Pourquoi les chefs d’entreprise doivent intégrer l’instabilité politique comme un fait établi ?

Une contribution de Alain Garnier, CEO et Cofondateur de Jamespot éditeur français de solutions collaboratives

Dans Le Désert des Tartares de Buzzati, Giovanni Drogo attend toute sa vie un événement décisif qui ne vient jamais. Il finit par être englouti par cette attente stérile. Ce schéma, tristement familier, résonne particulièrement aujourd’hui pour les chefs d’entreprise. Nous nous retrouvons dans la même situation en France, à espérer un retour à la stabilité politique, à croire que le gouvernement reprendra les rênes et nous sortira du flou actuel. Mais il est temps d’accepter la réalité : cette stabilité n’arrivera pas de sitôt. Qui peut imaginer qu’un Premier Ministre pourra durablement appliquer sa politique ? Il faut intégrer cette incertitude à nos stratégies et avancer, sans attendre que l’État se stabilise.

La leçon du Covid : seuls les réactifs gagnent

Souvenez-vous du début du Covid-19 et du premier confinement. Deux types d’entreprises ont émergé : celles qui ont réagi instantanément en s’adoptant au télétravail et à la digitalisation, et celles qui ont attendu, croyant à un retour rapide à la normale. Quatre ans plus tard, le constat est clair : les premières, qui ont anticipé et embrassé le changement, ont réussi, tandis que les autres, paralysées par l’attente, ont été distancées ou ont échoué.

Aujourd’hui, face à l’instabilité politique, le scénario est identique. Attendre la stabilisation est une erreur, les gagnants seront ceux qui accepteront l’incertitude et s’adapteront dès maintenant.

Patrick Martin et les exigences paralysantes du MEDEF

Prenons l’exemple de Patrick Martin, président du MEDEF. Au cours de l’attente interminable d’un nouveau Premier ministre, il a multiplié les mises en garde contre l’instabilité politique, contre tel ou tel programme. Et il n’a pas tort : une France sans gouvernail clair pose des défis pour les entreprises. Mais cette posture de mise en garde, contribue elle-même à l’immobilisme.

Ce qu’il faut en tirer, c’est que même au sommet des organisations patronales, l’incertitude finit par paralyser par contagion. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester bloqués dans l’expectative. Il est essentiel d’adopter une mentalité de résilience et de ne pas dépendre des décisions gouvernementales.

L’État, un partenaire important mais plus indispensable

En France, l’État a toujours joué un rôle central dans l’économie : régulateur, soutien, catalyseur de réformes. Mais force est de constater que même sans un gouvernement pleinement opérationnel ou stable, les affaires continuent. Certes, l’absence de réformes structurelles crée des incertitudes et des retards, et l’instabilité perturbe certains secteurs. Certains préfèrent attendre de peur qu’une réforme économique plombe les entreprises en les plongeant dans l’incapacité à accepter le changement. Pourtant, l’histoire montre souvent que ces craintes s’avèrent infondées.

La démocratie avance et le business s’adapte

Néanmoins, les entreprises continuent d’investir, de recruter, d’innover prouvant que l’économie peut prospérer sans un État omniprésent. Les JO ont démontré qu’il est possible de réussir brillamment malgré l’instabilité politique. L’incertitude est désormais la norme, et les entreprises doivent l’accepter, s’adapter et en tirer profit pour rester compétitives.

Intégrer le long terme et l’autonomie dans la stratégie

Accepter l’instabilité gouvernementale nécessite un changement de paradigme pour les entreprises. Il faut penser autrement, plus librement. Cela signifie développer des stratégies d’entreprise qui ne reposent plus sur des décisions politiques incertaines ou à court terme. À l’image des entreprises qui ont su réagir face à la crise du Covid, il faut revoir nos organisations internes, investir dans des solutions durables et des technologies résilientes, et s’appuyer davantage sur nos propres ressources que sur l’attente d’une réforme miraculeuse.

Nous sommes dans un modèle où l’État n’est plus le pilier central autour duquel tout tourne. Les entreprises doivent s’émanciper de cette dépendance, regarder au-delà des frontières nationales et penser international tout en se recentrant sur le local. Ceux qui attendent un retour à la normale risquent d’être les perdants de demain, tandis que ceux qui intègrent l’incertitude comme une donnée stratégique s’imposeront comme leaders.

L’attente est un piège

Dans Le Désert des Tartares, l’attente se révèle fatale. Pour les chefs d’entreprise d’aujourd’hui, c’est exactement la même chose. Si nous restons à espérer un retour à la normale, nous perdrons de précieuses opportunités. Il est temps d’accepter l’instabilité politique comme une composante du paysage économique, et de nous en accommoder. Le statu quo est terminé.

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