Interview | Pour le stratégiste chez Pictet Asset Management Christopher Dembik, les incertitudes liées au contexte géopolitique ont peu d’incidences directes sur l’indice phare de la Bourse de Paris.
En pleine bourre. Porté par les résultats éclatants des champions français, le CAC 40 se hissait, jeudi 7 mars, pour la première fois de son histoire au-dessus des 8 000 points à la bourse de Paris. Un seuil symbolique, certes, mais qui vient couronner la remontée spectaculaire de l’indice phare parisien depuis sa chute au début de la pandémie de Covid. En quatre ans, l’indice a plus que doublé son nombre de points. Christopher Dembik, stratégiste chez Pictet Asset Management revient pour Forbes France sur les raisons de cette envolée et sur les perspectives à venir pour le CAC 40.
Comment expliquer ce rebond du CAC 40 après avoir touché son nadir le 18 mars 2020 à 3.754 points ?
Christopher Dembik : C’est la conjonction de plusieurs facteurs. Durant la pandémie de Covid, les banques centrales, dont la BCE en Europe, ont injecté massivement des liquidités pour soutenir l’économie. Par ricochet, une partie de cet argent est arrivée sur le marché des actions. De plus, dans l’économie réelle, la liquidité des banques centrales a permis notamment de sauver l’épargne et la consommation. Mécaniquement, cela a favorisé l’obtention de très bons résultats pour les grandes valeurs du CAC 40.
A cela, s’ajoute un troisième phénomène, qui n’est pas vraiment lié au Covid, même s’il y a eu une intensification de celui-ci depuis la pandémie : le rachat d’actions. En effet, c’est un outil efficace pour faire monter le cours de l’action et ainsi mieux récompenser leurs actionnaires. Si vous enlevez les rachats d’actions par les entreprises du CAC 40, la performance de l’indice s’en trouve amoindrie.
Si le phénomène est courant aux Etats-Unis, où il officie comme moteur phare de la bourse américaine, le rachat d’actions est arrivé plus récemment en France. On observe toutefois que la pratique est de plus en plus répandue.
La liquidité des banques centrales s’est depuis érodée avec les durcissements monétaires sans incidence sur les performances de l’indice phare de la bourse de Paris. Pourquoi ?
C.D. : Certes, il y a moins de liquidité du côté des pays développés mais on a toujours beaucoup de liquidité du côté des « émergents », dont la Chine par exemple, qui restent sur des politiques monétaires plus accommodantes. En revanche, cette liquidité se recycle principalement aux Etats-Unis, ce qui fait que la Bourse américaine se porte bien. Toutes les grandes bourses des pays développés sont corrélées à la forme de la place new-yorkaise donc cela tire indirectement le CAC 40 vers le haut.
Comment cela se fait-il que le CAC 40 s’en sorte mieux que les autres indices européens alors que tous bénéficient de ces facteurs positifs ?
C.D. : Il faut regarder la typologie d’investisseurs du CAC 40. Ce sont souvent des investisseurs institutionnels ou particuliers, mais qui investissent via la gestion passive (ETF). Ceux-ci s’intéressent aux segments qui performent le mieux. L’investisseur international, par exemple, se dirige sur quelques segments thématiques, notamment la tech américaine. Du côté européen, c’est le luxe qui prédomine. Et, comme il y a une surpondération du luxe dans le CAC 40, c’est un avantage très net pour la place parisienne par rapport à la bourse de Milan ou au Dax allemand par exemple.
Les perspectives économiques françaises sclérosées ne semblent avoir aucune conséquence sur l’indice parisien, comment expliquez-vous cela ?
C.D. : La majeure partie du chiffre d’affaires des entreprises de l’indice phare est réalisé à l’étranger. Cela ne veut pas dire que c’est mieux à l’étranger qu’en France mais cela démontre que ces entreprises ont une vraie agilité pour trouver des régions où vous avez de la croissance.
La force du CAC 40, comme c’est le cas pour d’autres indices européens, c’est que les multinationales ne sont pas dépendantes de leur marché domestique. Elles ont cette agilité à trouver d’autres relais de croissance.
Le luxe, par exemple, faisait traditionnellement une grosse partie de son chiffre d’affaires en Chine. Au vu de la situation du pays, le secteur a réduit son exposition à l’Empire du milieu pour accroître sa présence en Europe et à l’intégralité du continent américain, où vous avez des consommateurs prêts à dépenser.
Peut-on qualifier la Bourse de Paris d’endroit le plus attractif d’Europe ?
C.D. : En Europe continentale, sans aucun doute. Le CAC 40 possède de nombreux avantages : c’est un marché international, très liquide avec beaucoup de volumes, beaucoup d’intervenants, bien identifié par les investisseurs étrangers, mais également une forte présence d’investisseurs domestiques, que ce soit des particuliers ou de l’institutionnel, des banques. Sans oublier les fameuses valeurs du luxe qui sont très performantes.
La concurrence est plus accrue avec le marché londonien car le CAC 40 n’est pas sans défauts. L’indice phare de la bourse de Paris a un gros déficit sur les valeurs techs. D’autant qu’il reste moins compétitif sur certains aspects que le marché londonien, avec une réglementation plus stricte du côté de Paris.
Les marchés prédisent une baisse de taux d’intérêt de la BCE ou de la Fed, cela annonce-t-il des jours encore plus radieux pour le CAC 40 notamment ?
C.D. : Les baisses de taux d’intérêts sont très suivies parce qu’il y a l’illusion derrière que des taux plus bas soient plus favorables à la bourse. La réalité est tout autre. En remontant dans l’histoire de la bourse, on remarque qu’elle augmente aussi bien dans des périodes de taux d’intérêt élevés que dans des périodes de taux d’intérêt bas. Cela fait un peu parti de ces serpents de mer sur le marché boursier. D’autant qu’on ne parle pas de taux d’intérêts à deux chiffres comme c’est le cas en Turquie.
A contrario, les marchés se disent inquiets face au risque géopolitique : cela pourrait-il avoir une influence sur les performances de l’indice phare ?
C.D. : On parle beaucoup du risque géopolitique, mais en réalité cela a peu d’incidences directes. Alors, bien sûr, un événement inattendu comme la guerre en Ukraine provoque mécaniquement un effondrement de la bourse, car c’est un facteur exogène inquiétant. Mais sur le plus long terme, ce type d’événement géopolitique n’a de conséquences que sur les marchés financiers où la liquidité est faible. La guerre en Ukraine a eu un impact sur le marché du gaz, par exemple, parce qu’il y a peu d’acteurs et peu de liquidités.
Il y a très peu de chances qu’un événement géopolitique ait des conséquences à long terme sur le CAC 40 ou le S&P 500, qui sont des marchés très liquides avec beaucoup d’intervenants, beaucoup de volumes. Au contraire, ce sont souvent des points d’entrée à la hausse. Les investisseurs achètent à la baisse en espérant que cela va rebondir.
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