Comme escompté, l’ancien numéro 2 d’Air Canada Benjamin Smith a officiellement pris les commandes de la compagnie Air France-KLM à l’issue du conseil d’administration de ce jeudi soir. Mais (déjà) le montant de sa rémunération – il pourrait toucher jusqu’à 4,25 millions par an, dont 900 000 euros de part fixe – suscite un début de controverse.
A peine nommé et déjà une polémique pour l’ancien directeur d’exploitation d’Air Canada. Professionnel reconnu du secteur aérien, à l’inverse de ses prédécesseurs, et artisan – entre autres – du spectaculaire redressement de la compagnie canadienne pourtant au bord de l’abîme en 2003, Benjamin Smith pourrait toucher pour sa « mission » chez Air France-KLM jusqu’à 4,5 millions d’euros par an, dont 900 000 euros de part fixe. Des émoluments trois fois supérieurs à ceux de Jean-Marc Janaillac qui s’élevaient à 1,12 million d’euros en 2017, dont 600 000 euros de fixe selon le document de référence du groupe. Celui-ci avait toutefois renoncé à 12 000 euros pour maintenir le montant variable au niveau de 2016. Le député UDI, Bertrand Pancher, a notamment qualifié ce salaire de « déplorable pour l’image de la compagnie auprès de ses salariés et des Français en général ». Fin de citation. L’intronisation de Benjamin Smith n’a décidement rien d’un long fleuve tranquille puisque, dès hier matin, les syndicats étaient montés au créneau pour critiquer un choix par encore officiel. « Le conseil d’administration d’AF-KLM joue toujours la politique du pire (…) là, il livrerait les clefs d’AF aux Américains ? », a déclaré sur Twitter Philippe Evain, le président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), principal syndicat de pilotes qui avait déjà été très critique sur ce potentiel choix dimanche dernier, dans les colonnes du Parisien. « Nous pensons qu’il faut un dirigeant connaissant les spécificités du dialogue social français, qui maîtrise les détails du marché aérien européen et notamment les forces en présence entre les low-cost et les compagnies historiques. C’est très différent de ce qui se passe au Canada » avait-il assené.
L’irritation inaugurale des syndicats a d’ailleurs pesé sur le titre Air France-KLM, en chute de 4,07% en milieu d’après-midi. « Ce qui fait baisser le titre, c’est essentiellement le mécontentement des syndicats », abonde Meriem Mokdad, gérante de Roche-Brune Asset Management, citée par Reuters. D’ailleurs les analystes de Société Générale se disent « surpris » par les critiques des syndicats notamment sur le fait que le nouveau directeur général de ne soit pas français. « Il est inconcevable que la compagnie Air France, française depuis 1933, tombe dans les mains d’un dirigeant étranger dont la candidature serait poussée par un groupe industriel concurrent (Delta Airlines pour ne pas le citer) », pouvait-on lire, dès jeudi matin, dans un communiqué signé par neuf organisations syndicales. A l’inverse, les informations de presse évoquant l’arrivée de Ben Smith ont permis à l’action du transporteur franco-néerlandais de s’apprécier de 5,5% sur les trois dernières séances.
Un salaire pouvant atteindre 4,5 millions d’euros
Aucun rapport donc avec le salaire du nouveau patron de la compagnie. même si la question de la rémunération s’est, en effet, avérée cruciale dans le choix du futur patron du transporteur franco-néerlandais et a longtemps fait office de repoussoir pour d’éventuels prétendants. Initialement, comme évoqué en préambule, d’un montant fixe de 600 000 euros annuels, avec la possibilité de la doubler en rémunération variable, elle demeurait – et demeure toujours – loin des standards de la concurrence (8,8 millions d’euros pour Willie Walsh PDG d’IAG en 2015 avec des critères similaires). Déjà, en 2016, la succession d’Alexandre de Juniac n’avait pas suscité la convoitise des professionnels du secteur. Fabrice Brégier, ex-numéro 2 d’Airbus, avait notamment refusé le poste en 2011 et en 2016. Une « évolution » salariale qui a forcément reçu l’imprimatur de l’Etat, actionnaire à hauteur de 14%. D’ailleurs, l’Etat a, sans surprise, entériné ce choix lors du conseil d’administration, et Bruno Le Maire a assuré Benjamin Smith de sa pleine confiance pour mener à bien les différents chantiers de transformation du groupe.
Déjà dans l’œil du cyclone des syndicats – et sans doute bientôt de l’opposition –, Benjamin Smith a néanmoins de sérieux arguments à faire valoir. Celui qui maîtrise la langue de Molière a notamment œuvré au redressement de la compagnie canadienne qui a flirté avec l’abîme il y a une quinzaine d’année. « Si aujourd’hui Air Canada a remonté la pente après plusieurs années difficiles, c’est en partie grâce à lui », confie un employé du groupe, sous couvert d’anonymat au Parisien. Et de brosser son portrait. « Il est compétent, il a des idées et quand il a une stratégie il va jusqu’au bout ». Réputé discret et taiseux, l’homme, affectueusement surnommé « Ti Ben » en raison de sa petite taille, n’en demeure pas moins un redoutable dirigeant capable de monter au front et tenir tête aux syndicats. Même si l’homme n’a que peu d’expériences des conflits sociaux au Canada, mais il peut néanmoins se targuer d’avoir signé avec les deux syndicats représentant les personnels navigants des accords sur l’organisation d’Air Canada et d’Air Canada Rouge (la low-cost du groupe) sur une durée de dix ans.
« Avec lui, ça va détonner »
« C’est un dirigeant dur mais pas méchant. Mais je vous préviens, chez Air France, ça va détonner. Il sait faire de l’argent, pas du social », lâche cet employé d’Air Canada. « Si vous cherchez quelqu’un pour gérer les pilotes, c’est un bon choix », a estimé de son côté une source industrielle citée par Reuters. « Ben est le visionnaire de l’expansion stratégique d’Air Canada vers un réseau mondial diversifié qui dessert plus de 200 destinations sur six continents avec une flotte de plus de 350 appareils », écrit Air Canada dans la biographie officielle de son désormais ex-numéro deux. Et les défis ne manquent pas pour la nouvelle équipe qui devra renouer le dialogue social, non seulement avec les pilotes, mais également avec les autres catégories de personnels. L’intersyndicale d’Air France prévoit de se réunir le 27 août pour décider d’actions à mener à la rentrée pour « obtenir la fin du blocage des salaires qu’elle dénonce depuis des mois ». Pour rappel, les quinze jours de grève entre février et mai derniers ont été évalués à 335 millions d’euros. Air France-KLM écrit ainsi une nouvelle page de son histoire et espère qu’elle sera moins tourmentée que les précédentes.
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