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Amélie de Bourbon-Parme écrivaine et historienne : « En matière d’ascension, une femme doit encore composer avec la biologie »

Après son best-seller, L’Ambition, l’écrivaine Amélie de Bourbon-Parme continue d’égrener les aventures d’Alessandro Farnese, au début du XVIe siècle, en narrant sa progression vers les sommets du Vatican dans son nouveau roman, L’Ascension (Gallimard, 2024). Elle livre ici ses convictions sur les ressorts de l’ascension et prodigue quelques conseils pour réussir une carrière.

Votre précédent roman s’intitulait L’Ambition. Le nouveau s’appelle L’Ascension. Est-ce la suite logique ?

AMÉLIE DE BOURBON-PARME : C’est toute la question de cette fresque. L’Ascension est en effet la suite du tome 1 mais ce n’est pas une suite « logique » au sens où l’on peut être ambitieux sans jamais réussir à atteindre son objectif ! Ce n’est évidemment pas le cas d’Alessandro Farnese dont le talent, la chance et la ténacité vont lui permettre de devenir pape. L’idée de ce livre est de montrer comment une telle ascension (sociale, ecclésiastique et familiale) est possible à une époque si riche et si complexe sur le plan politique et religieux mais aussi sociologique. Selon moi, et c’est tout le projet de cette trilogie de le montrer, une véritable « ascension » au sens matériel et spirituel, n’est possible que si les intérêts personnels se confondent avec les intérêts universels. On ne peut réussir sa propre trajectoire sans apporter une contribution décisive aux autres, au monde qui nous entoure.

À la fin du tome 2, Alessandro Farnese est un jeune cardinal de 25 ans marqué par le pontificat d’Alexandre VI, le très sulfureux Rodrigue Borgia, à qui il devait son accès au Sacré Collège. Lors de l’élection de Jules II, le successeur et ennemi du précédent, Alessandro doit donc faire la preuve de ses capacités et de sa loyauté au nouveau pape. Il aurait pu s’en tenir à son statut de cardinal, obtenir quelques charges en plus pour accroître ses revenus, agrandir sa cour, construire son palais, et s’imposer comme un cardinal influent. Mais son but ultime est bien de donner un établissement à sa famille, c’est-à-dire constituer un État souverain dans le Latium, afin que son héritage ne lui survive pas seulement à travers sa descendance. Mais pour cela, être cardinal ne suffit pas. Il faut devenir pape. Or accéder à cette charge suprême nécessite d’être élu par les membres du Sacré Collège – sous le règne de Jules II, il est composé d’une trentaine de membres puis sous Léon X, il montera à une soixantaine – et donc de s’imposer comme le plus compétent pour diriger l’Église.

Bref, l’ambition pour soi-même, la volonté propre, sont des conditions nécessaires mais non suffisantes : il faut servir l’intérêt commun : c’est à cette seule condition que l’ascension est possible.

 

Les personnes qui ont de l’ambition sont-elles vouées à une belle ascension ?

A.D.B.P : Pas forcément, comme je le dis plus haut.

 

Les ressorts d’une ascension sont-ils les mêmes aujourd’hui qu’au XVIe siècle ?

A.D.B.P : Les ressorts d’une ascension transcendent en effet les époques. Comme au XVIe siècle, par exemple, la proximité avec le monde intellectuel, le recours à des artistes de renom, la commande d’œuvre d’art ou d’œuvres architecturales sont des moyens de rayonner, d’attirer la sympathie et l’affection, d’impressionner son entourage, de s’imposer socialement. Je le soulignais dans le premier tome : la chance est aussi un facteur déterminant mais comme le disait Sénèque, « il n’est point de vent favorable pour celui qui ne sait où il va », il faut donc avoir une ligne directrice claire pour que la chance nous touche de sa grâce. L’accession au trône pontifical de Jean de Médicis, sous le nom de Léon X, l’ami de jeunesse d’Alessandro, est la divine surprise de sa carrière car elle va lui permettre de l’accélérer de manière décisive : de nombreuses charges lui sont conférées et il devient le cardinal le plus riche du Sacré Collège avec plusieurs centaines de milliers d’écus de revenus par an, une cour de plus de 300 personnes, et le plus beau palais romain. Alessandro devient une sorte de vice-pape, l’homme le plus puissant du Sacré Collège. Cette réussite ne suffira pas à le faire élire mais elle le met en position de devenir pape.

Les circonstances vont lui être, plus tard, favorables. Elles aussi, font partie des ressorts de toute ascension. Alessandro devient pape dans un contexte très troublé alors que le sac de Rome a fait plusieurs milliers de victimes, que les églises et les reliques ont été profanées, qu’il représente un des événements les plus traumatiques de l’histoire européenne : son âge, son expérience, son habileté, font d’Alessandro l’homme de la situation. Son passé et sa vie personnelle qui suscitaient toujours de nombreuses critiques et avaient contribué à le faire échouer lors des deux précédents conclaves ne sont plus une entrave. Au regard des événements dramatiques qui frappent l’Église, du schisme protestant qui s’étend à l’Europe, ces circonstances privées apparaissent secondaires.

 

L’ascension est-elle toujours plus compliquée pour une femme que pour un homme ?

A.D.B.P : À l’époque, au sein de l’Église, il n’était pas question d’ascension pour les femmes qui vivaient dans l’ombre du pouvoir. Sans vouloir faire de généralité, l’ascension des femmes aujourd’hui mêle peut-être des éléments plus complexes que celle des hommes. Si l’on parle d’ascension professionnelle, c’est en effet un peu plus complexe pour une femme qui souhaite se réaliser sur d’autres plans : être mère n’est pas une obligation, et les tâches sont de mieux en mieux partagées, mais il reste une dimension biologique qui bouscule parfois le projet professionnel.

In fine, une femme s’impose par son talent, son intelligence, sa ténacité mais elle doit composer avec les aléas de sa vie privée qui reposent davantage sur elle que sur l’homme, malgré l’évolution de notre société. C’est encore vrai aujourd’hui.

 

Quels conseils donneriez-vous, forte de vos travaux, pour faire une grande carrière ?

A.D.B.P : Au regard de la carrière d’Alessandro, je dirais qu’il faut se passionner pour ce que l’on fait autant que pour ce que l’on veut être. Ne pas perdre de vue le plaisir et l’intérêt que l’on porte aux choses. Une carrière menée uniquement pour réussir et être admiré de ses pairs, amasser plus d’argent, occuper la première place fait courir de nombreux dangers et menace par la même l’accomplissement d’un destin ! Il faut que la passion soit tournée vers le monde : elle procure le détachement nécessaire qui permet d’atteindre une réussite plus complète. La prudence, l’habileté, et la loyauté ne sont pas forcément antinomiques. On a tendance à les opposer. Alors que la figure d’Alessandro est pour moi l’expression même de cet alliage rare qui explique sa réussite.

 

Le réseau reste indispensable, quelle que soit l’époque, non ?

A.D.B.P : Oui, le « réseau » est incontournable. Pas seulement pour obtenir des places ou des titres. Mais savoir s’entourer est important pour créer une émulation positive autour de soi, une stimulation : Alessandro a passé sa vie à s’entourer de personnalités brillantes sur le plan intellectuel comme Erasme, Pietro Bembo, écrivain amateur de Cicéron, et artistique comme l’architecte Giuliano da Sangallo mais aussi d’amis influents : après les Borgia, Jean et Jules de Médicis, le fils et le neveu de Laurent de Médicis, maître de Florence, la première puissance financière de l’Italie de la Renaissance, vont avoir un rôle important dans sa carrière. Jean, devenu le pape Léon X, a fait sa fortune. Alessandro a aussi eu le talent de créer des liens de confiance avec des personnalités très différentes qui étaient ennemies : tel Jules II qui lui fit confiance alors qu’il avait côtoyé son ennemi Rodrigue Borgia. C’est un art de ne se fermer aucune porte, de tracer son chemin sans se laisser entraîner dans les guerres de clans, sans apparaître comme un opportuniste.

 

Est-il dangereux de monter trop vite, trop haut ?

A.D.B.P : Oui comme on l’a vu avec César Borgia. Le fils du pape Alexandre VI a été grisé par le pouvoir que lui donne l’élection de son père à la tête de l’Église : après avoir abandonné son chapeau de cardinal obtenu à ses 18 ans, il est devenu à 25 ans capitaine de l’Église. Il va faire preuve d’un talent militaire et politique rare qui lui permet de conquérir des villes et des États au nom de l’Église mais en réalité, pour servir ses propres intérêts. Cette absence de scrupules qui fera l’admiration de Machiavel lui simplifie les choses. Mais elle va à la fin lui coûter cher : sa chute n’en sera que plus brutale. Le temps, la prudence sont également des ressorts d’une ascension réussie. La devise d’Alessandro est : « Hâte toi lentement. » Tout un programme !

 

Peut-on dire qu’il faut savoir s’arrêter dans une ascension ?

A.D.B.P : Je ne crois pas que cela soit une vérité absolue. Si vous êtes utile et indispensable, que votre action a du sens, il n’y a pas de limite !

 

Peut-on réaliser une ascension importante sans le vouloir ?

A.D.B.P : Je ne pense pas.

Qu’est-ce qui différencie la France des autres grands pays en matière d’ascension ?

A.D.B.P : L’esprit. Les lettres et la culture sont indissociables de toute ascension sociale réussie en France. Dans toute société, il faut adopter les codes d’une élite pour parvenir au sommet. La France elle-même est une sorte de club : pour en faire partie, il faut adhérer, comprendre ou simplement connaître ces codes qui appartiennent à une autre sphère que celle du politique.

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