Les réseaux sociaux sont devenus un élément incontournable dans nos vies et leur influence a envahi toutes les sphères de notre quotidien : travail, amitié, amour, loisirs, famille, rencontres, entre autres, mais aussi religion et spiritualité.
Au point que pour toucher la masse, d’un point de vue sociologique, il parait impensable aujourd’hui de se passer de ce levier.
Les leaders spirituels eux-mêmes l’ont bien compris et nous assistons ces dernières années à une présence en ligne en plus en plus contrôlée et maitrisée, mais qui n’est pas sans soulever des questions cruciales sur le discours véhiculé par certains et leur impact sur les populations, notamment les plus jeunes, qui peuvent y être fortement exposés.
Sans forcément aller jusqu’à parler d’endoctrinement, nous pouvons légitimement nous poser la question de l’encadrement sur leur prise de parole, quelle cible va être touchée, comment vont-elles percevoir le message et l’interpréter ?
Les réseaux sociaux représentent-ils un nouvel outil stratégique pour promouvoir les offres spirituelles ? Si tel est le cas, comment ces contenus religieux peuvent-ils s’adapter pour maximiser leur impact sur ces plateformes numériques ? Et surtout, quel effet cette évangélisation connectée a-t-elle sur les jeunes générations ?
Le site Le Pèlerin illustre cette révolution digitale en mettant en avant une nouvelle manière de prêcher. Désormais, prêtres et religieux quittent les lieux traditionnels de culte pour s’adresser à leurs fidèles via les réseaux sociaux. Le site propose un top 5 des influenceurs catholiques à suivre, pour ceux qui souhaitent approfondir leur Foi ou découvrir la religion sous un angle moderne. Ces figures spirituelles, parfaitement adaptées aux codes actuels, diffusent régulièrement des vidéos pour répondre aux préoccupations des jeunes et leur offrir un accompagnement spirituel adapté à leur quotidien.
Aux États-Unis, ce phénomène prend une envergure encore plus impressionnante. Certains pasteurs atteignent le statut de stars avec des communautés de centaines de milliers de followers. Par exemple, @JudahSmith, 700k abonnés, directeur de la communication de Churchome, et Carl Lentz, qui compte 600k abonnés, accompagnent des personnalités publiques comme Justin Bieber et Lana Del Rey. Leur contenu, épuré et centré sur un way of life chrétien, se distingue par des punchlines inspirantes et une esthétique soignée. Ils fédèrent des communautés engagées, prêtes à repartager leurs enseignements et conseils pour vivre pleinement leur Foi à leur propre audience.
Avec cette approche résolument connectée, ces nouveaux évangélisateurs redéfinissent la transmission de la Foi en s’appropriant les codes du digital, réconciliant ainsi spiritualité et tendance.
La maîtrise des codes sur les réseaux sociaux : inégalité d’accès mais enjeu crucial
La question centrale est de garantir une parfaite adéquation entre le contenu diffusé sur les réseaux sociaux et les attentes de l’audience ciblée. Ces plateformes favorisent des formats courts et percutants, où le temps d’attention est limité et les émotions sont sollicitées de manière intense. Ce qu’on appelle le snack content, compris rapidement. Ce style contraste souvent avec l’approche des enseignements religieux, qui privilégient initialement la profondeur, la nuance et un cadre propice à la réflexion calme et posée que nous retrouvons traditionnellement dans la prière.
Cela soulève la nécessité d’adapter les contenus religieux à ce nouveau mode de consommation sans dénaturer leur essence. Cette adaptation implique une réflexion sur le positionnement de l’émetteur, afin qu’il puisse transmettre le message religieux tout en respectant les exigences des engagements spirituels. Les leaders d’opinion religieux mentionnés plus haut illustrent bien cette démarche : ils utilisent fréquemment des extraits de podcasts ou des moments-clés de leurs enseignements, soigneusement sélectionnés pour être partagés de manière concise et engageante sur les réseaux sociaux. Cette stratégie permet de conjuguer la profondeur du message avec l’agilité du format digital.
Parmi les premiers points qui nous viennent à l’esprit, une question liée à l’éthique et qu’il est difficile de trancher de premier abord : tout le monde mérite-t-il la même visibilité sur les réseaux sociaux ? Nous ne prétendons pas avoir la réponse bien entendu mais la réflexion est essentielle aujourd’hui. Et d’abord, existe-t-il, tant soit peu, une quelconque égalité sur la visibilité ? Est-ce que nous ne sommes pas soumis aux dures lois de l’algorithme, qui lui, gère la mise en avant ou au contraire le choix de masquer les posts ? L’algorithme, qui régit, qui ordonne, selon ses préceptes, la vie digitalisée.
En revanche, il existe une inégalité dans la gestion des réseaux sociaux : manque des codes, méconnaissance des trends et astuces, absence de formation ou de contacts spécialisés. Ceci explique notamment que ce ne sont pas forcément les profils les plus pertinents, d’un point de vue intellectuel et de débat d’idées, qui ressortent, mais plus ceux qui ont compris quel contenu poster, quand le poster, et surtout comment le faire de la meilleure des manières.
« Dis-moi ce que tu postes, je te dirai qui tu es »
A ce stade, il est possible de faire un parallèle entre les leaders spirituels et les leaders politiques. En France, lors des dernières élections législatives en juin 2024, il est apparu évident que tous les candidats n’ont pas bénéficié de la même visibilité en ligne, contrairement au temps de parole à l’antenne, méticuleusement compté par le CSA – Conseil Supérieur de l’Audiovisuel* -, et que les candidats qui ressortaient le plus, « jouaient » avec les algorithmes des principaux réseaux que sont Facebook, Instagram, Tik Tok notamment. Le plus souvent d’ailleurs pas pour des contenus sur le fond, développant leur programme électoral ou leurs idées et valeurs, mais beaucoup plus sur des moments extraits de débats, sur des montages, parfois faux ou à charge. Jordan Bardela, leader du Front National, avec ses 2 millions de followers sur TikTok notamment, ce qui le place dans le top 1% Tik Tok France selon Favikon.
Si, d’un axe purement légal, tout le monde mérite le même temps de parole, pour que chaque citoyen puisse entendre ce que chacun a à dire, nous nous rendons bien compte que dans la réalité, les réseaux sociaux se sont affranchis de cette obligation, et au nom de l’intérêt du public pour la versatilité, ont donné de la visibilité à certains personnages clés plutôt qu’à d’autres.
Cette problématique n’étant pas complètement nouvelle, certains pays comme les Etats-Unis ou même l’Union Européenne, à travers leur DSA – Digital Service Act – essaient de maintenir une pression sur les plateformes pour le développement en interne de mesures de sécurité. En ce sens, les réseaux sociaux, eux-mêmes, ont un travail de modération très important à réaliser. Poussés dans leurs retranchements par le cadre juridique dans plusieurs pays, ils ont fini par en prendre la mesure. Le changement, pour eux, se fait dans la douleur et bien que les premiers résultats obtenus commencent à être probants, nous sommes encore loin de pouvoir affirmer qu’il y a une égalité entre chaque personne qui publie. Encadrer le digital est apparu comme une nécessité par les gouvernements, tant ces plateformes ponctuent nos vies et intègrent notre espérance dans sa plus profonde intimité. Pour vivre avec son temps et s’adapter à son époque, les moyens de communication et les pratiques se modernisent, même dans les églises. Aujourd’hui, il est possible d’ouvrir une application chrétienne pour prier, comme il est possible de faire une offrande via le paiement sans contact, grâce à des terminaux discrètement intégrés dans les paniers traditionnels de la quête dans nos églises. Cette évolution vise à rendre le geste plus simple et fluide, tout en augmentant l’efficacité et l’accessibilité du comportement compatible et conforme au christianisme.
C’est là tout l’enjeu des leaders spirituels. L’écart générationnel est frappant : en 2021, l’âge moyen des prêtres en France est de 75 ans, ce qui n’est pas idéal pour maîtriser les codes des réseaux sociaux, conçus par les jeunes et pour les jeunes. La formation devient alors un défi, et déléguer ces tâches à des personnes plus expérimentées en communication peut sembler une solution. Cependant, ces dernières pourraient avoir plus de difficulté à transmettre pleinement les valeurs spirituelles à partager.
Les outils connectés sont présents au quotidien avec nous, et cela impacte les leaders spirituels
Un biais de confirmation très présent en ligne
L’un des changements cruciaux induit par la présence permanente des réseaux sociaux dans nos vies est justement que nous vivons dorénavant entourés digitalement de personnes qui pensent comme nous, voient les mêmes choses que nous, le tout dans la recherche d’une approbation sociale.
Cela induit un biais de confirmation, nous visualisons ce que l’algorithme nous montre donc on pense que tout le monde voit la même chose et pense pareil, à tort le plus souvent.
Si l’on va encore plus loin, en nous attachant notamment à la théorie de l’apprentissage vicariant d’Albert Bandura, nous assimilons et nous imitons les comportements d’un pair, comme un leader par exemple, qui exécute le comportement à acquérir.
Nous nous retrouvons donc avec des communautés entières qui agissent de la même manière et se confortent entre elles (puisque, se suivant mutuellement sur les plateformes, elles ne peuvent que valider le comportement constaté des uns et des autres ) ainsi que dans leur appréciation des posts lus, pensant que tout le monde va dans la même direction de pensées.
Étymologiquement, le mot « religion » vient du latin religare, qui signifie « relier ». Cette notion nous invite à établir un parallèle évident entre les réseaux sociaux, qui créent des liens entre « amis », et l’Eglise, qui rassemble des fidèles autour de valeurs partagées et d’une cause commune, fondée sur une distinction entre ce qui est juste et injuste. La communauté de fidèles peut être définie comme un ensemble d’individus liés par des relations d’interdépendance, des valeurs partagées, et un sentiment d’appartenance mutuelle. En ça, il semble que les réseaux sociaux représentent finalement la suite logique de la consommation spirituelle traditionnelle.
Esprit communautaire et absence de barrière due à la langue : un combo efficace
En parlant de communautés, l’un des autres points qu’il peut être nécessaire de souligner ici pour notre démonstration, c’est justement l’esprit communautaire que les leaders religieux essaient de faire perdurer au maximum. Ce, depuis toujours, mais facilité ces temps-ci grâce à la dimension internationale prise par les réseaux sociaux, qui permet de communiquer, qu’importe son créneau horaire, son pays ou même la langue, puisqu’avec les sous-titres ajoutés et parfois traduits automatiquement, il n’a jamais été aussi rapide de comprendre un texte qui n’est pas dans sa langue natale.
Avec la technologie et les traducteurs, les barrières disparaissent, et la voix des leaders spirituels porte alors beaucoup plus intensément et largement, de nuit comme de jour, peu importe l’heure, la culture ou le pays. C’est aussi cela, la magie des réseaux sociaux : du contenu accessible en permanence, qu’importe que les auteurs dorment, soient en mouvement, disponibles ou occupés… Ce qui donne l’impression de pouvoir démultiplier à l’infini la portée que l’on peut recevoir. Et cela, les leaders spirituels l’ont parfaitement compris. Les messes, qu’elles soient en latin ou dans toute autre langue, deviennent accessibles, et la compréhension universalisable grâce aux réseaux sociaux.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que le mot « catholique » signifie étymologiquement « universel » (du grec ancien Katholikos, signifiant universel ou généraliste), ce qui renforce inéluctablement l’intérêt de la nature expansive du message émis par l’autorité du Vatican. Ce principe fondamental justifie presque intrinsèquement la nécessité d’une accessibilité totale des enseignements chrétiens. Ce fondement, en particulier dans les instances gouvernantes comme le Vatican, traduit un besoin de transcender les barrières culturelles et linguistiques pour incarner véritablement cette vocation universelle, amplifiée aujourd’hui par les réseaux sociaux, qui maximisent leur usage et leur impact.
Quand la Foi se connecte : outils traditionnels versus outils connectés
Les réseaux sociaux ont redéfini les codes de communication et d’interaction, impactant toutes les sphères de notre quotidien, y compris la spiritualité. Pour les leaders religieux, ces plateformes représentent à la fois une opportunité et un défi : elles permettent de toucher une audience plus large, mais exigent une adaptation des formats et des discours pour s’inscrire dans un environnement régi par l’instantanéité où les émotions gouvernent, le religieux érige la vie du consommateur comme un icône faisant son auto-promotion et transforme l’adhésion au sacré comme un vrai levier d’appartenance. Nous nous définissons de plus en plus par rapport à nos croyances et l’exprimons de plus en plus librement à l’image des débats politiques qui prolifèrent sur X.
Ce monde à conquérir, intangible et régi par des algorithmes qui orchestrent notre vie numérique, offre sans doute de belles opportunités à l’enseignement spirituel. Il permet de toucher une jeunesse qui a délaissé les ateliers de catéchisme et les églises pour se tourner vers leurs smartphones.
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