En 2019, la Business Roundtable a publié une déclaration signée par 181 chefs d’entreprise, représentant 30 % de l’économie américaine, qui ont déclaré qu’il était temps de remplacer une approche restrictive sur la maximisation des profits des actionnaires par une version plus holistique et à long terme du capitalisme. En septembre dernier, de nombreux dirigeants ont réitéré la nécessité de passer au capitalisme actionnarial. Aujourd’hui, les fondateurs de B Lab proposent leur certification comme un moyen de guider les entreprises vers le capitalisme actionnarial.
L’organisation B Lab propose à ces entreprises des solutions pour aligner leurs paroles sur leurs actes. Movement Builders est un moyen concret pour les entreprises d’effectuer les changements externes et internes nécessaires pour changer leur culture et leur comportement afin « d’agir pour le monde », comme l’affirme B Lab. Consciente des défis que représente la certification B Corp pour les multinationales (la grande majorité des 3 500 entreprises certifiées B Corp sont petites et ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million de dollars), l’entreprise B Lab a co-créé le programme avec les multinationales les plus engagées qui ont fait en sorte que la certification fonctionne.
La journaliste Forbes, Nell Derick Debevoise, a échangé avec le co-fondateur de B Lab, Andrew Kassoy, et Tatiana Marques Mendizabal, responsable du programme B Movement Builders, pour en savoir plus. (Des informations complémentaires sur le programme sont disponibles sur le site de B Lab, et dans cet article de Christopher Marquis sur Forbes).
Nell Derick Debevoise : Pourquoi B Lab a-t-il créé le programme Movement Builders pour les multinationales alors que le cœur de la communauté B Lab est constitué de petites entreprises privées ?
Andrew Kassoy : Depuis le début, nous n’avons jamais eu le sentiment qu’il ne s’agissait que d’un mouvement pour les petites entreprises ou les entreprises privées. Il a tout de suite été structuré comme un grand projet, avec l’idée de changer l’ensemble de l’économie, et non pas qu’un seul secteur de l’économie. Nous nous sommes retrouvés sans multinationales et il était impossible pour des sociétés publiques d’aller voir ses actionnaires avec l’idée de parties prenantes et de gouvernance responsable. C’était une idée farfelue dont personne n’avait jamais entendu parler.
Nous avons toujours su que la route serait longue pour atteindre les multinationales, mais nous ne nous sommes jamais opposés à elles. Il y a trois ans, nous avons commencé à nous rendre compte que les multinationales étaient très intéressées, mais nous n’avions pas la capacité de les certifier. Nous avons mis en place un conseil consultatif des multinationales pour réfléchir réellement à ce qui devrait changer pour servir les multinationales, aux normes, à notre équipe, et pour aider ces entreprises à passer par le processus de gouvernance des actionnaires.
Grâce à ce processus, nous avons réalisé que plusieurs entreprises souhaitaient être certifiées. Quelques-unes sont sur la voie, comme Danone. Même les entreprises les plus engagées ont cinq ans d’expérience dans le processus, elles ont fait des choses extraordinaires et il leur reste encore des années à vivre ! C’est en voyant cette chronologie, et combien de multinationales voulaient faire partie de cette communauté, que nous avons créé quelque chose de nouveau, qui puisse engager ces entreprises dans un tel voyage.
Movement Builders est donc une opportunité de transformation pour les grandes multinationales, et une fin en soi. Certaines entreprises vont le faire parce qu’elles veulent être certifiées. C’est un moyen concret pour elles de s’engager sur une longue période dans leur cheminement vers la certification. D’autres entreprises peuvent ne pas considérer cela comme une voie vers la certification, parce qu’elles n’atteindront jamais tout à fait la barre des performances ou de la gouvernance des parties prenantes. Elles peuvent considérer Movement Builders comme une fin en soi : une opportunité de s’engager véritablement dans une transformation qui ne doit pas nécessairement se terminer par une certification.
Tatiana Marques Mendizabal : Je trouve ce programme merveilleux, la difficulté de ce voyage est stimulante. Prendre de nouveaux engagements à voix haute est une énorme opportunité, mais aussi un très grand risque. Les gens seront toujours au-dessus de vous et regarderont ce que vous faites. Et personne n’est parfait. Movement Builders est un moyen d’aider les gens à répondre à la question « Comment pouvons-nous devenir meilleurs chaque jour ? »
Derick Debevoise : Comment comptez-vous maintenir cet équilibre entre rigueur et inclusion et ce progrès imparfait pour les Movement Builders ?
Andrew Kassoy : Movement Builders est maintenant un projet pilote avec quatre entreprises. Nous allons donc apprendre si les qualifications d’un Movement Builder correspondent aux qualifications à certifier. Nous avons une série de questions que nous posons à toutes les multinationales avant qu’elles ne puissent se joindre au processus de certification. Certaines de ces exigences de base vont être les mêmes pour les Movement Builders.
Ils n’ont pas besoin d’être performants au niveau d’un B Corp certifié, le but est de vivre l’expérience. Nous essayons d’obtenir l’adhésion des entreprises qui ne peuvent pas atteindre le niveau requis pour la certification, afin de mettre en place un processus inclusif. Mais nous voulons également maintenir la rigueur, puisque le label B Corp est toujours associé à ces entreprises et qu’elles sont publiques. Nous le ferons avec les exigences de base et le questionnaire de divulgation, ainsi qu’avec les exigences réelles du programme, comme se mesurer à l’aide de la BIA, fixer des objectifs et montrer une amélioration continue par rapport à ces objectifs.
En outre, les Movement Builders sont censés faire des déclarations publiques sur la gouvernance des parties prenantes, avant même d’adopter pleinement cette nouvelle approche. C’est dans le cadre du programme qu’ils s’expriment publiquement, notamment auprès de leurs actionnaires, sur les raisons pour lesquelles nous devons changer le système. Nous savons que ce type de changement de dialogue est un élément essentiel du changement.
Derick Debevoise : Est-ce également ce que vous recherchiez en participant à l’élaboration d’Imperative 21 et à la campagne RESET le mois dernier ?
Andrew Kassoy : Exactement : L’Impérative 21 était une idée essentielle pour nous, c’est la raison pour laquelle nous avons contribué à sa création, et Jay Coen-Gilbert, co-fondateur de B Lab, a pris la tête de ce projet. Nous reconnaissons que le changement des systèmes économiques ne se fera pas par le biais d’une seule organisation. Le mouvement B Corp est une étape de ce changement, car il construit une communauté crédible de dirigeants qui donnent l’exemple de ce à quoi cette nouvelle voie peut ressembler.
Mais toutes les autres organisations qui s’inscrivent dans le capitalisme conscient ou durable sont également essentielles. Si ces organisations travaillent en collaboration avec le récit commun des Imperatives, il est beaucoup plus probable que nous changerons la culture, les attentes et, en fin de compte, le comportement des entreprises. Et cela entraînera également des changements dans les politiques publiques. Nous sommes donc très enthousiastes à propos de RESET !
Derick Debevoise : C’est génial ! Pour en revenir à Movement Builders, j’adore l’idée de mentorat entre les entreprises Mentor et Movement Builder. Comment cela est-il devenu un élément central du programme ?
Andrew Kassoy : Tout comme nous voulons que ces entreprises s’engagent à l’extérieur, en rendant public leur soutien et leur engagement envers le capitalisme des parties prenantes, nous voulons leur donner la possibilité de s’engager en interne, en faisant participer leurs employés à la transformation. La participation des salariés est essentielle pour ce processus de transformation des entreprises. Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, est clair à ce sujet. Il en est le promoteur volontaire et agressif, en fin de compte, le changement vient de la base. Et il exige un soutien et une formation de qualité de la part de l’ensemble du personnel.
Nous avons mis en place une collaboration interentreprises basée sur l’apprentissage important que les multinationales sont en constante évolution. Nous avons déjà des multinationales dans la communauté, qui ont été certifiées, et nous voyons à quel point le chemin est long. Par exemple, depuis que Natura a été certifiée, elle a acheté The Body Shop et Avon. Ces changements spectaculaires les amèneront à repenser et revoir le processus de la certification. Ainsi, Natura et Danone sont, d’une part, bien plus avancées que les entreprises de Movement Builders et, d’autre part, toujours en chemin.
Nous avons réalisé que les employés de Movement Builders auraient beaucoup à apprendre des employés des multinationales certifiées, qui ont encore certains des mêmes défis à relever, mais qui sont un peu plus avancés. De plus, cela donne à d’autres multinationales qui font déjà partie de cette communauté, une puissante opportunité de faire profiter les autres de leurs connaissances.
Marques Mendizabal : Le programme vise à aider les entreprises à passer de la sensibilisation à la compréhension et à la défense des intérêts. Nous, en tant que B Lab, ainsi que les entreprises Mentor, fournissons un modèle de processus et de contenu pour engager les employés dans le processus difficile, mais passionnant, du changement. Ensuite, ils se font entendre par leurs dirigeants, communiquent par leurs propres canaux, conformément à la culture de leur entreprise. C’est tellement inspirant de voir comment les Movement Builders fonctionnent déjà avec ce que nous leur avons fourni. Cela montre la puissance de cette approche de mentorat collaboratif que nous adoptons.
Derick Debevoise : Où sont les entreprises américaines ? Tous les Movement Builders sont basés en Europe ou en Amérique latine.
Andrew Kassoy : Excellente question. Il y en a quelques-uns qui participent un peu plus discrètement. En Europe notamment, cet engagement public en faveur de la gouvernance des parties prenantes est plus facile que pour de nombreuses entreprises américaines, en raison de la réglementation gouvernementale. En Amérique latine, un grand nombre de sociétés publiques sont encore contrôlées par des familles et sont plus disposées à faire cette déclaration sur la gouvernance des parties prenantes.
Les américains arrivent, mais un peu plus lentement. Un tas de choses qui se sont produites au cours des six derniers mois ont commencé à changer la donne. La fusion et Danone qui a obtenu les votes des actionnaires sans opposition, par exemple, ou les introductions en bourse de B Corp, Lemonade et Vital Farms. Tout cela a contribué à changer la donne pour les entreprises américaines qui s’inquiètent pour leurs investisseurs. Les américains feront partie de la prochaine cohorte !
Marques Mendizabal : En effet, ils ont besoin de voir des exemples, ce que proposent justement Lemonade, Vital Farms et Amalgamated Bank. Il est important de noter que cette façon de faire affaire peut conduire au succès à long terme, et même à des gains à court terme. Cela s’applique en particulier dans le contexte de la Covid-19, où les consommateurs sont de plus en plus focalisés sur les valeurs des entreprises.
Derick Debevoise : Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez changer une chose pour que ce passage au capitalisme des parties prenantes se produise, quelle serait-elle ?
Andrew Kassoy : Si nous voulons que les systèmes changent, nous devons changer les politiques. Il y a de grandes choses qui vont se produire dans les prochaines semaines à ce sujet ! Le mouvement B Corp donne l’exemple que les affaires peuvent se faire comme ça, mais cela se fait toujours dans le contexte d’un système économique plus grand, plein d’investisseurs dans une économie financiarisée. Et ce contexte plus large signifie que le changement nous oblige à réfléchir aux règles du jeu pour tout le monde, et pas seulement pour cette communauté B Corp, si nous voulons construire un marché libre et équitable.
Article traduit de Forbes US – Auteure : Nell Derick Debevoise
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