur du dossier cité par Reuters. Homme de défis, Alexandre Bompard est fin prêt à prendre les rênes. Pour faire au moins aussi bien dans le business que son « homologue » en politique…
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