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Anne Hidalgo (PS) : «L’esprit d’entreprendre n’est pas l’apanage unique des créateurs de start-up, il doit être soutenu par les pouvoirs publics partout où il se trouve »

Anne Hidalgo

Chaque semaine, Forbes propose un entretien exclusif avec un candidat à l’élection présidentielle pour mieux comprendre la place laissée à l’innovation dans leurs programmes respectifs. Que va devenir la French Tech ? Quelle stratégie pour l’entrepreneuriat ? Quelle vision pour la souveraineté économique et technologique de la France ?  Ce lundi, c’est Anne Hidalgo, la candidate du Parti socialiste (PS), qui a accepté de jouer le jeu. Entretien réalisé par Pierre Berthoux


 

La French Tech compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de licornes à son actif. La “start-up nation” imaginée par Emmanuel Macron a-t-elle tenu ses promesses ?

Anne Hidalgo : Ce qui m’importe par-dessus tout, c’est la prospérité collective, celle qui améliore le quotidien des classes moyennes et populaires, celle qui crée des emplois de qualité, celle qui donne confiance en l’avenir et permet une véritable mobilité sociale, celle qui permet d’accélérer la transition écologique. Je suis la première à m’en réjouir lorsque des start-up françaises contribuent à cela, par des innovations dans la santé, dans les mobilités, dans l’énergie, dans le réemploi. Les entrepreneurs ont un rôle important à jouer pour faire advenir le monde d’après, plus juste socialement et moins destructeur de notre environnement.

En revanche je me méfie de cette focalisation béate de l’exécutif actuel sur le statut de licorne, qui ne dit rien de l’apport concret de ces entreprises à l’économie et à la société. N’oublions pas que les levées de fonds spectaculaires auxquelles nous assistons sont en partie permises par une surabondance de liquidités sur les marchés, une concentration du patrimoine, et que les phénomènes de bulles spéculatives ne sont jamais loin. Par ailleurs, je note que les capitaux investis dans nos licornes viennent pour bonne partie d’investisseurs américains ou asiatiques, ce qui soulève des enjeux de souveraineté non négligeables.

La « start-up nation » est un slogan publicitaire efficace, mais qui ne doit pas occulter les millions d’autres entreprises qui contribuent à la création d’emplois, au progrès technique et à la vie de notre territoire hors des métropoles. Au-delà des licornes, je veux m’assurer que le tissu d’entreprises françaises, des TPE aux grandes entreprises en passant par les ETI, crée des emplois de qualité. Plutôt que d’avoir un classement des start-up selon leur valorisation, pourquoi ne pas créer un classement selon le nombre d’emplois créés ?

Si vous êtes élue en avril prochain, est-ce que l’entrepreneuriat fera partie de vos priorités ? Quelles mesures allez-vous prendre en la matière ?

Beaucoup a été fait ces dix dernières années pour soutenir la création d’entreprises, et c’est une très bonne chose car les entrepreneurs sont nécessaires à notre pays. Leur créativité et leur énergie, soutenues par la force du collectif, peuvent déplacer des montagnes. Cet esprit d’entreprendre n’est pas l’apanage unique des créateurs de start-up. Il doit être soutenu et accompagné par les pouvoirs publics partout où il se trouve : dans le secteur associatif, dans les TPE, dans l’industrie, dans l’agriculture, dans l’économie sociale et solidaire.

À ce titre, l’État et toutes les collectivités territoriales ont un rôle à jouer. J’ai beaucoup œuvré à Paris pour créer des conditions favorables à l’innovation tout en étant très attentive à son encadrement, par exemple sur les activités de livraison ou les services de trottinettes et vélos électriques. Dans le même esprit, nous mettrons fin à la situation précaire des travailleurs des plateformes numériques, afin qu’ils accèdent enfin aux droits et protections des salariés. Rien ne justifie que ces plateformes puissent prospérer en France sans contribuer à leur mesure au financement de notre modèle social.

Ma politique consistera notamment à utiliser la commande publique comme levier, en privilégiant des solutions françaises. Je pense par exemple aux enjeux numériques des administrations. Je soutiendrai l’action de la BPI, en renforçant notamment sa capacité à investir dans les start-up d’intérêt stratégique. Nous rapprocherons la recherche universitaire et les entreprises, pour faciliter la mise en production et le déploiement des innovations. Les entrepreneurs auront toute leur place dans l’effort collectif de reconquête économique, par l’écologie, que je défends !

 

Anne Hidalgo : Je considère que nous sommes à la fin d’un mouvement de mondialisation débridé qui aura duré une trentaine d’années. Les États réaffirment leur rôle de régulation et de planification. Regardez la façon dont les sanctions américaines affectent des entreprises étrangères.

 

Pensez-vous que la technologie et l’innovation sont à même de trouver une solution à l’équation climatique ?

Nous ne résoudrons pas l’urgence climatique par un coup de baguette magique. Cela passera par une transformation de notre modèle de développement et une planification écologique, dans laquelle l’innovation et la technologie nous seront effectivement indispensables. Je suis déterminée à ce que la France mène enfin une politique ambitieuse en matière de R&D, portant le niveau de dépenses en la matière à 3% du PIB d’ici 2027. Cette recherche devra être orientée prioritairement sur nos défis environnementaux, pour développer les énergies renouvelables, les modes de transport durables, une agriculture progressivement débarrassée des pesticides. La transformation écologique de notre industrie ne pourra se faire sans investir dans les technologies de capture et de stockage du CO2 ou sans numériser les usines pour leur permettre de gérer de manière dynamique leur consommation d’électricité. De la même manière, pour permettre une généralisation des véhicules électriques, nous devrons déployer un réseau très dense de bornes électriques sur tout le territoire.

Je ne voudrais pas, cependant, qu’on résume l’innovation à la technologie. La grande majorité des innovations se passent de technologie. Les réponses collectives à l’urgence climatique s’inventent aussi à l’échelle locale, par l’initiative des citoyens, des collectifs et des collectivités à qui l’on doit donner la liberté et les moyens d’innover.

Quelles ambitions pour les entreprises françaises et leur faculté à faire le poids sur la scène économique mondiale ? Est-ce possible de concilier patriotisme économique et mondialisation ?

Je considère que nous sommes à la fin d’un mouvement de mondialisation débridé qui aura duré une trentaine d’années. Les États réaffirment leur rôle de régulation et de planification. Regardez la façon dont les sanctions américaines affectent des entreprises étrangères. Regardez la façon dont la Chine cherche à évincer les entreprises étrangères au profit de ses champions mis sous tutelle. Nous devons être vigilants et savoir protéger nos entreprises. Lorsque je dis « nous », c’est à la fois « nous, Français » et « nous, Européens », car c’est à ces deux échelles que nous devons organiser le soutien et la protection de nos entreprises. En France, nous devons mieux préserver nos secteurs stratégiques en étendant le périmètre du décret Montebourg sur les investissements étrangers. Au niveau de l’UE, nous devons développer une politique de la concurrence équilibrée, qui n’empêche pas l’essor de grands acteurs européens.

Dans cette bataille collective, le moteur franco-allemand que j’incarnerai avec le social-démocrate Olaf Scholz sera décisif, pour construire une action européenne coordonnée.

 

Anne Hidalgo : Au-delà de la relocalisation, qui consiste à rapatrier certaines productions, je crois beaucoup en la réindustrialisation, qui doit permettre de développer l’industrie autour des besoins actuels et futurs du pays.

 

Comment assurer notre souveraineté économique et technologique face à la Chine, aux Etats-Unis et aux Gafam ?

Nous devons absolument restaurer notre souveraineté, en particulier en matière technologique. Nous avons pris beaucoup de retard. Je ne me contenterai pas de déclarations d’intentions comme a pu le faire l’exécutif actuel, qui a en réalité souvent déroulé le tapis rouge aux GAFAM. Il faut mener de front une politique défensive et une politique de construction des capacités. Je crois en la puissance du droit pour encadrer et réguler, par exemple sur les données personnelles ou sur les abus de position dominante. L’action de la Commission européenne sur le sujet doit être soutenue et nous devons, en France, nous donner les moyens de faire respecter le droit. La CNIL et l’ARCOM doivent jouer pleinement leur rôle. Mais j’ai conscience que cet effort de régulation sera vain si dans le même temps, nous ne créons pas d’alternatives françaises et européennes aux géants du numérique. Il est indispensable d’une part de développer nos propres technologies et services numériques à grande échelle et d’autre part de soutenir un mouvement de décentralisation de l’internet.

Face à notre dépendance aux matières premières et la chaîne d’approvisionnement mondiale qui nous les achemine, une relocalisation est-elle possible ? Comment y parvenir ?

La crise sanitaire a mis en pleine lumière notre dépendance vis-à-vis de l’étranger sur de nombreux produits essentiels. Il est impératif de produire davantage en France pour trois raisons : répondre à nos besoins collectifs, restaurer notre souveraineté et répondre à l’urgence climatique. Je crois qu’il n’y a aucune fatalité à être aussi dépendants. Nous pouvons retrouver notre souveraineté alimentaire en préservant nos terres agricoles, gagner en indépendance énergétique en visant 100% d’énergies renouvelables aussi vite que possible et limiter nos importations en minerais ou en terres rares en mettant le paquet sur les filières de réemploi.

Nous devons mettre en musique un plan d’autonomie intelligente. Selon la nature des biens pour lesquels nous sommes vulnérables, soit nous relocaliserons la production, soit nous renforcerons les stocks, soit nous poursuivrons une stratégie de diversification de l’approvisionnement.

Au-delà de la relocalisation, qui consiste à rapatrier certaines productions, je crois beaucoup en la réindustrialisation, qui doit permettre de développer l’industrie autour des besoins actuels et futurs du pays. Nous lancerons pour cela quatre grandes odyssées industrielles, dans l’énergie, la santé, la mobilité et le numérique. Les salariés, les chercheurs, les entrepreneurs, et toute la population auront leur place dans ces aventures collectives. À travers la création d’un livret de développement industriel, je permettrai aux Français qui le peuvent de contribuer au financement de cette réindustrialisation !

 

Anne Hidalgo : Nous donnerons à chaque jeune de 18 ans un capital de départ de 5000€, pour lui permettre de financer les projets de son choix.

 

Quelle règle devrait-on impérativement instaurer pour réguler les marchés publics ?

De manière générale, je considère la commande et les aides publiques comme des leviers puissants pour accélérer la transition écologique et sociale de notre économie. Cela donne aux collectivités publiques une capacité supplémentaire de faire appliquer nos préférences collectives. Nous conditionnerons davantage les marchés publics à des critères sociaux (égalité femme-homme, écarts de rémunération, créations d’emplois) et environnementaux (empreinte carbone, circuits-courts, réemploi). Et dans certains domaines stratégiques, par exemple en matière d’hébergement des données personnelles des Français, nous ajouterons des critères de souveraineté.

Est-ce que la théorie du ruissellement est valable selon vous ? Permettrait-elle plus de croissance et d’innovation ?

Soyons clairs, la théorie du ruissellement n’est pas une théorie mais une idéologie. Elle n’a jamais été vérifiée et sert de justification à des politiques qui servent les intérêts d’une très petite minorité au détriment du plus grand nombre. Qu’est-ce que la suppression de l’ISF a apporté à l’économie ? Rien. Au cours de ces deux dernières années, la fortune de quelques-uns a connu une croissance exceptionnelle tandis que les associations observaient une hausse sans précédent des citoyens ayant recours à l’aide alimentaire.

Je veux que la création de richesses et la prospérité bénéficient à toutes et tous. Les pays les plus égalitaires, comme la Suède, la Finlande ou le Danemark, sont plus innovants et prospères que nous. Cela passera par un rééquilibrage des revenus du capital et du travail, dont je suis certaine qu’il n’entamera en rien la motivation et l’énergie des entrepreneurs. Nous devons donner à chacun les moyens de vivre dignement, notamment par le travail. C’est pourquoi nous augmenterons le SMIC de 15%, nous généraliserons le dispositif des territoires zéro chômeur de longue durée, nous donnerons à chaque jeune de 18 ans un capital de départ de 5000€, pour lui permettre de financer les projets de son choix, et nous donnerons plus de place aux salariés dans les conseils d’administration.

 

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