Si le patronat semble avoir désigné le Nouveau front populaire comme un épouvantail, les représentants des chefs d’entreprise ne sont pas toujours clairs quand il s’agit du parti d’extrême-droite. Un flou qui cache une préférence ?
Ce jeudi 20 juin, le Medef organise un grand oral particulier : en pleine campagne des législatives, le grand syndicat patronal va entendre les grands chefs de partis et de coalition, pour parler business, finances et dépenses publiques. Le Medef, dont le président Patrick Martin est à l’origine de ce grand concours des programmes économiques, ne sera pas seul dans l’auditoire : avec lui, on trouvera la CPME, l’U2P, Croissance plus, le Meti (mouvement des entreprises de taille intermédiaire), les chambres de commerce et d’industrie (CCI France), le mouvement Ethic, Impact France et le CJD (centre des jeunes dirigeants), rapporte le Parisien. L’enjeu pour le patronat : cerner le parti qui semble avoir le meilleur programme, et prêcher la bonne parole entrepreneuriale. « Il faut qu’on s’exprime plus, qu’on monte le son !« , s’impatiente un représentant des patrons, toujours dans le Parisien.
C’est que les patrons s’inquiètent. Le soir de l’annonce de la dissolution, le CAC 40 avait sévèrement dévissé. Mais de quoi s’enquit la bourse ? Voilà pêle-mêle, l’instabilité politique, la possible victoire du RN (avec un programme économique dont on ne sait comment il sera financé), ou même la possible victoire du Nouveau front populaire, l’alliance de gauche qui promet de nombreuses mesures sociales, dont la hausse du SMIC – un des nombreux repoussoirs pour le patronat. Un patronat qui, comme Bercy, n’a eu de cesse de s’opposer ouvertement au NFP.
Du côté des chefs d’entreprise, le réflexe est connu : choisir entre RN et NFP, c’est un peu peste ou choléra. Le Medef, d’ailleurs, ne s’est pas mouillé au lendemain de la dissolution. Et a attendu deux jours pour affirmer dans un communiqué qu’il « soutiendra les projets favorables aux réformes économiques et à l’ambition européenne, dans le respect de la démocratie sociale ». Belle jambe. Car dans un moment politique qui pourrait être historique, avec notamment l’accession d’un parti d’extrême droite au pouvoir, les positions du patronat (aussi protéiforme soit-il) doivent être scrutées avec attention. D’ailleurs, le Medef, la CPME et l’U2P avaient essayé de se mettre d’accord sur un communiqué commun, racontent les Echos. Echec. Car au fond, il y a des désaccords : comme celui de s’opposer fermement au RN.
Ni NFP, ni RN… Vraiment ?
Il y a bien un syndicat, qui est sorti du bois assez tôt : Impact France qui regroupe des entreprises de l’économie sociale et solidaire. « La possibilité d’une accession de l’extrême droite au pouvoir représente un danger imminent pour notre économie et notre démocratie », a écrit le syndicat dans un communiqué diffusé le 12 juin. Une prise de position qui a mené un de ses membres, le directeur général de Mirova, Philippe Zaouati, à quitter le mouvement, estimant que le NFP est aussi un danger, et que Impact France aurait dû s’y opposer.
Et finalement, ce 19 janvier, dans les colonnes du Figaro, le patron du Medef est sorti du bois, avec une position qui ne manque pas de tiédeur : « Les programmes du RN et du Nouveau Front Populaire sont dangereux pour l’économie »
Voilà la position du patronat qui se dessine : soit on doit condamner tous les « extrêmes », soit on ne dit rien. Pour le reste, on avance à bas bruit. Mais si le Medef joue la carte du ni-ni, certains ont déjà choisi leur camps.
Dans la presse anglo-saxonne par exemple, les masques tombent… ou presque. Cités par le Financial Times, des cadres et banquiers estiment que le bloc de gauche serait encore pire que le RN pour les affaires. Toutes les sources du FT sont anonymes : un moyen pour délier les langues sans trop se faire remarquer. Un haut cadre d’une entreprise du CAC 40 estime ainsi que « le projet politique économique du RN tient davantage d’une page vierge que les entreprises pensent pouvoir faire avancer dans la bonne direction ».C’était déjà le message qui semblait circuler : « On peut très bien estimer que Marine Le Pen fera comme Giorgia Meloni et amendera son programme », analyse dans les Echos, un patron du CAC 40.
L’enjeu ici, c’est plus celui de la crédibilité économique. Le NFP a déjà expliqué comment il comptait financer ses mesures. LFI de son côté, parti majeur de cette union de la Gauche, a toujours été exemplaire sur ses projections de financement. De nombreux économistes, plutôt hétérodoxes, pour certains à l’envergure internationale, ont soutenu et soutiennent la gauche. Ce n’est ici pas une question de financement : mais bien de mesures qui, politiquement, satisferont ou non le patronat.
Au fond, sur les questions économiques, malgré son verni « social », le RN a toujours plutôt roulé pour le monde des affaires. Car cela fait longtemps, que le parti lepéniste tisse des liens étroits avec le monde des affaires : « Ces derniers jours, les discussions se sont toutefois accélérées. Le RN s’active plus que jamais pour tenter de rassurer les patrons. Comme lors de l’élection présidentielle de 2022, le parti vient à nouveau de louer un appartement dans Paris, afin de les recevoir dans la plus grande discrétion », rapportait BFMTV. Le RN discute en coulisses et lâche du leste sur scène, notamment en revenant sur le promesse d’abroger la réforme des retraites au lendemain d’une éventuelle victoire (ce sera pour l’automne, promet Bardella). Et puis, on pouvait lire dans Alternative économiques, une enquête qui montrait que le programme économique du RN était moins le fait de chercheurs, que d’hommes d’affaires et de technocrates.
Au fond cette séquence rappelle que pour le monde des affaires, le RN n’est pas si effrayant que ça. Même, il pourrait être un allié. Mais jamais les grands patrons ne le claironneront – mis à part peut-être Vincent Bolloré, dont les médias font la réclame depuis quelques jours pour l’extrême droite.
Mais en cas de victoire du parti de Bardella aux législatives, le patronat aurait beau se boucher le nez, il faudra assumer. Car si le RN peut être une bonne pioche pour certains, il se pourrait qu’il soit un désastre pour d’autres. Y compris pour certains chefs d’entreprises.
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