Le Dr Olivier de Ladoucette, psychiatre et gériatre, consacre une grande partie de sa carrière à lutter contre la maladie d’Alzheimer. Président-fondateur de la fondation Recherche Alzheimer, il œuvre sans relâche pour sensibiliser le public, financer la recherche et améliorer la prise en charge des malades. À l’occasion de la publication du livre Alzheimer n’est pas une fatalité, il revient sur les enjeux liés à cette pathologie et sur les raisons qui l’ont poussé à s’engager pleinement dans cette cause.
Un article issu du numéro 29 – hiver 2024, de Forbes France
Quel est le rôle et la mission de la fondation Recherche Alzheimer ?
OLIVIER DE LADOUCETTE : La fondation Recherche Alzheimer poursuit trois grandes missions : d’une part, le financement de la recherche. Notre objectif est de soutenir et de mettre en valeur la recherche universitaire, tant clinique que fondamentale, sur la maladie d’Alzheimer, pour mieux la comprendre et trouver des solutions thérapeutiques. D’autre part, nous souhaitons booster la filière de recherche en aidant les meilleures équipes à atteindre un niveau d’excellence international. Il y a un besoin urgent de talents dans ce domaine, et nous devons les encourager. Enfin, tout l’enjeu reste de mieux informer le public. Beaucoup connaissent Alzheimer à travers les problèmes de mémoire qu’elle engendre, mais peu savent quels sont les enjeux de santé publique liés à cette pathologie. Notre objectif est de sortir Alzheimer des stéréotypes, des tabous et des représentations de honte qui l’entourent.
La recherche sur Alzheimer est souvent sous- financée, surtout par rapport à d’autres pathologies comme le cancer. Le budget philanthropie pour Alzheimer en France ne dépasse pas 14 à 15 millions d’euros par an, contre 250 millions d’euros pour le cancer. C’est un déséquilibre qu’il faut corriger. L’attention portée au cancer est une excellente nouvelle, mais Alzheimer mérite aussi une mobilisation équivalente.
Où en est la recherche sur la maladie d’Alzheimer aujourd’hui ?
O.D.L : Il y a des avancées prometteuses. En particulier, depuis deux ans, de nouveaux traitements et méthodes de dépistage ont vu le jour. Aux États-Unis, un médicament a été approuvé il y a un an. Bien qu’il ait des effets secondaires et qu’il soit encore insuffisant, il marque une avancée réelle, car il agit sur la maladie et freine son évolution. Ce médicament est la première molécule d’une série de nouvelles thérapies en développement, et cela représente une petite lumière au bout du tunnel après des décennies de recherches infructueuses.
De plus, il y a eu des progrès dans le domaine du diagnostic. Grâce à des tests complexes et à l’identification de biomarqueurs, nous espérons pouvoir repérer la maladie plus tôt. À partir de 65 ans, une prise de sang pourrait bientôt permettre de détecter les personnes à risque. Le processus de la maladie d’Alzheimer dure souvent entre 10 et 20 ans, et pendant cette période, les dépôts anormaux de protéines dans le cerveau se développent à l’insu du patient. Nous avons désormais des outils pour repérer la maladie plus précocement, mais il reste encore beaucoup à découvrir.
Quels sont les principaux défis de la recherche sur la maladie d’Alzheimer ?
O.D.L : L’un des plus grands défis est que nous ne connaissons pas encore la cause exacte de la maladie. Nous savons que la génétique joue un rôle, mais ce qui déclenche réellement la pathologie reste flou. De plus, le cerveau est un organe extrêmement complexe et peu connu. Il y a eu un retard historique dans la recherche sur le cerveau en raison de la difficulté d’accès à cet organe et de la complexité de son fonctionnement.
Nous avons rattrapé ce retard récemment, mais il reste encore un long chemin à parcourir. Les recherches sont désormais sur la bonne voie, et nous avons de nouvelles perspectives de traitements et de diagnostics qui, espérons-le, permettront de mieux gérer cette pathologie dans les années à venir.
Vous parlez dans votre dernier livre de prévention de la maladie d’Alzheimer. Pouvez-vous nous en dire plus ?
O.D.L : Oui, dans le livre Alzheimer n’est pas une fatalité*, un ouvrage collectif que j’ai supervisé, nous proposons une approche préventive de la maladie. Si nous n’avons pas encore trouvé de traitements réellement efficaces, certains comportements peuvent diminuer de manière significative les risques d’apparition de la maladie. Par exemple, la stimulation cognitive et mentale peut aider à compenser la destruction des circuits neuronaux par les protéines qui s’accumulent dans le cerveau. Cette stimulation permet de ralentir l’apparition des premiers symptômes, même lorsque la maladie est déjà en train de se manifester.
Je souligne aussi que cette maladie ne touche pas seulement l’individu, mais toute la famille. Le malade devient souvent dépendant, et cela affecte tous les proches. À l’heure actuelle, environ 4 à 5 millions de personnes sont touchées quotidiennement par la maladie d’Alzheimer en France, que ce soit directement ou indirectement.
Vous insistez sur l’importance de la mobilisation pour la recherche. Pourquoi ce combat vous tient-il à cœur, en tant que psychiatre ?
O.D.L : En tant que psychiatre et gériatre, je vois chaque jour les conséquences dramatiques de la maladie d’Alzheimer, tant sur le plan individuel que familial. Cette pathologie est souvent perçue comme une maladie de l’âge, une fatalité liée au vieillissement. Mais ce n’est pas le vieillissement en soi qui provoque Alzheimer, c’est la progression de troubles dégénératifs du cerveau. À 95 ans, 40 % des personnes souffrent de troubles dégénératifs, et la population vieillissant, le nombre de cas va encore augmenter de manière exponentielle dans les prochaines décennies.
Le combat contre Alzheimer est un véritable défi pour nos sociétés, notamment pour la survie de nos systèmes de solidarité intergénérationnelle. Alzheimer n’est pas une pathologie isolée. C’est un problème de santé publique qui touche des millions de familles. Si nous ne nous mobilisons pas dès maintenant, dans quinze à vingt ans, la situation pourrait devenir extrêmement problématique.
L’exemple du cancer montre que lorsqu’une cause suscite une mobilisation collective, des avancées importantes sont possibles. Nous avons quinze ans pour changer la donne concernant Alzheimer, et il est crucial de commencer dès maintenant. C’est pourquoi la recherche, la sensibilisation et la prévention sont des priorités absolues. C’est un combat qui nous concerne tous, car un jour ou l’autre, cette maladie pourrait nous toucher ou toucher nos proches.
En conclusion, quel message souhaitez-vous transmettre ?
O.D.L : Je veux rappeler que la maladie d’Alzheimer n’est pas une fatalité. Il est possible de réduire les risques en adoptant des comportements favorables à la santé du cerveau et la recherche progresse. Mais pour que ces progrès se transforment en solutions concrètes, nous avons besoin d’une mobilisation générale. Cette maladie touche non seulement les individus, mais aussi leurs familles et notre société dans son ensemble. Il est temps de prendre conscience de l’enjeu et d’agir collectivement pour prévenir et traiter Alzheimer de manière plus efficace.
À lire également : Gestion des connaissances à l’ère de l’IA : de l’information fragmentée au capital intellectuel augmenté
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits