Le commerce mondial est un jeu à somme nulle : « Ce que je gagne, tu le perds et ce que tu gagnes, je le perds ». C’est en résumé la lecture qu’a Donald Trump de l’économie globale. Il faut donc accroître la part du gâteau américain et, en parallèle, se donner les moyens d’affaiblir le reste du monde.
Dans son discours d’investiture, c’est ce cadre qui sert de référence au discours économique. Ce cadre économique restreint apparaît finalement comme un moyen et un support aux choix politiques faits par la nouvelle administration américaine. Une expression lapidaire résume cette stratégie : « Acheter américain, embaucher américain »
Le problème est que l’assertion initiale est fausse. Le commerce mondial n’est pas un jeu à somme nulle. Chaque pays dans l’histoire a gagné à échanger. L’accélération de la croissance dans les pays développés tient beaucoup à la possibilité d’échanger davantage.
La rationalité de cette situation est simple : un pays, aussi grand soit-il, ne peut pas produire de façon efficace tous les biens et services dont il a besoin. David Ricardo montrait déjà au début du 19ème siècle qu’il était toujours plus efficace de se spécialiser dans la production de biens et services plutôt que de vouloir tout faire. Il indiquait aussi qu’il était préférable de se répartir la production même si un pays faisait mieux que les autres dans la production de tous les biens et services. Chacun se spécialise, puis les échanges peuvent commencer et cela s’opère dans les meilleures conditions pour tous. En d’autres termes, il y a un intérêt à se spécialiser et à échanger, car tous les participants en ressortent gagnants. Au cours des dernières années, la production globale s’est davantage spécialisée. La production est désormais dépendante pour de nombreux biens de produits d’origine géographique très différenciée. Chaque pays fabrique sa partie de façon efficace et le bien est ensuite assemblé de façon compétitive.
C’est là que le programme du nouveau président américain s’enraye. Cependant, dans son approche, la proposition selon laquelle le commerce mondial est un jeu à somme nulle justifie tout. Elle est au cœur de sa volonté de rapatrier l’emploi industriel.
Cela amène plusieurs remarques.
L’activité industrielle n’est plus une source importante de création d’emplois. Cela peut l’être encore dans les pays émergents, mais plus du tout dans les pays industriels. Depuis le début des années 80, la substitution du capital au travail a été un facteur majeur de réduction de l’emploi industriel. Les innovations à l’origine de cette substitution ont eu un impact beaucoup plus important que la globalisation. En outre, même si la globalisation a engendré une délocalisation de l’emploi à une époque passée, les relocaliser aujourd’hui aux USA ne compenserait pas les emplois perdus. Les nouveaux modes de production ne créent plus autant d’emplois que par le passé. Il faut se concentrer sur l’industrie en raison des gains de productivité que cela engendre, mais en aucun cas il faut en attendre un effet spectaculaire sur l’emploi.
Le nombre d’emplois sauvés par l’intervention de Donald Trump ne doit pas faire illusion. Tous les jours, aux USA, 75 000 emplois sont détruits, mais 75 000 sont créés. C’est le jeu de la dynamique de l’économie et du marché du travail. Des entreprises ferment, d’autres se créent ou changent de stratégie. C’est cela qui est au cœur de ces emplois supprimés et créés. Les 800 emplois de Carrier ou les 700 de Ford sont réduits face à la dynamique naturelle de l’économie américaine. Mettre l’accent sur ces « succès » apparaît dérisoire.
Dans cette même logique, il est peu fait état des emplois de services qui, eux, ne sont pas délocalisables. Ils ne sont pas importants et en tout cas ne servent pas un objectif politique. Dès lors, la fermeture de dizaines de magasins Macy’s n’a pas engendré de réaction de la part du nouveau locataire de la Maison Blanche. C’est en cela que l’on perçoit la dimension politique des choix économiques. L’employé du magasin de distribution n’est pas moins important que celui de l’industrie, mais il ne sert pas le même objectif politique.
Enfin, il est toujours amusant d’imaginer que l’Etat puisse avoir la capacité d’allouer des ressources de façon plus efficace que les entreprises qui sont proches de leur marché. En outre, une fois l’effet d’annonce passé, que se passera-t-il au sein de l’entreprise ? Est-ce que le statu quo va prédominer ou sera-ce une incitation pour les entreprises de maintenir la production localement mais en substituant du capital au travail ? Les emplois sauvés ne le seraient alors que temporairement.
Cependant, et parce que le fondement économique de cette nouvelle politique est réduit, sa mise en œuvre pourrait avoir une incidence majeure sur la dynamique macroéconomique globale. Pour l’instant, il s’agit simplement de faire pression pour que les emplois ne sortent pas des USA mais il est probable que l’étape suivante sera celle du rapport de force avec d’autres pays. Cela a d’ailleurs commencé avec les discussions sur l’Accord de Libre Échange (ALENA) avec le Canada et le Mexique. La signature sur la construction du mur entre les Etats-Unis et le Mexique en est aussi une composante de ce rapport de force afin de peser sur les relations entre les deux pays.
On peut imaginer que la Chine sera bientôt au centre des discussions de l’administration américaine.
De ce point de vue, la nomination à la tête du National Trade Council de Peter Navarro et son hostilité à l’Empire du milieu ne sont pas rassurantes. On ne peut pas imaginer que la Chine reste sans réaction, d’autant que Xi Jingping, le président chinois, a évoqué à Davos les bienfaits des échanges sur la croissance.
Le monde devient plus complexe et plus difficile. L’économique sert le politique et n’est utile que si elle conditionne un bénéfice politique. Cependant, les fondements d’une telle approche sont très fragiles. En conséquence, les « alternative facts » ont de beaux jours devant eux mais le prix à payer sera élevé.
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