Des sociétés comme Clustree et Yatedo proposent des solutions innovantes pour recruter et faire évoluer des collaborateurs grâce au big data. Qu’apportent-elles aux RH ? Dans quelle mesure remodèlent-elles leurs fonctions ? Comment peuvent-elles servir les candidats ?
Les algorithmes prennent le pouvoir, et l’affirmation vaut aussi dans le recrutement. Si l’arrivée de ces « robots recruteurs » n’est plus une fiction, les nouveaux outils de recrutement prédictif sont une révolution. Ou comment les bases de données, l’analyse statistique et sémantique, permettent de faire des recommandations, des prévisions, et de réduire l’incertitude. Un paramètre inhérent à tout recrutement, mais que les recruteurs aimeraient tellement voir disparaître. Bienvenue dans l’ère du « big data ».
Pour le « sourcing » et la chasse
Les algorithmes spécialisés dans le « matching » se targuent de trouver le candidat idéal selon les critères spécifiés par le recruteur. LinkedIn propose lui-même ce service. Des sociétés américaines comme Gild et Kronos promettent de trouver le mouton à cinq pattes en analysant des millions de profils, de contenus et de corrélations.
Elles reniflent leurs données dans les CVthèques, mais aussi partout où les candidats laissent des traces sur le web : les réseaux sociaux, les forums, les blogs, etc. Cela permet notamment de trouver des informations sur les candidats qui ne sont pas en recherche active.
C’est ce que fait Yatedo, une start-up française qui travaille avec des cabinets de recrutement et de conseil, des SSII, des PME et des grandes entreprises telles que Colas. Son outil « note » les cibles en fonction de dizaines de variables. Son co-fondateur, Saad Zniber, explique qu’il est possible par exemple de savoir si le candidat est un « passionné », s’il est susceptible de quitter son poste dans les six mois, ou encore s’il est du genre à avoir la bougeotte.
Le but n’est pas de construire des usines à clones
Sa solution décortique un poste à pourvoir, afin de proposer des résultats qui auraient pu échapper au recruteur. « L’outil est très utile pour des postes ‘pénuriques’ comme celui de data scientist. Une fois qu’on a déterminé quelles sont les compétences requises, on détecte les formations où les étudiants les acquièrent et les secteurs dans lesquels il est intéressant d’avoir évolué » In fine, l’outil trouve des gens qui sont, dans cet exemple, data scientists sans le savoir. « Les profils qui sont susceptibles de le devenir, détectés en amont, sont moins chers », argumente Saad Zniber.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces algorithmes qui se basent en partie sur des historiques pour leurs analyses ne reviennent pas à bâtir des usines à clones. Ils permettraient même d’accéder plus facilement aux profils universitaires et atypiques.
Pour le premier tri de CV
Autre application des algorithmes, le tri des CV, pour les recrutements de masse et les sociétés qui croulent sous les candidatures spontanées. « Aujourd’hui, l’intelligence artificielle fait mieux le tri de CV que n’importe quel service RH », affirme Jacques Froissant, fondateur du cabinet de recrutement Altaïde. Même s’il ne va pas jusqu’à affirmer, comme une étude de la Harvard Business Review publiée en 2014, que pour recruter, les algorithmes sont meilleurs que l’intuition des professionnels.
Pour les promotions internes
Les algorithmes ne se contentent pas de trier les CV. Ils calculent les probabilités que la nouvelle recrue reste le plus longtemps possible dans l’entreprise. Car le turnover coûte cher : environ 20% du salaire d’un cadre, selon une étude américaine citée par le Guardian. Voire deux ans de salaire pour un poste de top management.
La start-up française Clustree, créée en 2014, se positionne sur ce créneau, avec une solution de « machine learning » qui élabore des recommandations tout au long du cycle de vie du collaborateur (recrutement, promotion, plan de succession…). Elle s’appuie sur les bases de données internes des entreprises et les CV reçus de manière « naturelle », qu’elle compare à 250 millions de profils à travers le monde. Le ticket d’entrée s’élève à « quelques dizaines de milliers d’euros ». Chacune des recommandations est justifiée à l’aide d’une centaine de critères, explique la fondatrice, Bénédicte de Raphélis Soissan.
L’outil fournit ainsi une aide à la décision, en analysant l’adéquation du candidat avec un poste, ou en calculant le risque de départ d’un salarié que l’on cherche à retenir.
La start-up, lauréate de multiples prix, se place comme un allié des recruteurs. « Je crois que le prédictif est un leurre. On peut faire du prospectif mais pas prédire l’avenir. Il faut voir les algorithmes comme un observatoire, mais on a toujours besoin d’un observateur, pour qu’il prenne les décisions et qu’il exerce son intuition », déclare la dirigeante de Clustree.
Repenser le rôle des RH…
Ces nouveaux outils informatiques changent forcément le rôle des équipes RH dans les grandes entreprises. Mais il ne faut pas s’imaginer que les algorithmes remplaceront leurs métiers. « Elles doivent apprendre à être plus dans un rôle de conseil vis-à-vis des managers et des salariés. Elles peuvent enfin se concentrer sur l’humain », estime Bénédicte de Raphélis Soissan.
Une affirmation à laquelle acquiesce Jacques Froissant. « Cela va laisser plus de temps aux cellules de recrutement pour des tâches à valeur ajoutée, et les pousser à monter en compétences. » Faire passer des entretiens, proposer des formations, vérifier des références, accompagner les nouvelles recrues, détecter les talents, construire une culture d’entreprise attractive…
…pas les remplacer
En profiter pour réduire la voilure des équipes serait une erreur : cela risquerait d’appauvrir le recrutement et de laisser filer les meilleurs éléments. Selon le patron d’Altaïde, une entreprise comme L’Oréal dépense jusqu’à 3 millions d’euros par an sur LinkedIn, et en retire au moins le double en retour sur investissement, grâce aux économies réalisées sur des postes classiques. Pourtant, elle ne s’en remet pas uniquement aux algorithmes.
Cela vaut aussi pour les cabinets de recrutement. « Une partie du travail de chasse est uberisé, mais on ne pourra jamais remplacer le contact humain », estime Saad Zniber, qui fait payer sa solution 6000 euros pour un compte, soit bien moins que le coût d’une chasse de tête.
« Ce sont les mauvais cabinets qui seront uberisés ! » s’amuse Jacques Froissant. « Ces outils nous font gagner du temps aussi. Grâce à LinkedIn, nous sommes passés d’un délai de sourcing de 1,5 à 2 mois pour un poste, à une dizaine de jours. Etre un expert de ces outils nous positionne avantageusement sur le marché ».
La fin de la loterie pour les candidats ?
Qu’en retenir du côté des candidats ? « Ne pas exister sur internet est un handicap. Il faut être présent professionnellement, pour être visible », recommande Saad Zniber. Mais en gérant cette présence intelligemment : car ce que vous écrivez, commentez, likez, sont autant de tests potentiels. Ce qui peut d’ailleurs poser un problème de consentement et de données personnelles, mais c’est un autre sujet.
Qu’on le veuille ou non, une partie du travail de tri sera fait par des algorithmes. Jacques Froissant est persuadé qu’il s’agit d’un progrès. « Je pense qu’on ira encore plus loin à l’avenir avec des intelligences artificielles comme Watson d’IBM, que ce soit dans le sourcing ou dans le tri. Et je suis convaincu que ce sera au bénéfice des candidats. Le recrutement sera moins discriminant, plus juste, plus efficace. »
Dans tous les cas, il vaut mieux se construire un profil riche et y mettre de sa personnalité. « Il faut arrêter de faire un ‘CV machine à écrire’. La page LinkedIn n’a pas de fin ! Il faut penser référencement, mots-clés », conseille le recruteur. « Demain, l’intelligence artificielle analysera même votre vocabulaire, la façon de construire vos phrases, et en tirera des conclusions. » Avis aux maquilleurs de CV: demain, il faudra apprendre à tricher avec des intelligences artificielles.
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