Avec ses films d’auteure et son engagement féministe à la Fondation des femmes, l’actrice-productrice poursuit un objectif : défendre les artistes et promouvoir les femmes. Forte de cette expérience, Julie Gayet a défriché un nouveau terrain de jeu, le rapport entre la musique et l’image grâce à un nouveau festival, Sœur jumelles. Un événement qui s’est tenu fin juin à Rochefort. Un rêve de petite fille pour celle qui a été formée au chant lyrique de 8 à 20 ans, avant de se tourner vers le théâtre et le cinéma.
Comment avez-vous vécu les confinements successifs ?
JULIE GAYET : J’ai dû fermer le département distribution de ma société de production Rouge international à cause de la pandémie. Une décision prise la mort dans l’âme car c’était très important pour moi de ne plus me limiter à la production du film, mais de l’accompagner dans toutes les étapes de sa vie, depuis le projet jusqu’à sa sortie en salles, et même sa vente derrière. Cela permettait de mieux tricoter notre projet, de lui assurer une cohérence.
Avec quels films avez-vous pu assurer cette cohésion ?
J.G. : Les documentaires sont de plus en plus difficilement financés dans le cinéma, il devient ainsi essentiel de travailler les autres relais de distribution que sont la télévision et les plateformes. Par exemple, j’ai récemment produit un documentaire sur Nelson Mandela (Le procès contre Mandela et les autres de Gilles Porte) qui est diffusé sur la chaîne Arte. Ce film est parti d’un objet assez rare et très cinématographique que sont les archives sonores du procès de Mandela récemment restaurées… Un bijou qui permet de revivre ce moment historique.
L’audiovisuel est un marché qui évolue ?
J.G. : Avec le confinement, on a assisté à une nouvelle forme de consommation avec des gens qui se sont mis à accéder à beaucoup de contenus de chez eux. Il y a une forme de porosité entre la télévision et les plateformes que nous avons anticipée avec les documentaires, mais il faut continuer à faire bouger les lignes : passer du cinéma à la plateforme ou à la télévision plus facilement qu’avant car il y a encore beaucoup de contraintes sur les droits de sortie en salles.
Comment protéger la salle de cinéma ?
J.G. : Il y a aujourd’hui mille façons de faire vivre une salle de cinéma, et les salles, d’ailleurs, se réinventent. Qu’il s’agisse de la rediffusion d’un film culte au Grand Rex ou de conférences comme le fait MK2, la salle devient l’occasion de vivre une expérience collective.
Comment voyez-vous l’avenir de votre société de production ?
J.G. : Cela peut paraître un peu prétentieux mais j’ai pour modèle la société les Films du losange, avec cette idée de studio indépendant qui concentre en interne la vente, la distribution, et même la musique. Je veux garantir à ceux qui accompagnent le film que l’on a la même histoire. Au final, c’est toujours une histoire de cohérence. Essayer de faire rentrer du 42 dans du 36, ça ne marche pas, de la même manière qu’avoir un budget en 42 pour un petit 36 vous colle une pression qui n’apporte rien. Ce que l’on appelle dans le jargon « le cinéma du milieu » souffre, et c’est celui-là que j’ai envie de développer pour continuer à avoir cette diversité dans les salles. Une spécificité française de plus en plus compliquée face aux mastodontes de l’entertainment.
» LE CINÉMA D’AUTEUR SOUFFRE, ET C’EST CELUI-LÀ QUE J’AI ENVIE DE DÉVELOPPER POUR CONTINUER À AVOIR CETTE DIVERSITÉ DANS LES SALLES. »
Quels enseignements avez-vous tirés en tant que productrice ?
J.G. : Il faut apprendre à se libérer, se délester de certains poids pour pouvoir repartir et appréhender sereinement le futur. On ressent même une forme de sagesse. J’avais anticipé en fermant la distribution avant le second confinement, pourtant je ne savais pas encore que les salles seraient fermées une deuxième fois, mais j’avais compris que nous devions trouver une autre façon de faire. Néanmoins, il y a quand même un embouteillage de films avec 180 films indépendants sur les étagères…
Comment procédez-vous, alors ?
J.G. : Peut-être avec une façon très concrète de prendre les choses en main. Je n’attends pas tranquillement dans un coin. J’aime que les choses se fassent et me permettent d’apprendre. Tout cela est nourri par mon envie de comprendre aussi… comme comprendre ce qui se passe dans la tête d’un réalisateur pour l’accompagner en tant que productrice dans l’accomplissement de ses idées, ou en tant qu’actrice pour jouer au plus proche de ses attentes.
Comment conciliez-vous les deux casquettes ?
J.G. : Je suis devenue actrice très jeune grâce à Agnès Varda qui a été l’une des premières à me faire rentrer dans cette industrie, alors que j’avais suivi une formation de théâtre et de chant lyrique. Elle avait sa petite société de production et m’a montré que l’on pouvait toujours trouver les moyens de se financer et de ne pas s’interdire des choses. Elle me répétait tout le temps : « L’universel commence quand on pousse les murs de sa cuisine », une phrase qui est devenue notre mantra quand j’ai monté Rouge.
Une rencontre qui souligne l’importance des rôles modèles féminins.
J.G. : Oui, elle a été un rôle modèle. Ce n’était pas forcément conscient mais elle m’a montré l’exemple. Je suis encore frappée de constater le poids que la société fait peser sur les femmes, notamment la culpabilité liée à l’éducation des enfants, ou encore le fait de ne pas en vouloir… Il faut leur montrer l’exemple et pourquoi pas imposer des quotas dans certains cas. Par exemple, en France, nous avons 25 % de femmes réalisatrices, mais seulement 8 % de femmes réalisatrices à France Télévisions ; je pense que Delphine Ernotte a raison de mettre en place des quotas, sinon on ne va jamais y arriver.
Est-ce à votre tour d’être un rôle modèle ?
J.G. : À titre personnel, je me suis longtemps interdit de me lancer dans la production car j’avais ce problème de légitimité. Même si j’ai été élevée dans une famille avec des modèles féminins très forts – une arrière-grand-mère parmi les premières femmes médecins –, je me mettais une énorme pression à l’idée de faire mes preuves. Aujourd’hui, cela me rend heureuse de produire des réalisatrices comme Julia Ducournau mais aussi Dinara Droukarova, ou Marion Vernoux. D’ailleurs, il y a un autre sujet qui me tient à cœur, celui de la place des femmes de plus de 50 ans à l’écran… Elles ont étrangement tendance à disparaitre d’un coup de la scène cinématographique.
De quoi renforcer votre engagement féministe ?
J.G. : On veut toujours donner les bons points et les mauvais points aux féministes alors qu’il n’y a qu’une toute petite poignée d’extrémistes. En réalité, il faut se concentrer sur la manière de changer les choses notamment en ce qui concerne les violences faites aux femmes. C’est la justice qu’il faut faire changer, même si ce n’est pas facile car tous nos efforts en amont du Grenelle des violences n’ont pas été vraiment récompensés : nous avons obtenu seulement trois petits amendements. C’était un peu la « gueule de bois » mais il reste la solidarité entre les femmes.
» LES ACTRICES DE PLUS DE 50 ANS ONT ÉTRANGEMENT TENDANCE À DISPARAITRE D’UN COUP DE LA SCÈNE CINÉMATOGRAPHIQUE. «
Vous menez cette action dans le cadre de l’association la Fondation des femmes ?
J.G. : Oui, je les ai rejoints toujours dans cette idée de passer à l’action. Leur dernière campagne, « Regarde-moi », nous invite à écouter vraiment les femmes : regarde-les bien quand elles demandent l’égalité salariale, quand elles sont en première ligne pendant la pandémie, ou encore, quand elles portent plainte pour violence conjugale car elles sont encore trop nombreuses à se résigner. Ce message s’adresse aux hommes mais également aux femmes pour qu’elles se respectent entre elles.
Faites-vous confiance à votre intuition ?
J.G. : En bonne héritière de la philosophie cartésienne, les chiffres comme ceux tirés d’études me permettent de définir des objectifs clairs , et je trouve à ce titre que l’existence du collectif 50/50 pour le cinéma est formidable. Mais d’un autre côté, j’ai été séduite, en allant en Asie, par leur philosophie basée sur le moment présent. C’est cet équilibre entre l’intuition et la réflexion qui me guide. « Les deux seules choses qui nous sont données sont le corps et le présent » a écrit Camus. Par exemple, la méthode de formation des acteurs dans le cinéma français est très intellectuelle, alors qu’en Angleterre, elle tend à développer celle du corps. Je crois qu’en allant me former là-bas, j’avais besoin qu’on me coupe la tête pour penser au corps !
Que dire de la création du festival Sœurs jumelles prévu fin juin ?
J.G. : La musique provoque l’émotion. Elle joue un rôle essentiel dans les films car elle crée une osmose entre l’image et le récit. L’idée du festival repose sur un premier constat qui peut sembler étonnant : les univers de la musique et de l’image ne communiquent pas beaucoup entre eux alors qu’ils se nourrissent mutuellement. Sœurs jumelles est la résultante de ce constat : nous créons un lieu dans lequel on peut se rencontrer et discuter, échanger, regarder les problématiques communes. J’ai toujours eu cette envie de casser ces deux silos avec aussi l’idée de s’ouvrir à la jeune génération, de lui permettre de poser des questions. Et puis, dans cette appellation, « sœurs jumelles », il y a aussi cette idée de solidarité entre les femmes. Je souhaite les mettre en avant, en particulier dans ce secteur (compositrice, ingénieure du son…) où elles sont trop rares. On abordera la musique par le biais du cinéma mais aussi de l’animation, des séries, du jeu vidéo, de la pub, de la réalité virtuelle. À noter que le festival se prolonge sur une plate-forme en ligne, avec des podcasts et des vidéos sur les rapports entre musique et image.
Quel est votre lien avec la musique ?
J.G. : J’ai baigné dans la musique avec des parents qui m’ont mise au piano à 8 ans, jusqu’à ce que je découvre le chant lyrique. C’est d’ailleurs par le biais de l’interprétation dans le chant que j’ai découvert le théâtre. Largement poussée par ma professeure de chant ! (Rires) Je regrette parfois de ne pas avoir continué le chant mais cela demande un travail quotidien très exigeant. Je pense que cela m’a construite comme actrice. Je chante dans ma salle de bain maintenant mais j’aborde toujours mes rôles par la voix !
- PROPOS RECUEILLIS PAR DÉSIRÉE DE LAMARZELLE
- PHOTOS PAR STÉPHANE DE BOURGIES
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