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Arnaque aux pilules et remèdes abortifs sur Facebook

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Logo Facebook. | Source : Getty Images

Enquête | À la suite d’une grossesse non désirée, de nombreuses femmes se tournent vers Facebook, à la recherche de pilules ou d’autres remèdes pour avorter. Cependant, nombre des solutions proposées sur plusieurs groupes sont en réalité des arnaques. Forbes enquête.

Article d’Emily Baker-White pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Dans un groupe Facebook avec plus de 8 000 abonnés, des femmes brésiliennes appellent à l’aide : « Je suis enceinte de 15 semaines et je ne sais plus quoi faire. J’ai essayé le médicament à 8 semaines et ça s’est mal passé », peut-on lire dans un message. « Je suis enceinte de 9 semaines et 4 jours. J’ai essayé toutes les tisanes possibles que j’ai vues sur l’internet, et certaines d’entre elles me font vraiment mal. J’ai déjà deux enfants en bas âge, et cette grossesse est le fruit d’une négligence. Le temps passe et je suis désespérée », déclare une autre femme. Une troisième femme affirme qu’elle n’a pas les moyens d’acheter des médicaments pour l’avortement et qu’elle cherche donc d’autres remèdes. Une quatrième déclare qu’elle a dépensé le peu argent qu’elle avait pour la vente d’un remède qu’elle craint désormais d’être une arnaque.

Le groupe qui héberge ces messages s’appelle « Safe Abortion – Helping Women ». Au Brésil, où l’avortement est illégal dans la plupart des cas, près de 200 000 femmes ont rejoint des groupes similaires qui se consacrent à l’achat et à la vente de mifépristone, de misoprostol et d’une variété de remèdes maison qui, espèrent-elles, pourraient mettre fin à leur grossesse non désirée.

 

Des groupes et pages Facebook présents dans presque toutes les grandes régions du monde

Ces groupes ne sont pas pour les âmes sensibles. Nombre d’entre eux présentent des photos de serviettes hygiéniques ensanglantées et de fœtus, et beaucoup d’autres contiennent des appels à l’aide de femmes fuyant un partenaire violent ou craignant pour la santé de leurs enfants. Les messages mettant en garde contre les escrocs et les fausses pilules sont fréquents, tout comme les conversations parallèles sur les rapports sexuels non protégés et la contraception. Parfois, une personne opposée à l’avortement intervient pour conseiller aux femmes d’envisager l’adoption.

Le Brésil est l’un des nombreux pays où les femmes se tournent vers Facebook pour obtenir des soins en matière d’avortement. Un examen de la plateforme par Forbes a permis de trouver près de 800 groupes et pages dans 76 pays proposant de mettre les femmes en contact avec des solutions d’avortement. Parmi ces groupes, au moins 300 opèrent dans des pays où l’avortement est au moins parfois illégal, voire un délit pénal. Au total, ces groupes comptent près de 1,8 million d’abonnés. Forbes a découvert que des groupes et des pages Facebook vendant des médicaments abortifs étaient présents dans presque toutes les grandes régions du monde, y compris dans des centres de population où l’avortement est limité comme le Brésil (111 groupes pour plus 191 000 abonnés), le Kenya (50 groupes pour plus 111 000 abonnés) et les Philippines (57 groupes pour plus de 37 000 abonnés). On trouve également ce type de groupe en Iran, en Irak, au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Japon, en Allemagne et en Norvège.

Dix-sept groupes et pages prétendaient fournir des pilules abortives aux femmes aux États-Unis, mais on ignore exactement combien d’entre eux mettent effectivement ces pilules à disposition. Le plus important d’entre eux, qui compte plus de 117 000 abonnés, dirigeait les utilisateurs vers une URL liée à l’avortement qui les redirigeait ensuite vers un site pour adultes. Les deux administrateurs du groupe, dont l’un vend des volailles vivantes aux Philippines à partir de son profil Facebook, n’ont pas répondu aux demandes d’interview de Forbes.

De nombreux groupes ont utilisé une nouvelle fonctionnalité de Facebook qui permet aux membres d’un groupe de publier en tant que « participant anonyme », plutôt que sous le nom qu’ils utilisent sur Facebook. Parmi les membres des groupes qui vendent des médicaments et des remèdes, beaucoup ont pris d’autres mesures pour dissimuler leur identité qui, si elle était révélée, pourrait menacer leur sécurité et leur liberté. Un groupe privé brésilien compte dix administrateurs, qui utilisent tous des photos de profil apparemment générées par l’intelligence artificielle, et quatre qui ont indiqué leur nom de famille comme étant « cyto » ou « cito » (abréviation de cytotec, la marque de Pfizer pour le misoprostol). Si certains de ces groupes affirment être gérés par des médecins, nombre d’entre eux ne le sont manifestement pas et constituent plutôt des lieux où les femmes peuvent acheter et vendre des pilules et d’autres produits sans ordonnance.

 

Se tourner vers Facebook présente des risques

L’interdiction de l’avortement n’empêche pas les femmes de mettre fin à leur grossesse, mais elle les empêche de le faire en toute sécurité. Katy Mayall, directrice des initiatives stratégiques au Center for Reproductive Rights, a déclaré à Forbes qu’il existe des sites internet fiables où les gens peuvent apprendre à gérer eux-mêmes leur avortement et à commander des pilules sûres et authentiques (elle recommande Women Help Women, Women on Web et INeedAnA.com). Cependant, les groupes Facebook, selon elle, sont une arme à double tranchant : s’ils permettent à certaines femmes d’obtenir de l’aide, ils peuvent être une porte d’entrée pour les escrocs et autres arnaqueurs, et comportent des risques pour la santé et la vie privée des personnes vivant dans des pays où les règles sont restrictives.

L’un des risques pour les personnes appartenant à ces groupes est que Facebook soit obligé de partager leurs informations personnelles avec les forces de l’ordre. En août 2022, après que la Cour suprême des États-Unis a rendu l’avortement illégal dans des dizaines d’États américains, Facebook a dû transmettre des messages entre une mère et sa fille aux forces de l’ordre du Nebraska, qui les ont utilisés comme preuves dans les poursuites engagées contre les deux femmes pour l’achat et l’utilisation de pilules abortives afin de mettre fin à une grossesse. La fille a par la suite plaidé coupable d’avoir enlevé, caché ou abandonné un corps humain mort, et la mère a plaidé coupable du même chef d’accusation et d’un autre : avoir pratiqué un avortement au-delà de 20 semaines.

Après la décision de la Cour suprême des États-Unis, Facebook a commencé à supprimer les groupes, les pages et les messages de femmes essayant d’acheter et de vendre des médicaments abortifs. Cependant, le contrôle continu de cette activité s’est avéré délicat pour la plateforme : de nombreux groupes ne font plus référence aux médicaments par leur nom, mais utilisent des euphémismes tels que « bonbons » et « caramels ».

Meta, la société mère de Facebook, autorise les entreprises de certains pays à diffuser des publicités pour des médicaments délivrés sur ordonnance, dont le mifépristone et le misoprostol, à condition que ces publicités ne s’adressent pas à des personnes âgées de moins de 18 ans. Les annonceurs qui font la promotion de médicaments délivrés sur ordonnance doivent prouver à Meta qu’ils sont autorisés à les vendre et doivent recevoir une autorisation préalable avant de diffuser leurs annonces.

Meta n’interdit pas aux femmes de parler de leur expérience en matière d’avortement sur ses plateformes, et dans les groupes et pages examinés par Forbes, il semble que la vente de médicaments ait rarement lieu sur Facebook. Les vendeurs invitent généralement les acheteurs potentiels à les contacter sur WhatsApp, le service de chat crypté de Meta (par exemple, « DM me for candies », littéralement « DM pour des bonbons »). Lorsqu’une personne appelle les numéros WhatsApp affichés dans certains de ces groupes, elle reçoit parfois un message de bienvenue automatisé lui demandant des détails sur sa situation géographique et l’état d’avancement de sa grossesse.

Un fournisseur a communiqué à Forbes une fourchette de prix allant de 80 à 200 dollars, pour divers prétendus médicaments et remèdes. Women on Web, l’un des sites internet recommandés par Katy Mayall, propose des combinaisons de mifépristone et de misoprostol pour un prix compris entre 70 et 90 euros, en fonction de la localisation de la patiente.

Lorsque Forbes a contacté des dizaines de ces numéros sur WhatsApp, peu d’entre eux ont répondu après que nous nous soyons identifiés comme journalistes. L’un des prestataires à qui nous avons envoyé un message s’est dit « attristé de voir le nombre de décès dus à l’avortement chez les femmes ». Une autre personne dont le numéro avait été publié dans les groupes a déclaré qu’elle n’était pas un fournisseur, mais qu’elle « recevait tous les jours des messages demandant des remèdes ».

 

Des arnaques, mais aussi des conseils

Le porte-parole de Meta, Ryan Daniels, a déclaré : « Nous voulons que nos plateformes soient un lieu où les gens peuvent discuter en toute sécurité des questions qui leur tiennent à cœur, y compris des sujets liés à la santé. En même temps, nous avons des règles et des politiques spécifiques concernant l’achat, la vente ou l’échange de médicaments sur ordonnance et des protections pour protéger les gens contre les escrocs, que ce soit dans le domaine de la santé ou dans d’autres domaines. Nous prendrons des mesures à l’encontre de toutes les pages et de tous les groupes que nous jugerons contraires à nos politiques. »

Dans certains groupes, les femmes s’interrogent et se conseillent mutuellement sur la manière de mettre fin à une grossesse à l’aide de remèdes maison. Si la plupart de ces remèdes sont inoffensifs (bien qu’inefficaces), certains peuvent entraîner des problèmes de santé. Plusieurs des groupes examinés par Forbes contenaient des conseils recommandant aux femmes d’utiliser une combinaison de médicaments en vente libre et de Coca-Cola pour mettre fin à leur grossesse. Ce remède ne provoque pas d’avortement, mais peut causer des infections vaginales et d’autres problèmes de santé.

Les groupes sont également remplis d’avertissements concernant divers profils Facebook qui prennent de l’argent pour des pilules qu’ils ne livrent jamais, ou qui livrent de faux médicaments. Un compte (administrateur de plusieurs groupes au Brésil) a publié une série d’articles qui semblaient recycler la même histoire désespérée d’une jeune femme de 18 ans cherchant de l’aide dans le cadre d’un effort à grande échelle pour joindre d’autres femmes dans le besoin.

Outre les accusations d’arnaque, Forbes a également trouvé des preuves d’efforts plus importants et mieux coordonnés pour atteindre (et potentiellement tromper) les femmes à la recherche de soins. Au Qatar, aux Émirats arabes unis, au Canada et dans d’autres pays, un réseau de plusieurs centaines de pages propose des « kits d’avortement » en utilisant le même ensemble de photos de profil, de descriptions et de numéros de téléphone.

Certains groupes et pages recherchent spécifiquement des femmes ayant des besoins difficiles en matière d’avortement, comme celles qui sont enceintes de six, sept, voire huit mois. Dans un groupe d’Afrique du Sud, où l’avortement est légal, une abonnée a écrit : « J’étais enceinte de 6 mois ! Maintenant je suis libre après avoir été escroquée trois fois, n’abandonnez pas mesdames. » Plusieurs autres membres du groupe ont également indiqué avoir été victimes d’escroqueries répétées et avoir fini par mettre fin à des grossesses plus tardivement.

D’autres groupes s’adressent spécifiquement aux adolescentes qui ne sont pas prêtes à devenir parents. Des dizaines de messages postés par un administrateur du groupe se présentant comme un médecin font la promotion d’un service zimbabwéen auprès de ses plus de 800 abonnés : « Les adolescentes sont les bienvenues et il n’y a pas de consentement parental. » Ce message figurait également sur la page « à propos » du groupe. L’avortement n’est légal dans le pays qu’en cas de viol, d’inceste, lorsque la grossesse menace la vie ou la santé de la personne enceinte, ou si le fœtus risque de présenter de graves défauts physiques ou mentaux.

Les groupes d’achat et de vente de remèdes à l’avortement ont également prospéré en Afrique du Sud qui, contrairement à la plupart des autres pays du continent africain, a largement légalisé l’avortement. Parmi les groupes analysés par Forbes, 142 proposaient des services dans le pays, beaucoup promettant la livraison en main propre de pilules ou de remèdes à base de plantes.

Un message récent dans un groupe sud-africain de 39 000 abonnés déclare : « Dieu merci, je suis libre, mais c’est douloureux. » Un fil de commentaires a suivi, dans lequel d’autres personnes ont demandé quelle méthode l’auteur de l’article avait utilisée, comment se faire soigner et combien cela coûterait. Plus de 30 commentaires plus loin, un utilisateur a remis en question le principe même du groupe : « Juste pour que vous sachiez que les pilules sont gratuites à l’hôpital et que c’est sans danger. »

 


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