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Brexit : Toujours Une Bonne Idée De S’Expatrier Au Royaume-Uni ?

Crédit Photo Pixabay

Les questions soulevées par le Brexit et les risques pour l’économie britannique rendent les candidats au départ frileux. Et les expatriés se demandent s’il faut partir ou rester. A raison ?

Depuis le Brexit, le Home, sweet home des 300 000 expatriés français au Royaume-Uni a des allures moins accueillantes. Il y a ceux qui attendent avec un flegme so british de savoir à quelle sauce ils vont être mangés, et ceux qui songent à prendre leurs clics et leurs clacs. Quant aux travailleurs français qui avaient pour projet de traverser la Manche, ils y réfléchissent désormais à deux fois.

Beaucoup de questions, aucune réponse

Aujourd’hui, un expatrié français n’a pas besoin de permis de travail pour pouvoir travailler outre-Manche, comme dans le reste de l’Union européenne. Pour le moment, personne ne peut prédire ce que deviendra le statut des expatriés une fois le Brexit effectif. Les principales questions restent sans réponse : faudra-t-il obtenir une carte de résidence ? Auront-ils le droit de rester s’ils perdent leur emploi ? D’envoyer leurs enfants à l’université ? Quels seront leurs droits à la retraite

Le gouvernement de Theresa May a prévu de lancer les négociations avec Bruxelles début 2017. Elles pourraient durer deux ans. La première ministre a promis aux Européens déjà installés le droit de rester dans le pays si la réciproque est accordée aux Britanniques. Mais il s’agira d’un élément dans les négociations, il n’y a aucune garantie quant à la finalité des discussions.

Certaines grandes entreprises, comportant un fort contingent de salariés étrangers, informent leurs salariés qu’elles vont faire pression sur le gouvernement et le parlement européen pour préserver les droits et les acquis de leurs employés, mais là encore rien n’est joué.

« Il y a un changement d’ambiance »

Les esprits allant plus vite que la bureaucratie européenne, les choses ont déjà commencé à se transformer. « Il y a un changement d’ambiance. Avant, je me voyais comme un invité légitime. Désormais, davantage comme un immigrant », regrette Jean Litolff, Français installé à Londres depuis 11 ans.

« Nous nous sommes pris un choc culturel de plein fouet, poursuit-il. Nous voyions l’Angleterre comme une société très libérale et ouverte sur tous les plans. Mais en fait, ce n’est pas tout à fait ça. Le discours de certains journaux est très xénophobe. Il y a une désillusion par rapport à l’image fantasmée que nous avions du pays. On se dit que c’est mieux de parler Français à voix basse », poursuit-il, décrivant le sentiment de certains compatriotes londoniens.

Un sentiment qui n’est pas une exception. Interrogée par la Chambre des Lords, l’ambassadrice de France à Londres, Sylvie Bermann, a témoigné de cas de Français ayant « subi un langage agressif ou négatif », et des « remarques désagréables dans le métro », rapporte Le Monde. « Ils n’étaient pas habitués à ce genre de traitement. Ils ont l’impression d’être moins les bienvenus qu’avant », s’est-elle alarmée.

Ce que confirme Jean-Philippe, ingénieur dans l’automobile installé à Birmingham depuis un peu plus de deux ans. « Psychologiquement, ça nous a fait un choc. Je me sens réellement européen, et venir en Angleterre c’était rester en Europe. Quelque part, je me suis senti rejeté. Comme si tout d’un coup j’étais moins le bienvenu, même si au quotidien on ne le ressent pas ».

Les expatriés font leurs comptes

Du coup, certains expatriés songent à rentrer en France. Ceux qui travaillent dans les secteurs les plus exposés comme la finance sont les plus pressés, car ils anticipent des délocalisations liées à l’éventuelle perte du « passeport européen », qui permet aux banques d’opérer partout en Europe tant qu’elle possède une licence dans un des pays de l’UE. Paris, Amsterdam ou Berlin, qui fait du pied aux start-up pour qu’elles s’installent en Allemagne depuis le Brexit, deviennent des points de chute alternatifs.

Anticipant le mouvement, les expatriés français prennent des contacts. Charles Guinet, consultant en recrutement et cofondateur de Payments & Cards Network, très actif dans les fintech et la finance, a observé le changement depuis le Brexit. « Des expatriés prennent contact avec nous pour explorer les possibles. Ils anticipent un impact sur eux dans trois, quatre ans. Ils ont une vraie peur de se retrouver sur le marché en même temps que tout le monde alors ils prennent de l’avance. »

Quant à ceux qui veulent rester, s’ils sont dans le pays depuis plus de cinq ans, ils entament des démarches – longues et complexes – pour obtenir la nationalité britannique, sésame qui leur permettrait d’échapper aux conséquences les plus néfastes du Brexit. C’est le cas de Jean, qui a fait une demande de titre de résident permanent. « Je considère cela comme une sécurité. C’est un peu mettre la ceinture et les bretelles. »

Les candidats au départ sont inquiets

De l’autre côté de la Manche, les candidats au départ sont également plus frileux. « Ils se posent beaucoup de questions, et parfois la peur de l’inconnu peut devenir un mur infranchissable car nous n’avons pas les éléments factuels pour les rassurer. Récemment, un candidat, directeur du business development, qui était dans un processus de candidature depuis plusieurs mois pour un poste de haut niveau, l’a brusquement interrompu à cause du Brexit », indique Charles Guinet.

Outre les inquiétudes diffuses des candidats, il y en a de plus pragmatiques, sur l’économie de leur secteur d’activité. Il s’agit de ne pas s’embarquer sur un bateau qui risque de couler ou de faire du sur place. L’incertitude ralentit l’activité, et certaines entreprises hésitent à investir.

Et puis, pour rester dans le concret, il faut aussi tenir compte de l’évolution du niveau de vie. Et l’intérêt financier d’une expatriation au Royaume-Uni se réduit : chute de la livre, augmentation du prix de l’essence et des produits importés… « Venir en Angleterre m’avait permis d’augmenter mon salaire de 20%, témoigne Jean-Philippe. Aujourd’hui, avec l’effondrement de la livre, je me retrouve à gagner moins que ce que je gagnais quand j’étais en France. »

Y aller ou pas ?

Il faut donc bien peser le pour et le contre. « Si c’était aujourd’hui, je n’irais pas. Et si je devais réinvestir en tant qu’entrepreneur je ne le ferais pas non plus », juge Jean, qui a monté son entreprise, travaillé dans le conseil technologique et dans des start-up. Jean-Philippe se montre plus mesuré : « Je prendrais probablement la décision de venir quand même, en raison de l’attrait de l’entreprise et du poste, mais pas sans efforts de compensation financière, estime-t-il. Je pense que ça vaut encore le coup car l’économie reste plus dynamique qu’en France, mais à condition de négocier un bon package. »

« La situation est loin d’être dramatique, relativise Charles Guinet. La question se pose davantage pour les seniors, surtout si l’entreprise n’est pas un grand groupe international. Pour un jeune ou un trentenaire, dans la finance, c’est une prise de risque mais cela reste la meilleure école en Europe. En revanche, si c’est pour y vivre ad vitam, ce n’est pas le meilleur choix actuellement. »

Le chasseur de tête conseille aussi de bien choisir sa destination. Londres, ville cosmopolite par excellence, reste la meilleure option. C’est là que vivent les deux-tiers des Français habitant au Royaume-Uni, et que se trouvent 40% des sièges sociaux européens des 250 plus grandes multinationales. Il y a donc encore des opportunités, tant que la décision est avisée.

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