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Boeing rachète Spirit AeroSystems, mais le constructeur aéronautique américain est loin d’avoir résolu tous ses problèmes

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Logo Boeing. | Source : Getty Images

Boeing reprend en interne la production des fuselages de ses avions. Lundi 1er juillet, le géant de l’aéronautique américain a annoncé qu’il avait accepté de racheter son principal fournisseur et sous-traitant, Spirit AeroSystems, dans le cadre d’une transaction de 8,3 milliards de dollars, dette comprise. Il s’agit d’un moindre mal pour l’entreprise, estiment les experts du secteur, mais il faudra encore des années à Boeing pour redresser la barre.

Article de Jeremy Bogaisky pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

« C’est un peu comme si deux hommes ivres dans un bar affirmaient être trop ivres pour pouvoir conduire et rentrer chez eux », a déclaré Cliff Collier, consultant en aérospatiale. « Puis l’un d’eux dit : “Je sais, nous allons monter dans la même voiture et partir ensemble.” Cela ne résoudra les problèmes d’aucune des deux entreprises. »

 

Le rachat de Spirit Aerosystems ne résout pas le problème de qualité de la chaîne de fabrication de Boeing

Améliorer les opérations de Spirit AeroSystems et les intégrer à celles de Boeing sera compliqué, et les dirigeants de Boeing devront s’y atteler tout en étant absorbés par une foule d’autres problèmes. Le principal d’entre eux étant la qualité de la chaîne de fabrication. En janvier dernier, un panneau fabriqué par Spirit AeroSystems a explosé en plein vol sur un Boeing 737 Max exploité par Alaska airlines, ce qui a suscité l’attention des autorités de régulation américaine. Une enquête fédérale sur l’accident a révélé que le panneau avait été démonté dans une usine Boeing afin de réparer des rivets mal installés par des ouvriers de Spirit AeroSystems, puis remis en place sans les quatre boulons de fixation.

Selon plusieurs experts, il n’est pas certain que la direction actuelle de Boeing ait une idée précise de la manière d’améliorer la qualité. « Ce n’est pas comme si Boeing disposait d’un système d’exploitation de classe mondiale qu’il pourrait simplement appliquer à Spirit AeroSystems. Le système d’exploitation de Boeing présente les mêmes problèmes que celui de Spirit AeroSystems », a déclaré Cliff Collier.

Le PDG de Boeing, David Calhoun, a présenté l’accord lundi comme « l’une des mesures les plus importantes » prises par le constructeur aéronautique pour renforcer la qualité. « C’est l’occasion de rapatrier dans nos usines des tâches essentielles de construction d’avions Boeing, afin que les ingénieurs et mécaniciens de classe mondiale de Boeing et de Spirit AeroSystems puissent travailler ensemble en toute transparence, en se concentrant sur une mission commune : construire des avions sûrs et de qualité pour nos clients. »

 

Un rachat qui permettra de réaliser des économies

En 2005, dans le cadre d’une campagne d’externalisation de la production de pièces pour ses avions, Boeing a vendu à des fonds d’investissement privés l’usine de Wichita, au Kansas, qui fabriquait les fuselages du modèle 737, son avion le plus vendu, ainsi que des pièces de carrosserie pour d’autres avions. La société Spirit AeroSystems s’est développée pour fabriquer des structures pour d’autres entreprises, notamment Airbus, mais elle a eu du mal à construire une activité durable. La plupart des fournisseurs dans l’aéronautique réalisent de gros bénéfices en vendant des pièces de rechange pour les réparations, ce qui n’est pas possible avec les fuselages, car ils sont censés durer toute la vie de l’avion.

La situation financière de Spirit AeroSystems s’est aggravée lorsque Boeing a arrêté la production du 737 Max en janvier 2020 après deux crashs meurtriers au cours des deux années précédentes. La pandémie de covid-19 a ensuite gelé la demande d’avions de manière plus générale. Cependant, Spirit AeroSystems a dû supporter les dépenses liées au maintien des capacités pour des taux de production plus élevés que ceux que Boeing était en mesure d’accepter. En 2023, Boeing a été contraint d’injecter des liquidités dans Spirit AeroSystems pour maintenir la société à flot.

Dans le cadre de l’accord, Airbus recevra également 559 millions de dollars pour reprendre les unités non rentables de Spirit AeroSystems qui fabriquent des pièces pour l’avionneur européen.

La combinaison des deux entreprises pourrait permettre de réaliser des économies. Selon Melius Research, si Spirit AeroSystems produisait à plein régime 50 fuselages de modèle 737 par mois, au lieu d’une trentaine actuellement, l’entreprise pourrait réaliser un bénéfice d’environ 1,5 million de dollars sur chacun d’entre eux. L’élimination de cette marge permettrait à Boeing d’économiser 900 millions de dollars par an.

 

Trouver des synergies et palier à la perte d’expérience

Cependant, il sera difficile de trouver des synergies dans leurs chaînes d’approvisionnement, a déclaré Cliff Collier. En outre, il faudra du temps à Boeing pour faire passer Spirit AeroSystems à ses systèmes de gestion des opérations quotidiennes et des ressources humaines. De plus, la convention collective des machinistes de Spirit AeroSystems, qui est basée sur les méthodes d’exploitation actuelles de l’entreprise et qui court jusqu’en juin 2027, compliquera la tâche de Boeing pour harmoniser le fonctionnement de leurs usines.

« Dans une certaine mesure, Boeing devra se retenir d’intervenir pendant quelques années parce qu’il est trop difficile d’essayer d’intégrer pleinement Spirit AeroSystems pour le moment », a déclaré Cliff Collier. « Mais alors, on peut se demander comment Boeing va s’y prendre pour redresser Spirit AeroSystems ? »

Selon les observateurs, l’un des principaux problèmes de Spirit AeroSystems, de Boeing et de l’ensemble du secteur aéronautique est la perte d’expérience sur la chaîne de montage pendant la pandémie, lorsque les entreprises ont licencié des dizaines de milliers de travailleurs en raison du gel des activités aéronautiques.

Dans un contexte de forte reprise du marché de l’emploi dans l’industrie manufacturière aux États-Unis, les entreprises du secteur aéronautique n’ont obtenu le retour que de 20 à 30 % des travailleurs mis à pied, estime l’analyste Scott Mikus de Melius Research, contre 70 à 80 % lors des précédentes périodes de ralentissement économique.

Boeing a élargi la formation de ses nouveaux employés, mais même la meilleure formation n’est qu’un début dans la construction d’avions, a déclaré Cliff Collier. Les taux de production des avions sont faibles comparés à ceux des téléphones portables ou des voitures, de sorte que les ouvriers travaillant dans l’assemblage de pièces aéronautiques n’effectuent pas les mêmes tâches répétitives plusieurs fois par jour que leurs collègues travaillant dans des usines à plus gros volume, a-t-il ajouté, et ont tendance à effectuer une gamme plus large de travaux avec davantage d’outils. « Il faut encore quelques années pour devenir un bon assembleur dans l’aéronautique, quoi que l’on fasse [lors de la formation initiale] », a déclaré Cliff Collier.

L’expérience est particulièrement importante sur le modèle 737 Max, la dernière version d’un avion qui a fait ses débuts dans les années 1960. L’avion est en grande partie fabriqué à la main, les ouvriers de Spirit AeroSystems et de Boeing perçant et remplissant manuellement des centaines de milliers de trous. Des trous mal percés ont été signalés sur un plus grand nombre d’avions 737 Max !

 

L’automatisation de la chaîne de montage est-elle la solution ?

Le PDG de Spirit AeroSystems, Pat Shanahan, a présenté l’automatisation de la chaîne de montage comme la clé du succès. « C’est la solution fondamentale pour atteindre l’objectif zéro défaut », a-t-il déclaré lors d’une conférence téléphonique sur les résultats en février.

L’automatisation sera utile dans une certaine mesure, mais elle prendra du temps et n’aura qu’une portée limitée, selon les observateurs. « Il faudra plusieurs années pour obtenir les machines des fabricants et les intégrer dans les opérations de Spirit AeroSystems », a déclaré Scott Mikus.

La nature archaïque du modèle 737 limitera la quantité de travail qui pourra être confiée aux robots industriels, a déclaré Cliff Collier. « L’automatisation à 60 % est probablement une bonne chose. Il reste donc des dizaines de milliers de trous à percer. »

Boeing devra également soutenir les fournisseurs de Spirit AeroSystems, qui sont également en difficulté après avoir investi pour augmenter les taux de production à la demande de Boeing, pour ensuite se retrouver avec des capacités inutilisées alors que le constructeur d’avions a eu du mal à mettre en œuvre ses plans.

« S’ils pouvaient mettre en marche la machine Max et atteindre [40 ou 50 avions par mois], aucun de ces problèmes de trésorerie ne se poserait », a déclaré Richard Aboulafia, directeur général d’AeroDynamic Advisory. « Il s’agit simplement d’une énorme automutilation. »

 

Boeing a également ses propres problèmes

Boeing a ses propres problèmes. Son conseil d’administration est à la recherche d’un nouveau PDG pour remplacer David Calhoun, qui s’est engagé à quitter l’entreprise d’ici la fin de l’année. Le PDG de Spirit AeroSystems, Pat Shanahan, qui a travaillé chez Boeing, serait candidat. Le département américain de la Justice serait sur le point d’engager des poursuites pour fraude contre la compagnie après avoir déterminé qu’elle avait violé les termes d’un accord de poursuite différée conclu en 2021 à propos des deux crashs de modèle Max. Le syndicat qui représente les travailleurs de l’assemblage dans l’État de Washington a prévu de voter le mois prochain pour autoriser la direction à déclencher une grève dans le cadre des négociations en vue d’un nouveau contrat. Si les machinistes de Boeing dans l’État de Washington obtiennent un gros contrat, cela pourrait susciter le mécontentement des travailleurs de Spirit AeroSystems quant aux termes de leur accord, souligne Cliff Collier.

Chez Spirit AeroSystems, la séparation des activités qu’Airbus va reprendre est un casse-tête compliqué en soi. Entre-temps, Spirit AeroSystems a développé une activité de défense qui fabrique des structures pour les concurrents de Boeing, notamment le fuselage du bombardier B-21 en cours de développement pour Northrop Grumman. Il est possible que les entreprises de défense s’inquiètent de l’accès de Boeing à leur propriété intellectuelle, a déclaré Scott Mikus.

Toutefois, Richard Aboulafia a déclaré qu’un changement de direction en faveur de dirigeants qui privilégient davantage la fabrication que les résultats financiers pourrait grandement contribuer à aider Boeing à résoudre ses problèmes.

Les échecs de la direction de Boeing « me remplissent paradoxalement d’espoir », a-t-il déclaré. « Si vous avez des dirigeants qui se présentent dans les usines et qui s’impliquent dans la construction et la conception des avions, la situation peut s’améliorer très rapidement. »

 


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