OPINION | La littérature française n’a pas toujours été très tendre avec la figure notariale. De Gustave Flaubert (« Chaque notaire porte en soi les débris d’un poète ») à Tristan Bernard (« Notaire : arrive souvent au dernier acte »), les caricatures du notaire sont toujours allées bon train.
Poussant l’art consommé de la critique sociale jusqu’au point ultime où le lecteur n’a plus guère d’autre choix que de poser lui-même l’hypothèse du ressentiment personnel de l’auteur, Balzac est allé plus loin encore : « Vous voyez un homme gros et court, bien portant, vêtu de noir, sûr de lui, presque toujours empesé, doctoral, imposant surtout ! Son masque bouffi d’une niaiserie papelarde qui, d’abord jouée, a fini par rentrer sous l’épiderme, offre l’immobilité du diplomate, mais sans la finesse […] », avant de poursuivre dans un élan destructeur et qui pourrait s’apparenter aux assauts bestiaires d’un Jean de La Fontaine : « Le notaire offre l’étrange phénomène des trois incarnations de l’insecte ; mais au rebours : il a commencé par être brillant papillon, il finit par être une larve enveloppée de son suaire et qui, par malheur, a de la mémoire. Cette horrible transformation d’un clerc joyeux, gabeur, rusé, fin, spirituel, goguenard, en notaire, la Société l’accomplit lentement ; mais, bon gré, mal gré, elle fait le notaire ce qu’il est. »
Ainsi, le notaire, cet homme soi-disant petit, bedonnant, pas bien malin et aimant donner la leçon à son client, appartiendrait-il à une profession anachronique, maudite et mal-aimée qu’un vent mauvais soufflant de nouvelles technologies et un zeste de dérégulation promettraient à une mort prochaine, 180 ans après le portrait peu flatteur qu’avait décidé d’en faire le père de la Comédie humaine ?
La messe n’est peut-être pas dite pour ce métier singulier et qui occupe encore aujourd’hui directement plus de 15 000 professionnels, libéraux ou salariés, ayant généré un chiffre d’affaires global de 8,8 milliards d’euros pour la seule année 2019. Des résultats que la crise sanitaire n’aura finalement que peu affectés malgré une contraction d’activité de -3% l’an dernier et avant qu’un redressement très net n’intervienne depuis le début de l’année.
Le notaire a beau apparaître un peu « ringard » dans les romans et les pièces de théâtre du siècle dernier, il n’en demeure pas moins un métier aimé des Français. Un métier certes atypique car finalement hybride (le notaire est à la fois officier public, celui qui authentifie les actes et assure leur conservation, et officier ministériel, titulaire d’un office attribué par l’Etat ; il exerce son métier dans le cadre d’une délégation publique et pour rendre service à une clientèle privée). Mais un métier adulé par nos compatriotes, très nombreux à y faire appel et 90% d’entre eux avec satisfaction…
Alors, qu’est-ce qui inquiète vraiment les représentants de ces quelque 6 085 offices notariaux que le Conseil Supérieur du Notariat compte dans ses rangs ? Et pourquoi le notaire semble-t-il à ce point menacé dans son existence même dans un futur pas si éloigné ?
Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer de prime abord, les notaires ne sont pas assez nombreux. La loi dite Macron de 2015 s’est attaquée à ce problème, fixant l’objectif de + 1650 notaires quatre ans plus tard, avec l’intention évidente de renouveler aussi la profession notariale. Comprendre : la dépoussiérer.
Un objectif décrié à l’époque car beaucoup faisaient alors part de leur crainte qu’une forte hausse du nombre d’offices ne conduise à fragiliser non seulement l’activité des études existantes mais aussi l’installation des plus jeunes. Un résultat que l’Autorité de la concurrence, qui s’est penchée sur le sujet dans un avis rendu public le 28 avril 2021, n’a pas confirmé. Les Sages de la rue de l’échelle affirment au contraire dans leur rapport que les créations d’offices depuis 2017 « n’ont pas à ce stade entraîné de baisse de l’activité des notaires en place ». Elles auraient plutôt permis de renforcer le maillage territorial lié aux deux premières vagues de créations d’offices (+ 2 300 professionnels). La population notariale continue donc de croître sans heurts majeurs observés jusqu’à présent.
Le vrai problème est ailleurs. Les études notariales ont vieilli. Et le service rendu par les notaires à la population n’est plus forcément adapté aux exigences d’une société moderne. Outre la réorientation de l’offre notariale là où elle était insuffisante, la loi Macron comportait d’ailleurs quelques autres orientations destinées déjà à faire évoluer les pratiques : ainsi du plafonnement des transactions ou encore des remises encadrées sur les frais de notaires, à leur initiative.
De quoi bousculer une profession ancestrale qui n’avait pas vraiment l’habitude d’être ainsi challengée. Mais l’enjeu de transformation des offices notariaux va beaucoup plus loin. Aujourd’hui, les professionnels du notariat sont sommés de simplifier et de moderniser leurs relations avec leurs clients. Nombreux sont par conséquent ceux qui plaident aussi pour que les études gagnent en productivité, voire se regroupent, afin de mutualiser les compétences disponibles…
L’actuel président de la Chambre des notaires de Paris, Cédric Blanchet, évoquait dans le programme élaboré en vue de son élection en 2020 la nécessité de créer « l’office augmenté ». Un terme qui renvoie d’abord à la nécessaire accélération de la numérisation de la profession (signature à distance, télétravail, documentation numérique, etc.) mais aussi à son aptitude à se transformer pour jouer demain un rôle de conseil. Le métier est encore aujourd’hui regardé comme essentiellement technique (rédaction et authentification d’actes, signature de contrats…) alors que les notaires pourraient demain être davantage présents sur le terrain de l’expertise immobilière ou encore de l’appui à la gestion de patrimoine…
Une révolution qui prendra du temps. Un temps dont ne dispose pas forcément la profession, sérieusement bousculée par l’intelligence artificielle ou encore la blockchain. Aura-t-on encore besoin à l’avenir de son notaire de famille pour élaborer certains actes contractuels ? La question se pose sérieusement.
A première vue notaire et blockchain pourraient entrer assez vite en concurrence. La mission du notaire est de conserver, donc de stocker et sécuriser les données de ses clients, ainsi que d’authentifier les échanges tout en garantissant qu’ils demeureront infalsifiables. Or la promesse de la blockchain n’est pas tellement différente : elle entend stocker, sécuriser les données, authentifier les échanges, offrir des garanties d’infalsifiabilité voire d’indestructibilité.
Comment dès lors, pour les notaires, faire la démonstration d’une valeur ajoutée professionnelle qui les mettrait à l’abri des apports technologiques de la blockchain et de son mécanisme sécurisé de conservation et de duplication ? La profession y travaille d’ores et déjà. Elle réfléchit à se positionner non seulement en amont (au stade de l’élaboration des actes), mais aussi plus en aval, dans la production non plus de copies mais d’originaux permanents et théoriquement infalsifiables. Demain, le rôle du notaire se situera au niveau de la production et dans l’intelligence davantage que dans la conservation que les machines ont désormais le potentiel d’assurer.
Des transformations exigeantes qui font du développement des compétences des notaires et de leurs collaborateurs un enjeu de premier plan s’ils entendent relever ensemble le double défi de la dérégulation et de l’innovation technologique.
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