Steve Witkoff, magnat de l’immobilier, a bâti sa fortune en poursuivant des projets créatifs et en investissant au bon moment. Après avoir fait campagne aux côtés de Donald Trump, il s’apprête à le rejoindre à Washington.
Article de Giacomo Tognini pour Forbes US
Mardi 19 novembre, Donald Trump assistait au sixième vol d’essai de la fusée Starship de SpaceX aux côtés d’Elon Musk sur le site de lancement du milliardaire à Brownsville, au Texas. Les deux hommes ont été rejoints par Steve Witkoff, ami de longue date de Donald Trump et promoteur immobilier.
Un soutien de longue date
Steve Witkoff, 67 ans, soutient Donald Trump depuis des mois. Lorsqu’un agent des services secrets chargé de la protection du candidat républicain a tiré sur un tireur caché dans les arbustes près du sixième trou du Trump International Golf Club à West Palm Beach en septembre, Donald Trump jouait au golf avec Steve Witkoff. Un mois plus tard, le magnat de l’immobilier a pris la parole lors du rassemblement de campagne de Donald Trump au Madison Square Garden. Et lors de la dernière journée mouvementée de la campagne, alors que Donald Trump organisait des rassemblements en Pennsylvanie et dans le Michigan le 4 novembre avant de rentrer chez lui à Mar-a-Lago pour suivre les résultats le lendemain, il a de nouveau été suivi par Steve Witkoff, dont le jet privé Gulfstream a sillonné le pays.
« Notre ville s’est éloignée de ce qu’elle était autrefois, mais s’il y a un homme qui peut lui redonner sa grandeur, c’est mon cher ami le président Donald J. Trump », a déclaré Steve Witkoff lors du rassemblement à Manhattan en octobre. « Je connais le président depuis plus de 30 ans, non seulement en tant que dirigeant, mais aussi en tant qu’ami. »
Fidèle à sa tradition de nommer quelqu’un de son cercle d’amis à un poste au gouvernement, Donald Trump a nommé Steve Witkoff coprésident de son comité d’investiture le 9 novembre et envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient quatre jours plus tard. Il est censé poursuivre le travail du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, qui a aidé à négocier les accords d’Abraham entre Israël et deux États du Golfe pendant le premier mandat de Donald Trump. Jared Kushner a déclaré qu’il ne participerait pas officiellement au nouveau gouvernement et qu’il resterait concentré sur sa société de capital-investissement soutenue par l’Arabie saoudite, qui a contribué à faire grimper sa fortune à un montant estimé à 900 millions de dollars.
Dans un communiqué de presse annonçant la nomination, Donald Trump a déclaré que Steve Witkoff « sera une voix implacable pour la PAIX ». On ignore encore si Steve Witkoff aura besoin de l’approbation du Sénat (les envoyés spéciaux qui travaillent sous l’égide du département d’État doivent faire l’objet d’un vote de confirmation depuis janvier 2023, bien que le président Joe Biden ait contourné cette règle en nommant un envoyé en tant que conseiller présidentiel à la Maison-Blanche).
Deux amis milliardaires
Non seulement Steve Witkoff et Donald Trump viennent de la même ville et du même secteur, mais ils sont tous deux milliardaires. Forbes s’est penché pour la première fois sur les projets immobiliers de Steve Witkoff et estime désormais que ce promoteur, jusqu’alors discret, possède une fortune d’au moins un milliard de dollars. Il fait ainsi partie de la demi-douzaine de milliardaires que compte le second gouvernement Trump, même s’il n’est pas dans la même ligue que le président élu lui-même (fortune estimée à 5,5 milliards de dollars) ou qu’Elon Musk (fortune estimée à 318 milliards de dollars), la personnalité la plus riche au monde et le dernier confident en date de Donald Trump.
Sa fortune est en grande partie constituée du Witkoff Group, le promoteur immobilier new-yorkais qu’il a fondé en 1997. Il possède également des maisons à Manhattan, dans les Hamptons et dans le sud de la Floride, où il développe des projets tels que le Dutchman’s Pipe Golf Club, un parcours conçu par Jack Nicklaus avec un hôtel de luxe, en partenariat avec Access Industries du milliardaire d’origine soviétique Len Blavatnik.
« Le président élu a confiance en [Steve Witkoff] en tant que négociateur et en sa capacité à trouver une solution en cas de désaccord », déclare Jon Mechanic, un avocat spécialisé dans l’immobilier qui a représenté Steve Witkoff dans plusieurs transactions. « Il est très sympathique. Il a les mêmes qualités de vendeur que [Trump]. »
Les deux magnats de l’immobilier new-yorkais sont des amis proches depuis le début des années 1990, lorsque Donald Trump luttait contre les faillites de ses casinos d’Atlantic City et que Steve Witkoff rachetait des immeubles de bureaux en difficulté à Manhattan. Cette amitié s’est manifestée au cours de la campagne de réélection de Donald Trump et des poursuites judiciaires dont il a fait l’objet au cours de l’année écoulée. En effet, Steve Witkoff a témoigné dans le cadre du procès civil pour fraude intenté par le procureur général de New York à l’encontre de Donald Trump en novembre 2023 et a pris la parole lors de la Convention nationale républicaine en juillet. C’est à bord du jet de Steve Witkoff que Donald Trump aurait choisi J.D. Vance comme candidat à la vice-présidence, les trois hommes ayant voyagé ensemble du domicile de J.D. Vance à Cincinnati jusqu’à Palm Beach.
Bien que Steve Witkoff et Donald Trump ne se soient pas associés dans des opérations immobilières, ils vivent tous deux en Floride et sont tous deux impliqués dans World Liberty Financial, un projet dans le secteur des cryptomonnaies pour lequel Donald Trump prend 75 % des revenus de la plateforme et Steve Witkoff 12,5 %. Depuis son lancement en octobre, le projet n’a vendu que 20 millions de dollars de tokens sur un objectif de 300 millions de dollars.
La fortune de Steve Witkoff
Steve Witkoff a bâti sa fortune dans l’immobilier en identifiant des biens sous-évalués et en levant des fonds auprès des mêmes investisseurs, encore et encore. Récemment, il s’est concentré sur la construction d’appartements et d’hôtels de luxe à New York, à Los Angeles et en Floride, où il a investi pour la première fois avant le boom post-pandémique. Parmi ses participations les plus notables, on peut citer One High Line, une paire de tours d’appartements de luxe jouxtant le parc High Line à l’ouest de Manhattan, et le Shore Club à Miami Beach, qui comptera 49 appartements et un hôtel de 73 chambres lorsqu’il sera achevé en 2027.
Le One High Line et le Shore Club témoignent tous deux de la capacité de Steve Witkoff à réaliser de bonnes affaires, selon Jon Mechanic. Steve Witkoff a racheté ces deux projets après leur saisie lorsque le promoteur précédent a fait faillite. Il a trouvé des partenaires aux poches pleines, dont Len Blavatnik, et a obtenu un prêt de 1,2 milliard de dollars de JPMorgan pour le One High Line, et les a transformés en projets d’appartements et d’hôtels réussis. Le One High Line a fait l’objet de certaines des ventes résidentielles les plus chères de New York cette année, tandis qu’un penthouse en bord de mer au Shore Club a récemment fait l’objet d’une vente pour plus de 120 millions de dollars, ce qui en fait l’une des habitations les plus chères de Floride.
Bob Knakal, courtier immobilier new-yorkais de longue date, qui connaît Steve Witkoff depuis les années 1980, affirme que ce dernier est l’une des premières personnes à qui l’on fait appel lorsqu’un grand site de développement est disponible. « Pour cela, il faut être capable de voir des choses que les autres ne voient pas, et Steve a toujours été très doué pour cela. »
« Il est très créatif dans le domaine de l’immobilier », ajoute Jon Mechanic. « Il est très transactionnel. Il trouve une opportunité, répare ce qui est cassé et crée de la valeur. Il vend son bien et passe à autre chose, au lieu de le garder pendant 50 ans. » Cette attitude contraste avec celle de Donald Trump, qui conserve ses propriétés les plus en vue, dont la Trump Tower, depuis des décennies.
Steve Witkoff, passionné de golf, a également suivi les traces de son ami en pariant sur les terrains de golf, qui ont récemment été l’un des points forts de la fortune immobilière de Donald Trump et valent aujourd’hui un milliard de dollars. Outre le club de golf Dutchman’s Pipe à West Palm Beach, Steve Witkoff possède également une participation dans le Shell Bay Club, un parcours de golf, un hôtel et un complexe immobilier situé au nord de Miami, à Hallandale Beach, en Floride, où les abonnements coûtent désormais 1,5 million de dollars, soit le tarif le plus élevé du pays. Entre octobre 2023 et janvier 2024, le club a vendu pour environ 100 millions de dollars d’appartements.
« Je le vois bien conserver les terrains de golf à long terme parce qu’il en retire beaucoup d’argent », explique Jon Mechanic.
Du Bronx aux appartements de luxe à Manhattan
Steve Witkoff est né dans le Bronx en 1957, d’un père fabricant de manteaux et d’une mère institutrice. Il y a grandi avant de déménager à Long Island au début des années 1960. Il a commencé ses études à l’Union College de Schenectady, avant de passer à l’université de Hofstra, où il a obtenu un diplôme en sciences politiques avant de poursuivre ses études de droit, qu’il a achevées en 1983. Il a commencé par travailler au cabinet d’avocats Dreyer & Traub, d’abord en tant qu’avocat plaidant, puis dans le département immobilier.
À l’époque, Donald Trump était un client du cabinet. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois au milieu des années 1980, dans une épicerie fine près des bureaux de Dreyer & Traub dans le centre de Manhattan, alors que Steve Witkoff était encore associé et que Donald Trump possédait une fortune d’environ 600 millions de dollars. « Il devait être trois heures du matin et je savais qui il était. Lui ne savait pas qui j’étais », se souvient Steve Witkoff lorsqu’il a témoigné en faveur de Donald Trump en novembre 2023, racontant comment il avait acheté à Donald Trump un sandwich jambon-fromage parce que ce dernier n’avait pas d’argent sur lui.
En 1985, Steve Witkoff a quitté Dreyer & Traub pour un autre cabinet d’avocats et a commencé à travailler dans l’immobilier en parallèle, s’associant avec son collègue Larry Gluck pour acheter de petits immeubles résidentiels dans le nord de Manhattan et le Bronx. Ils achètent leur première propriété, un immeuble de 24 appartements dans le quartier d’Inwood, au nord de Manhattan, pour 240 000 dollars. Chaque associé a dû verser 20 000 dollars pour l’acompte, Steve Witkoff finançant sa part grâce à un prêt de son père, une somme qui représentait la moitié des liquidités de son père à l’époque.
Plus tard, ils ont vendu cette propriété pour un bénéfice de 50 000 dollars et ont acheté d’autres bâtiments, quittant finalement leur emploi pour créer une entreprise appelée Stellar Management. Les deux associés ont embauché une équipe de 30 personnes, effectuant eux-mêmes de nombreuses réparations.
La rencontre suivante entre Donald Trump et Steve Witkoff a eu lieu au début des années 1990 dans un restaurant, où Donald Trump s’est souvenu de l’incident du sandwich. Les deux hommes se sont alors liés d’amitié et ont commencé à jouer au golf et à assister aux matchs des Yankees ensemble. À cette époque, Steve Witkoff s’était lancé dans les bureaux, achetant des propriétés à bas prix lors d’un krach immobilier.
Il s’est séparé de Larry Gluck en 1997 pour former le Witkoff Group, Larry Gluck conservant les propriétés résidentielles et Steve Witkoff les bureaux, y compris l’ancien bâtiment du New York Daily News qu’ils avaient acheté pour 110 millions de dollars en 1995. Un an après avoir fait cavalier seul, Steve Witkoff s’est associé à un autre promoteur, Ruby Schron, pour acheter l’immeuble historique Woolworth dans le sud de Manhattan pour 138 millions de dollars.
Steve Witkoff avait le vent en poupe, prévoyant d’introduire sa société en bourse et de faire une offre pour l’équipe de NBA des Nets. Cependant, à l’automne 1998, l’introduction en bourse et l’offre des Nets avaient toutes deux échoué. Steve Witkoff a alors changé de cap. Au début des années 2000, il a commencé à acheter des bureaux et à les convertir en appartements, s’associant à des partenaires pour réduire ses pertes, à une époque où peu d’autres entreprises le faisaient.
« Personne à New York ne faisait d’appartements en copropriété », explique Bob Knakal. « Il a toujours été un peu en avance sur son temps. »
Cette stratégie a été couronnée de succès, puisque Steve Witkoff a développé de nombreux appartements et hôtels de luxe à Manhattan, Los Angeles et Miami, ainsi que plusieurs immeubles d’habitation. En faisant appel à des investisseurs extérieurs, dont beaucoup ont investi avec lui dans plusieurs opérations, Steve Witkoff est en mesure d’investir moins d’argent au départ et de se retirer lorsqu’il a réalisé des bénéfices, plutôt que de conserver les propriétés pendant de nombreuses années. En 2018, il s’est retiré de l’hôtel Times Square Edition en vendant sa participation à ses partenaires dans le cadre d’une transaction qui a valorisé l’immeuble à 1,5 milliard de dollars.
« Il a pris son argent, est rentré chez lui et, lorsque le covid a frappé, il n’était plus là. Ce n’était pas son problème », explique Jon Mechanic.
Envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient
Il est difficile de savoir comment l’expertise de Steve Witkoff en matière de négociation se traduira dans son nouveau rôle d’envoyé spécial. Il n’a aucune expérience de la politique ou de la diplomatie et n’a que peu de liens avec le Moyen-Orient, si ce n’est qu’il est un fervent partisan d’Israël. Steve Witkoff, qui est de confession juive, a déclaré au site d’information en ligne Bulwark qu’il avait aidé à collecter des « dons à six chiffres et à sept chiffres » auprès de donateurs de la communauté juive pour la campagne de Donald Trump au début de l’année, après que le président Joe Biden eut déclaré en mai qu’il interromprait les livraisons d’armes à Israël en cas d’envahissement de la ville de Rafah.
Il a également eu l’occasion de travailler avec des investisseurs étrangers dans le cadre de son activité immobilière, en tant qu’utilisateur prolifique du programme de visa EB-5, qui accorde la résidence permanente aux investisseurs étrangers qui apportent au moins un million de dollars à une entreprise américaine. En 2015, Steve Witkoff a levé 229 millions de dollars auprès de la société d’État chinoise Taiping Asset Management pour un projet d’appartements de luxe au 111 Murray Street à Manhattan, ainsi que 175 millions de dollars supplémentaires pour le développement par le biais du programme EB-5.
Traiter avec des investisseurs étrangers lui a également apporté quelques maux de tête. Steve Witkoff s’est déjà associé à Jho Low, le financier malaisien en disgrâce qui a été inculpé par contumace à New York en 2018 pour avoir prétendument blanchi des milliards de dollars de produits illégaux provenant du fonds souverain malaisien. En 2013, Jho Low a accepté de contribuer à hauteur de 85 % sur les 654 millions de dollars nécessaires à l’achat de l’hôtel Park Lane à Manhattan, Steve Witkoff apportant les 15 % restants. Peu après, le fonds d’Abu Dhabi Mubadala a acheté à Jho Low une participation de 30 % dans le projet pour 135 millions de dollars.
Cependant, en mai 2016, Jho Low s’est retrouvé en défaut de paiement et le gouvernement américain s’est mis d’accord avec Steve Witkoff sur un plan de vente de l’hôtel. Il a fallu attendre encore sept ans avant que l’Autorité d’investissement du Qatar ne l’achète pour 623 millions de dollars en août de l’année dernière. Jho Low a nié les accusations et a conclu un accord de 700 millions de dollars avec le département d’État américain à la Justice en 2019.
Pendant qu’il travaillera pour Donald Trump, il laissera son entreprise entre les mains de son fils Alex, 32 ans, qui est déjà co-PDG de l’entreprise. Sa femme Lauren et son autre fils, Zach, sont vice-présidents exécutifs de l’entreprise.
Il aura probablement besoin d’eux pour prendre les choses en main afin d’éliminer les distractions. Il ne sera pas facile de mettre en œuvre les projets de Donald Trump au Moyen-Orient. Plus d’un an après les attaques du Hamas du 7 octobre, la guerre s’est étendue à de nombreux pays et le rêve du premier mandat de Donald Trump d’un accord de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite semble plus éloigné que jamais.
« Ce qu’il sait faire de mieux, c’est trouver quelque chose de cassé et le réparer », explique Jon Mechanic. « Voyons s’il est capable d’utiliser cet ensemble de compétences sur la route du Moyen-Orient et de revenir avec une solution. »
Une traduction de Flora Lucas
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