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Affaire Paul Pogba : le foot face à ses démons

Guerre fratricide, maraboutage, jalousie, gros sous… Non, ce ne sont pas les ingrédients de la prochaine fiction rocambolesque sur Netflix. L’affaire Paul Pogba est le bad buzz dont se serait bien passée l’équipe de France à moins de 100 jours de la Coupe du monde de football. Alors qu’une enquête judiciaire suit son cours, cette (nouvelle) polémique soulève de nombreuses questions au royaume du foot business. L’influence de l’entourage, la pression continue, les valeurs sociétales de ce sport symbole, les rôles modèles assignés aux stars du ballon rond… Forbes a interrogé l’ancien joueur de l’Olympique de Marseille, Hassoun Camara, qui a rebondi avec succès dans le journalisme et l’entrepreneuriat.

 

Le monde football vient une nouvelle fois de défrayer la chronique avec l’affaire dite Paul Pogba. Quel est votre regard sur cette histoire abracadabrantesque ? 

Hassoun Camara : Je pense que ce nouveau feuilleton a malheureusement mis en lumière certains fléaux qui gravitent autour du monde du football. Le nom Pogba était jusqu’à présent synonyme de « joie de vivre », de « réussite sportive et financière ». Aujourd’hui, il est aussi associé à « racket », « extorsion », « jalousie » et même « maraboutage ». Je trouve cela très triste.

Même si le rôle de son frère Mathias reste encore à déterminer, l’entourage de Paul Pogba lui aura nuit dans son parcours. Et malheureusement, ces mauvaises histoires détruisent des familles entières et forcent souvent certains sportifs, promis à un avenir radieux, à s’éloigner de certaines fréquentations amicales ou fraternelles, pour s’offrir un semblant de paix dans des clubs à l’étranger. Je pense que la fulgurante ascension sociale et financière que peut offrir le sport de haut niveau aux joueurs issus de quartiers populaires doit absolument être corrélée à des valeurs fortes, qui permettent à tout le monde de garder les pieds sur terre. Sans cela, on assiste à ces malheureux « spectacles » qui éclaboussent bien plus qu’une famille. Car c’est toute une communauté, et une certaine partie de la population, qui se retrouve aussi stigmatisée par des raccourcis et par une exploitation opportune de personnes voulant associer tous les torts du monde à cette population. 

C’est la question que tout le monde se pose : peut-on croire un instant que Paul Pogba ait réellement fait appel à un sorcier pour nuire à Kylian Mbappé ? Sont-ce des pratiques véritablement répandues dans le monde du football ?

H. C. : Personnellement je n’y crois pas du tout. Il peut y avoir de la superstition chez les athlètes de haut niveau. Mais j’imagine mal un joueur de sa trempe, figure de l’équipe de France, plonger dans ce genre de pratiques occultes afin de souhaiter du mal à son coéquipier. Un joueur comme Mbappé est un talent qui vous fait gagner des matchs. Il aurait tout intérêt à prier pour qu’il soit encore plus efficace (rires) !

La réalité est que seul le travail et le talent dicteront leurs performances. D’ailleurs, ces histoires auraient pu semer le doute dans la tête de l’attaquant parisien après ces révélations : sa réponse a été de marquer deux magnifiques buts face à la Juventus en Ligue des champions.

L’image d’un sportif de haut niveau, notamment chez les footballeurs, est un immense business qui peut rapporter plus que son propre salaire. La rumeur peut être suffisante pour condamner une carrière. Quelle est donc la marge de manœuvre des sportifs ?

H. C. : La marge de manœuvre est très mince. Dans mon livre ‘Saisir sa chance‘, je décris les footballeurs comme des entrepreneurs à part entière au service de leur passion. Leur performance sur le terrain est la pierre angulaire de leur business, et dictera la taille de leur «PME». Mais le marketing, la gestion des « bad Buzz », et la communication font partie intégrante de leur métier aujourd’hui. Ils ont donc besoin d’une structure professionnelle, familiale et amicale à la hauteur des exigences du sport de haut niveau, car les pièges sont nombreux… Des personnes peu scrupuleuses peuvent nuire à votre réputation par esprit de vengeance ou par jalousie. Plus que ça : une simple erreur de communication peut vous placer dans des situations extrêmement périlleuses.

Prenons l’exemple de Christophe Galtier, entraîneur du Paris-St-Germain, et de Kylian Mbappe qui étaient loin de s’imaginer que leur blague sur les « chars à voile » puisse prendre de telles proportions… Ils ont dû se fendre en urgence d’un communiqué.

© Karine Dufour

 

Les sommes astronomiques générées peuvent faire tourner la tête. Pensez-vous que l’argent qui circule dans le monde du football incite des familles à pousser leur enfants vers cette voie, bien plus que pour l’amour du jeu ?

H. C. : C’est le risque. Beaucoup de jeunes rêvent d’être footballeurs et de gagner des millions. Moi-même, c’est un métier qui m’a longtemps fait rêver et qui continuera à inspirer les nouvelles générations. Cela dit, il est important de recentrer les débats et de s’assurer que l’on veut réussir pour les bonnes raisons, peu importe le domaine dans lequel on se trouve.

Les métiers que j’exerce aujourd’hui (journaliste chroniqueur, conférencier international, auteur) m’apportent beaucoup plus de gratitude que lorsque j’étais joueur professionnel. J’y trouve beaucoup plus de sens et j’ai l’impression d’y être bien plus utile que sur un terrain de football. Il est important de se rappeler que la réussite ne se résume pas forcément à l’argent accumulé au fil des années. Réussir, c’est avoir le sentiment de s’accomplir, se lever le matin en étant heureux d’amorcer sa journée et d’en ressortir avec un sentiment de gratitude entouré de ses proches. J’ai vraiment le sentiment que nous sommes en faillite, en déficit en termes de valeurs projetées par la société.

L’essor des réseaux sociaux n’a pas facilité les choses en nous comparant constamment au lifestyle des autres. De quoi créer de grandes frustrations chez beaucoup de personnes. La volonté de résultats immédiats fait oublier la notion de processus. Sauf que gagner de l’argent, ou connaître le succès, prend du temps et demande beaucoup de sacrifices, quel que soit le métier exercé.

 


Hassoun Camara : « Un joueur comme Mbappé est un talent qui vous fait gagner des matchs. Paul Pogba aurait tout intérêt à prier pour qu’il soit encore plus efficace (rires) ! Même s’il peut y avoir de la superstition chez les athlètes de haut niveau, la réalité est que seul le travail et le talent dicteront leurs performances.« 


 

Ce discours peut-il être facilement audible pour des jeunes issues de quartiers populaires, qui peuvent voir le football comme unique avenue pour s’en sortir ?

H. C. : Je pense que oui, sincèrement. Nos jeunes ont beaucoup d’outils pour se réaliser aujourd’hui dans de nombreux domaines. Le football et le rap ne sont pas les seules avenues qui mènent à la réussite dans les quartiers populaires. Il est important de le répéter. Lorsqu’on est une personnalité issue de l’immigration, conviée à partager notre ressenti sur la situation des banlieues, c’est souvent pour nous entendre dénoncer les inégalités, le racisme systémique, le privilège blanc… Oui, ces fléaux existent et il faut sensibiliser autour. Néanmoins ce « champ lexical » est à mes yeux trop souvent insufflé aux oreilles d’une jeunesse qui en a déjà beaucoup sur le dos. Alors comment croire en un système lorsque tes « modèles » te répètent à travers les médias que c’est trop dur, qu’on ne t’aime pas et que tu as peu de chance d’y arriver ?

Même si le but premier est paradoxalement d’appuyer cette jeunesse, je ne suis pas sûr que ce discours tenu depuis des décennies – et souvent récupéré par les politiques – ait aidé qui que ce soit. D’ailleurs, ne transmettons-nous pas à nos enfants tous ces merveilleux conseils en leur disant que tout est possible et qu’ils y arriveront à force de travail et de persévérance ? A mon sens, c’est ce même discours que nous devrions distiller en public. Je pense foncièrement qu’on peut soulever toutes les barrières lorsqu’on s’en donne les moyens. Je souhaite à chacun de s’affranchir de ce type de discours et d’enclencher la marche de la réussite dans le monde du sport, des études ou de l’entrepreneuriat.

La reconversion est un enjeu majeur chez les sportifs de haut niveau. Comment avez-vous négocié le virage de l’après carrière ?

H. C. : Il est vrai que c’est l’une des plus grandes préoccupations des athlètes de haut niveau. Une carrière de footballeur est relativement courte, c’est pourquoi il est important d’anticiper au mieux la deuxième vie qui s’offre à nous. Dans mon parcours, j’ai d’abord lancé avec mes partenaires (Gabriel Stein, Morlaye Touré) une chaîne de restaurants nommée OSÈ African Cuisine à Paris. L’idée a été de démocratiser la cuisine africaine tout en surfant sur les tendances d’aujourd’hui (world food, bio, vegan…). Notre mission derrière ce projet est de rendre la cuisine africaine aussi populaire que la cuisine japonaise ou italienne par exemple.

 

En parallèle, je me suis formé au journalisme car je me suis toujours senti à l’aise devant la caméra et dans les rédactions. C’est cette suite d’opportunités qui m’a amené à donner des conférences sur des thèmes tels que la ‘persévérance’ ou la ‘confiance en soi’… Une façon de transmettre à ma manière toutes les belles valeurs que le football a pu m’apporter.

 

 ➡ Bio Express :  

Franco-Canadien d’origine sénégalaise, né à Noisy-Le-Sec en région parisienne, Hassoun Camara a démarré sa carrière sportive à l’Olympique de Marseille puis au SC Bastia avant de s’envoler pour le Canada à l’Impact de Montréal (MLS). Devenu depuis journaliste chroniqueur sur la chaîne publique Radio Canada, Hassoun Camara parcourt le monde en tant que conférencier. Son livre ‘Saisir Sa Chance’ met notamment en lumière les similitudes entre les sportifs de haut niveau et le quotidien des entrepreneurs.

 

<<< À lire également : Kylian Mbappé, Naissance d’une légende du football >>>

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