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Recul du poids des sciences sur le marché du travail : il est temps de s’en inquiéter

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Source : GettyImages

Malgré un marché de l’emploi encore stimulé par les mesures de relance, le poids des professions à haute valeur ajoutée que sont l’informatique ou l’ingénierie dans le total des offres diminue.

 

À première vue, la situation du marché du travail en France est plutôt réjouissante. À 7,4 % au deuxième trimestre, le taux de chômage n’avait pas été sur des niveaux aussi faibles depuis début 2008. Entre février 2020 et mi-août 2022, le volume d’offres d’emploi sur Indeed France a augmenté de 49 %. Mais le poids de l’industrie, des sciences et de l’informatique dans les offres d’emploi a fortement reculé depuis l’irruption du coronavirus en France, à la différence des autres pays développés.

 

L’ingénierie et l’informatique bénéficient peu de la hausse des recrutements

 

La reprise économique observée après la levée des restrictions liées à la pandémie de Covid-19 est apparue plus forte qu’attendue. Elle se retrouve dans la trajectoire des offres d’emploi de la plupart des pays industrialisés, qui résiste pour l’instant à la guerre en Ukraine. Mais les 49 % français doivent être comparés aux +55 % réalisés par l’Allemagne sur la même période, alors que ce pays était presque au plein emploi avant la crise, ou aux +88 % de l’Italie, résultat obtenu notamment grâce à des réformes du marché du travail. À l’exception du Royaume-Uni handicapé par le Brexit, avec une croissance des offres à « seulement » 44 %, les pays anglo-saxons affichent des progressions parfois impressionnantes : +128 % pour l’Australie, +62 % pour le Canada, +52 % pour les États-Unis.

 

En France, quatre grandes familles de métiers de services progressent avant tout. L’éducation et la formation gagnent 4 %, les fonctions administratives, le marketing et les ressources humaines 9 %, les services à la personne et au public, l’hôtellerie-restauration et le divertissement 15 %. La France est en outre le pays pour lequel la part de la santé (hors industrie pharmaceutique et dispositifs médicaux) dans l’ensemble des offres d’emploi augmente le plus avec une hausse de 55 %. Malheureusement, beaucoup de ces annonces correspondent à des emplois rémunérés aux environs du salaire minimum, globalement peu qualifiés.

 

Et pour cause : les métiers de l’ingénierie sont ceux qui perdent le plus de terrain dans l’ensemble des offres, avec une part en baisse de 16 % par rapport au 1er février 2020. Le recul des métiers de l’informatique, des sciences et des données interpelle lui aussi avec une chute de 13 %. En comparaison, aux États-Unis, leader toujours incontesté dans les nouvelles technologies, ces  métiers affichent une progression de 25 %.

 

Des conséquences négatives pour la productivité et la compétitivité

 

Le phénomène est d’autant plus préoccupant que ces métiers sont précisément ceux qui permettent de réaliser des gains de productivité, lesquels seraient bienvenus dans un contexte où l’inflation se développe (6,1 % en juillet). Ils permettraient en effet de compenser la hausse du coût des matières premières et de certains facteurs de production, notamment de financer les augmentations réclamées par les salariés pour compenser les pertes de pouvoir d’achat, à l’image de ce que l’on a pu voir dans la grande distribution, où la forte concurrence a poussé les acteurs à investir massivement dans l’informatisation et l’automatisation. Inférieure à 1 % sur les dernières années, les gains de productivité paraissent trop faibles pour limiter la répercussion d’éventuelles hausses de salaire sur les prix. Le risque est de déclencher puis d’entretenir une spirale inflationniste, préjudiciable pour l’économie.

 

Plus préoccupant pour le long terme, la France pourrait définitivement se spécialiser dans les secteurs et métiers à moyenne voire faible valeur ajoutée, un danger qui est aussi le revers des politiques d’allègement de charges sur les bas salaires. Le déficit de recrutement d’ingénieurs, notamment dans les métiers de l’informatique qui sont essentiels pour maintenir la compétitivité des entreprises de tous les secteurs économiques (via la numérisation et l’automatisation), menace à terme la compétitivité du pays. Un meilleur ciblage du dispositif de Crédit d’impôt recherche, pour lequel plus de 6 Mds€ sont reversés chaque année par l’Etat, pourrait s’inscrire dans une stratégie de création d’emplois à haute valeur ajoutée au sein d’entreprises innovantes et viables.

 

Enfin, cette diminution du poids des métiers techniques et scientifiques dans les offres d’emploi fait peser une menace très lourde sur la numérisation des entreprises, en particulier des PME, et sur la transition énergétique, qui sera plus périlleuse à exécuter faute d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers capables de développer les technologies nécessaires.

Tribune rédigée par Alexandre Judes, économiste en charge du Hiring Lab d’Indeed en France

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