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Alvin Roth, Lauréat Du Prix Nobel D’Economie Veut Revolutionner Les Dons De Reins

Les médecins sauvent des vies. Les pompiers sauvent des vies. Qu’en est-il des économistes ? Le professeur Alvin Roth de Stanford, lauréat du prix Nobel 2012 d’Économie, essaie d’aider des milliers de patients à obtenir une greffe de rein en repensant les marchés. Du système éducatif chinois au processus d’entrevue pour les sociétés de capital-investissement, ses idées sur la conception du marché ont trouvé un large éventail d’applications pour remédier à ses défaillances. J’ai échangé pour Forbes France avec le prix Nobel d’économie 2012 pour avoir son avis sur son projet d’échange de reins.

 

 

Philippe Branche : Pouvez-vous d’abord expliquer la solution que vous avez trouvée pour les transplantations rénales?

Alvin Roth : De nombreux patients dans le monde attendent une greffe de rein. En raison d’une pénurie de donneurs compatibles et de la difficulté de faire parvenir un rein à un patient, la file d’attente est très longue. Cependant, les personnes naissent avec deux reins et l’expérience médicale a montré qu’elles peuvent rester en bonne santé avec un seul. Une personne peut donc faire don d’un rein à un ami ou un être cher.

Aujourd’hui, ce don est limité par des mesures réglementaires ou par des conditions médicales telles que la compatibilité des groupes sanguins ou des anticorps spécifiques que le receveur a déjà formés contre certaines des protéines HLA du donneur qui sont essentielles pour le système immunitaire. Les patients avec beaucoup d’anticorps sont « hautement sensibilisés », il est donc difficile de leur trouver un donneur compatible. Nous devons rassembler de nombreux donateurs potentiels pour pouvoir trouver des échanges appropriés. C’est pourquoi la création d’une base de données d’échange étendue et mondiale devrait aider à réduire le temps d’attente pour une greffe de rein.

Alvin Roth, Professeur à l’université de Stanford

En France, plus de 6 millions de personnes sont concernées par une maladie rénale, souvent sans le savoir ! Thierry Dassault, vice-président de la Fondation du Rein depuis une dizaine d’années, nous explique : « J’ai décidé de m’engager afin d’aider un membre de ma famille. Avec la fondation du rein, nous finançons la recherche et fournissons des bourses à des chercheurs, notamment pour étudier différents types de maladies rénales dont des maladies rares. Nos recherches essayent notamment de trouver des traitements moins lourds pour les patients. Nous organisation à cet effet chaque année le Gala du rein – cette année le 11 mars — pour lever des fonds. Ce gala sera aussi l’occasion de décerner le prix du jeune chercheur. » Chaque année, il ne faut pas oublier que plusieurs milliers de personnes meurent en attendant une greffe en Europe…

 

Gala de la Fondation du Rein : Agnès-Vincent Deray, Anne Roumanoff, Richard Berry et Dr. Brigitte Lantz

 

Travaillez-vous actuellement avec des politiciens, des législateurs ou des administrateurs médicaux pour résoudre ce problème?

Alvin Roth : Je le suis, mais pas avec un énorme succès. J’ai récemment parlé à des décideurs de plusieurs pays : en Inde, Chine, l’Allemagne, le Canada et bien sûr les États-Unis. En octobre dernier, le bioéthicien de renom Peter Singer a exprimé son ferme soutien au Global Kidney Exchange Program, de sorte que récemment l’idée d’étendre les échanges de reins aux échanges internationaux a pris de l’ampleur. J’ai aussi récemment débattu avec un membre du Bundestag, le parlement allemand. En Allemagne, la transplantation rénale d’un donneur vivant est légale, mais un patient ne peut recevoir un rein que d’un membre de sa famille immédiate, et donc l’interprétation littérale de la loi rend l’échange de reins impossible. La loi allemande prévoit que les échanges pécuniaires de parties du corps humain sont illégaux et, apparemment, c’est pour éviter toute possibilité de paiement pour un rein que la limitation aux membres de la famille est appliquée. Un amendement minimal à la loi allemande pourrait permettre aux membres de la famille immédiate de faire un don indirect, via le système d’échange de reins ce qui préserverait la confiance que le donneur n’a pas été payé pour procéder à un échange. En concevant ce marché de cette manière, nous essayons d’étendre la base de données et de réduire le temps d’attente pour les personnes malades.

Graphique montrant que les greffes de rein non apparentées (en bleu) sont aussi efficaces que le transfert des frères et sœurs (en jaune)

 

Quelles politiques publiques souhaiteriez-vous voir mises en œuvre?

Alvin Roth : j’aimerais que l’échange de reins soit étendu, par exemple en Chine. Le don volontaire d’organes y est très récent : jusqu’en 2015, les organes à transplanter provenaient principalement de prisonniers exécutés. La mise en œuvre d’un tel programme devrait permettre aux couples patients-donneurs incompatibles de trouver d’autres couples avec lesquels échanger. Un autre domaine d’amélioration consisterait à fusionner les données de transplantation pour différents pays. À titre d’exemple, il y a actuellement peu ou pas de coordination entre le Canada et les États-Unis à ce sujet. Pour finir, il faut se souvenir qu’une dialyse est beaucoup plus coûteuse que la transplantation rénale, les greffes sont donc non seulement le meilleur traitement pour l’insuffisance rénale, mais aussi le moins cher.

Alvin Roth, auteur de là où les marches ne font pas la loi.

Pour compléter cette interview, un témoignage de Rémi Branche, qui a reçu un rein afin de cerner plus concrètement ce qui pourrait être amélioré. « Je ne sais pas exactement ce qui pourrait être perfectionné. Mais j’ai remarqué au fil des années qu’il y a beaucoup plus de personnes greffées. C’est une très bonne chose, car la vie sous dialyse est très compliquée. Pour ma part, j’ai eu la chance d’être placé en haut de la liste d’attente, car je n’avais que 18 ans lorsque je me suis inscrit. Je crois par ailleurs qu’un axe d’amélioration concernerait le traitement post-greffe, notamment pour la prise de médicaments — j’en ai beaucoup. En ce qui concerne l’échange de reins, je crois personnellement qu’une personne en bonne santé devrait être en mesure de donner ses organes — bien entendu en fonction de sa propre conviction. Car finalement ce don change quand même radicalement la vie des personnes concernées.»

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