Seize ans après sa création, LaFourchette est à la veille d’un nouveau tournant avec un changement de nom qui symbolise sa volonté de conquête internationale. La plateforme de restauration en ligne s’appellera TheFork dans les 22 pays où elle est présente à partir du mois de mai, s’inscrivant dans la vision globale de TripAdvisor, le groupe américain qui l’a rachetée en 2014. Entretien avec Bertrand Jelensperger, PDG de LaFourchette.
Quand vous créez LaFourchette en 2004, vous répondez à un vrai besoin ?
Bertrand Jelensperger : À l’époque, il n’existait pas de plateforme en ligne pour réserver un resto alors qu’on pouvait déjà réserver ses hôtels, ses billets d’avion… La deuxième chose, c’est que l’on était persuadés que les restaurateurs pouvaient manager plus intelligemment leurs réservations, notamment grâce à une politique de prix et d’optimisation des places en fonction de la demande, ce qu’on appelle le yield management. Nous voulions également permettre au client d’accéder aux meilleurs restaurants à des tarifs avantageux.
Pourtant, le succès n’a pas été immédiat…
B.J. : Les premières années ont été difficiles. Le temps de l’entrepreneur et celui du consommateur ne sont pas les mêmes. Il faut à l’entrepreneur le temps de perfectionner son produit et au consommateur celui de le comprendre et d’accorder sa confiance à l’entreprise. Au bout de trois ans, on a affiné notre modèle et lancé une nouvelle plateforme. Le cœur de notre business model est resté le même : il y a une commission de 2 euros pour les restaurateurs à chaque repas réservé sur LaFourchette. Nous leur proposons également une version premium de l’abonnement au logiciel de management développé par LaFourchette, leur permettant de gérer leurs réservations mais également d’optimiser leurs résultats et leur visibilité. Dans les faits, les restaurateurs sont plus enclins à payer une commission sur un chiffre d’affaires additionnel plutôt qu’un abonnement à un logiciel.
Les ristournes sur les menus proposées sur la plateforme ont joué un rôle de starter ?
B.J. : On est des êtres d’habitude et pour les changer, il faut un incentive très fort, comme la promotion. Les remises jusqu’à 50 % sont à la fois un moyen pour l’utilisateur de s’offrir des tables ou des vins auxquels il n’a habituellement pas accès, mais aussi pour les restaurateurs de remplir leur tables vides. Le restaurateur est bien entendu libre de faire ou pas une promotion. Plus la promotion est élevée, plus elle va attirer de clients. On forme en continu nos restaurateurs partenaires pour qu’ils maîtrisent le système des remises.
Vous restez très parisien malgré une volonté de déploiement sur l’ensemble du territoire.
B.J. : Nous nous sommes d’abord développés à Paris, où nous comptons 7 000 restaurants LaFourchette, et dans les grandes villes. Maintenant, on va là où vont les gens. À Paris, le restaurateur est certain que sa présence sur LaFourchette va permettre d’augmenter son CA. Ce n’est pas encore le cas partout en province.
Comment parvenez-vous à convaincre de plus en plus de restaurateurs d’adhérer à votre plateforme ?
B.J. : Le raisonnement, c’est que si l’on propose un très bon produit plébiscité par de nombreux utilisateurs, il sera plus facile de convaincre beaucoup de restaurateurs. C’est un cercle vertueux. Et on a éliminé beaucoup de barrières à l’entrée. Par exemple, le prix du logiciel. Le package de base est gratuit. Le restaurateur ne paye qu’à la première réservation.
Pourquoi n’ouvrez-vous pas votre site à la publicité pour créer du CA additionnel ?
B.J. : Nous nous concentrons sur notre business model de base. On est convaincus qu’il est le bon même s’il est encore perfectible. En France, 2,5 milliards de repas sont servis chaque année, sans compter les fast-foods. Nous sommes présents dans 22 pays qui vendent autour de 20 milliards de repas par an. Voilà notre marché. Il est énorme. Donc on n’a pas besoin de se disperser. Nous sommes encore au début de notre cycle de croissance. Par ailleurs, la pub risquerait de distraire notre utilisateur de l’essentiel, trouver et réserver une table. Mais il va sans dire que nos 29 millions de visiteurs mensuels pourraient intéresser des annonceurs. Je ne jure pas qu’on y viendra jamais.
Que vous a apporté le fait de rejoindre le groupe TripAdvisor ?
B.J. : Cela a été un choix stratégique à un moment où l’on voulait s’étendre en Italie, en Espagne et dans d’autres pays. Soit on levait de l’argent, soit on vendait la boîte. TripAdvisor nous a apporté trois choses : 1- des liquidités grâce auxquelles nous avons pu développer la croissance externe et ouvrir des pays en recrutant du personnel ; 2- quand on s’implante dans un pays, la notoriété de la marque TripAdvisor nous aide à recruter des restos ; 3- les Américains sont des pragmatiques qui voient grand et nous aident à nous montrer ambitieux tout en nous incitant à rester concentrés sur nos objectifs.
Par conséquent, quelle est votre stratégie à l’international ?
B.J. : Pour nous, le meilleur process est de racheter des entreprises afin de s’appuyer sur des équipes locales qui ont déjà la culture et l’expérience, et leur apporter nos outils (plateforme, logiciel, etc.). Les gros pays sont en forte croissance. L’Italie, le Portugal, le Brésil, la Suisse sont reconnus par le marché. Il reste encore quelques pays où nous sommes en phase d’investissement mais, globalement, LaFourchette marche bien. Le concept est duplicable à tous les pays sans avoir besoin de grandes adaptations. Cependant, on a un solide concurrent américain présent aux États- Unis, en Angleterre, au Canada, en Australie et au Mexique. En Asie, nous avons un homologue chinois qui compte 20 000 commerciaux, donc la Chine, ça n’est même pas la peine d’essayer !
Vous avez décidé de changer de nom puisque LaFourchette devient TheFork. Ce choix participe de votre stratégie mondiale ?
B.J. : En effet, LaFourchette n’était pas une marque qui nous permettait de nous internationaliser. Même si nous lui portons un attachement émotionnel important, il fallait changer. Dans les nouveaux pays, on a tout de suite installé la marque TheFork, sauf en Italie où on a commencé avec LaForchetta. Petit à petit, comme en Australie ou aux Pays-Bas, on a rebaptisé TheFork les entreprises locales que l’on a acquises. Regardez le cas Uber. Quand je voyage, dès que j’arrive dans un pays, j’installe l’appli Uber. C’est la force d’une marque mondiale. Le service LaFourchette est très utile pour un étranger à Paris, il faut donc qu’il y accède facilement. Et puis, TheFork, ça n’est pas un changement radical de marque, c’est une traduction. Nous allons garder notre logo et notre identité.
Et le client parisien qui est attaché à LaFourchette ?
B.J. : On prend le pari que les utilisateurs sont plus attachés au service que l’on propose qu’à la marque.
TheFork, c’est aussi l’américanisation de l’entreprise ?
B.J. : On se professionnalise, mais on ne s’américanise pas. Notre siège est toujours situé à Paris, nous avons un autre centre d’activités à Barcelone et des bureaux dans chaque pays où nous sommes présents. Pour ma part, je suis en Europe une semaine par mois environ. Mais pour être efficace, il est important que je sois le plus possible au siège US, à Boston, où se situe le centre de décision du groupe. C’est l’effet machine à café qui fonctionne aussi outre-Atlantique.
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