Le 19 mars dernier, une semaine après la faillite de Sillicon Valley Bank (SVB), UBS rachète Crédit Suisse. La transaction fait suite à des retraits massifs de dépôts de la part des clients de Crédit Suisse et à un effondrement de son cours de bourse. Une telle opération est orchestrée par l’État helvétique et la Banque Nationale Suisse. Par crainte d’une contagion en dehors de la Suisse, les présidents de la FED et de la BCE, Jerome Powell et Christine Lagarde, suivent les négociations de près. Celles-ci aboutissent quelques heures avant la réouverture de la bourse suisse. Ce scénario rappelle celui de la faillite de SVB. Il semble aussi préfigurer celui de First Republic Bank. Néanmoins, SVB et Crédit Suisse sont-ils comparables ?
Dans chacun des cas, les retraits significatifs de dépôts fragilisent la banque et permettent de parler de « bank run » : 42 milliards de dollars retirés en une journée pour SVB, 10 milliards de francs suisses pour Crédit Suisse. La mise à mal du modèle économique de la banque conduit à évoquer l’hypothèse d’une recapitalisation qui se révèle finalement inenvisageable et accélère la chute de sa capitalisation boursière. SVB a, en effet, tenté de réaliser une augmentation de capital de 2,25 milliards de dollars avant de reconnaître l’échec de l’opération ; plus informellement, le président de la Saudi National Bank, premier actionnaire de Crédit Suisse, fait savoir qu’il ne compte pas injecter davantage d’argent dans Crédit Suisse. Les ressemblances s’arrêtent là.
Les causes de la crise des banques régionales américaines d’une part, de Crédit Suisse d’autre part sont fondamentalement différentes. La faillite des premières est la conséquence des effets de la hausse des taux : à l’époque où les taux d’intérêt sont encore très bas, c’est-à-dire jusqu’à la première moitié de l’année 2021, elles placent les dépôts de leurs clients dans des obligations d’Etat à moyen et long terme, sans mettre en place des stratégies de couvertures efficaces contre le risque de taux. Cela permet d’économiser le coût d’achat d’instruments financiers, en spéculant sur l’absence de remontée des taux. Quand celle-ci se produit, les banques qui n’ont pas opéré de gestion de leur bilan revendent leurs obligations et réalisent des moins-values substantielles ; celles-ci dégradent leur solvabilité, ce qui accroit l’inquiétude des déposants.
La situation de Crédit Suisse n’est pas comparable. La banque inquiète lorsqu’elle déclare, le 14 mars, avoir constaté d’importantes défaillances dans son reporting financier, au cours des deux dernières années, en raison de l’inefficacité de ses contrôles internes. Cette annonce intervient 5 jours après avoir pris la décision de reporter la publication de son rapport annuel, à la suite de commentaires formulés par la Securities Exchange Commission sur les tableaux des flux de trésorerie consolidés des exercices 2019 et 2020. Cet événement passe d’autant moins inaperçu que plusieurs opérations de Crédit Suisse ont précédemment défrayé la chronique : en 2021, la faillite du fonds spéculatif Archegos coûte 5 milliards de dollars à Crédit Suisse. La même année, la banque écope d’une amende de 475 millions de dollars à la suite de l’affaire des « tuna bonds » dans laquelle des prêts octroyés à la République du Mozambique, en vue de financer la pêche au thon, étaient en partie détournés pour des pots de vin et pour financer la défense côtière.
Si, dans tous les cas, les déposants n’ont pas subi de pertes, les conséquences de ces crises bancaires ne sont pas les mêmes. La reprise de SVB par First Citizens intervient après sa faillite. Les actionnaires de SVB perdent ainsi la totalité de leur mise. A contrario, Crédit Suisse ne dépose pas le bilan : UBS rachète ses actions a un prix très décoté puisqu’il valorise Crédit Suisse à 3 milliards de francs suisses alors que, sa dernière capitalisation boursière atteignait 7 milliards. L’opération est réalisée par échanges de titres. Ainsi, ses actionnaires entrent au capital d’UBS et peuvent espérer un retour à meilleure fortune dans l’hypothèse où la fusion entre les deux grandes banques suisses est une réussite : si le nouveau groupe démontre sa capacité à créer de la valeur, ils pourront en effet revendre, dans le futur, leurs actions UBS avec plus-value.
En revanche, les porteurs de Cocos ou contingent convertible bonds, éligibles à l’Additional Tier 1 (AT1) de Crédit Suisse, sont sacrifiés sur l’autel du sauvetage de la banque. Lors d’une faillite, les créanciers sont prioritaires vis-à-vis des actionnaires : ainsi, le produit de la liquidation des actifs sert à payer les créanciers avant toute indemnisation des actionnaires. Mais là, le contexte est différent puisque Crédit Suisse ne fait pas faillite. En outre, ces titres peuvent être annulés en cas de difficulté financière et, de facto, de besoin de renforcement de la solvabilité de la banque. Ainsi, grâce à l’annulation des Cocos d’une valeur de 16 milliards de francs suisses, Crédit Suisse augmente d’autant son bénéfice, donc ses fonds propres, portant ainsi son ratio de solvabilité de premier niveau (Commons equity tier 1 ou CET1) de 14% à 20%.
UBS vient tout juste de rendre publique la comptabilisation d’un badwill de 35 milliards de dollars né de l’acquisition de Crédit Suisse pour 3,5 milliards de dollars alors que la valeur marchande de son actif net est de l’ordre de 38 milliards de dollars. Cet impact positif sur les fonds propres d’UBS lui permettra de faire face à des charges de restructuration, à des pertes liées à des procès, à des dépréciations de crédits immobiliers et d’actifs détenus à des fins de transaction. Ces annonces n’ont pas encore eu d’impact sur le cours de bourse d’UBS, désormais scruté par les actionnaires de Crédit Suisse. Les cas des banques régionales américaines, en particulier celui de SVB, et de Crédit Suisse sont donc bien différents : les premières ont seulement pu préserver la fortune de leurs déposants ; le second a pu, en plus, sauver au moins une partie de celle de ses actionnaires.
Olivier Levyne est Professeur Affilié à HEC Paris
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