Voici une question qui concerne au plus près l’humain dans son essence communicationnelle, sa capacité à oeuvrer en partage au sein d’entités collectives pour avancer de façon intelligente vers un but commun. Interview de Pierre Le Moel qui nous éclaire sur le rôle de l’intelligence collective dans nos sociétés modernes et nous présente Wudo, qu’il a cofondé en 2019, dont la vocation est d’offrir aux entités multiples et variées, soit intrinsèquement différentes, des ponts pour communiquer sans obstacles et optimiser ainsi la réalisation de projets. Et si nous possédions déjà les clés qui nous permettront de surmonter les défis de demain ?
Qu’est-ce que ça veut dire l’intelligence collective, en quoi ça consiste ?
D’une façon très large, l’intelligence collective émerge dès que deux personnes ou plus, dotées d’intelligence, poursuivent un objectif commun. On la trouve ainsi dans un couple, une famille, dans toute organisation, rien donc de très nouveau ! Mais on la définit plus souvent par son effet, c’est-à-dire la capacité d’un groupe à générer des résultats supérieurs à la somme des résultats individuels, et à trouver des solutions innovantes.
L’intelligence collective est devenue plus récemment un objet d’étude des sciences. On cite souvent une expérience du début du XX ème siècle comme un révélateur. Le statisticien Francis Galton interrogea 800 personnes dans une foire agricole sur leur estimation du poids d’un bœuf. La plupart des réponses s’avérèrent fausses, et même absurdes. Mais la médiane des réponses fut exacte à 1% près, battant ainsi les experts. Ce type d’expérience est aujourd’hui réplicable facilement à l’ère digitale. L’explication du résultat est statistique.
Des manifestations plus complexes et spectaculaires de l’intelligence collective ont aussi vu le jour dans ce contexte digital qui favorise les expérimentations à grandes échelles et leur étude. On peut citer une compétition où 50 000 joueurs amateurs se confrontèrent au champion du monde d’échecs Kasparov en 1999. Ils échouèrent de peu à gagner, et inventèrent même un coup étonnant, de la même façon qu’AlphaGo inventa 20 ans plus tard un nouveau coup lors de la compétition de Go l’opposant à Lee Sedol.
D’une façon plus large et moins triviale, les logiciels open source, ou Wikipedia sont des exemples remarquables d’intelligence collective !
Les études semblent maintenant s’accorder sur un certain nombre de conditions nécessaires à l’émergence de l’intelligence collective au sein d’un groupe : buts communs, règles communes, absence d’influence sur les individus, et bonnes relations sociales entre ces individus notamment dans des espaces collaboratifs.
Bien entendu, pour toute organisation ou entreprise, pouvoir favoriser et optimiser cette intelligence collective est le graal du management. Mais les entreprises doivent tenir compte de ces conditions préalables et on perçoit facilement les difficultés pour celles qui n’auraient pas la culture adéquate.
Quelle est votre vision du marché français de l’intelligence collective en général et quel type de société cela concerne-t-il ?
Si l’on se réfère à la définition et aux conditions évoquées ci-dessus, le marché est extrêmement vaste. Cela va des grandes suites « collaboratives » (365, Google suite), jusqu’aux prestations de conseil sur le management et la culture d’entreprise, en passant par les outils spécifiques de collaboration et de gestion de projets ! Et toute entreprise est concernée, dans un contexte « pré – Covid » déjà complexe. Les mutations du monde du travail, les enjeux environnementaux et la transition énergétique, les mutations technologiques fortes, sont en effet des éléments communs à tous. En parallèle, la complexification du monde des affaires est certaine et ne ralentit pas. On estime généralement que la complexité a été multipliée par 5 en quelques dizaines d’années, notamment pour des raisons de norme et de réglementation (environnement, finance, droit du travail, qualité, hygiène et sécurité, etc. ), et sans compter la complexité technique qui s’est aussi accrue. Ce contexte compromet la planification et l’organisation traditionnelle, et favorise les entreprises plus agiles et apprenantes, pour lesquelles l’adaptation à un environnement incertain est plus aisée. Mais même une entreprise qui saurait optimiser son intelligence collective se trouverait confrontée à une autre contrainte : l’incapacité à posséder en interne l’ensemble des compétences et ressources nécessaires pour aborder l’avenir, au regard de l’augmentation de la complexité et des mutations technologiques en cours. Ce marché, sur lequel WuDo est positionné, reste peu adressé, à l’exception des plateformes d’open innovation qui sont plutôt dédiées à des projets ciblés.
Dans ce contexte de crise du Covid-19, comment percevez-vous l’avenir de ce marché ?
La crise que nous traversons ajoute au contexte préexistant une contrainte sanitaire, et une pression économique encore plus importante qui pourrait durer. Dans ces circonstances, nous pensons que le besoin déjà existant de mutualiser les efforts, les ressources et compétences, est d’autant plus fort pour envisager le rebond économique. Il s’agit donc bien d’un besoin d’intelligence collective étendu aux delà des portes de l’entreprise. Il serait prétentieux de prétendre connaître l’avenir, mais les premières réactions qui prônent la solidarité et l’action à un niveau local, sur les territoires des entreprises, nous semble confirmer notre vision de ce marché. Les écosystèmes des territoires, tels que pôles de compétitivité, territoires d’innovation, territoires d’industries, (etc…) ont à ce titre un rôle certain à jouer pour initier ou renforcer ce mouvement.
Quelle est la mission de WuDo ? Et sur quelles valeurs l’entreprise repose-t-elle ?
La mission de WuDo est de connecter les entreprises, entre elles et aux autres compétences présentes sur leurs territoires (universités, Fablabs, écosystèmes, startups, etc.) au sein de communautés, pour avancer ensemble sur des projets communs, en levant les frictions afférentes au travail inter-organisations (diversité des outils, contraintes juridiques, difficulté d’animation, etc…). L’autre apport principal consiste à connecter les communautés entre elles. Il n’est donc pas étonnant que notre valeur cardinale, partagée avec nos clients, soit la curiosité qui pousse à l’ouverture vers les autres, à la découverte d’autres domaines d’activité, et à l’apprentissage permanent.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi la solution d’intelligence collective WuDo permet-elle « d’innover en travaillant ensemble » ?
En levant les difficultés liées au travail « inter-organisations ». Quand un projet se mène entre diverses entités juridiques, de différentes natures et de différentes tailles, les frictions augmentent. WuDo propose donc un espace de projets communautaire où trouver les initiatives des uns et des autres, un lab où se nichent des solutions proposées par les membres, des supports à l’animation, des curations communes, et des documents juridiques types associés à une solution de signature électronique. Enfin, une solution blockchain destinée à la protection des informations confidentielles et de la propriété intellectuelle est également un atout fort de la solution pour sécuriser les relations et donc les faciliter.
Comment voyez-vous l’avenir de WuDo ?
Nous avons débuté l’aventure il y a un peu plus d’un an avec 4 associés aux compétences complémentaires, et avons progressivement recruté 5 personnes. Nous venons juste de réaliser notre première levée de fonds pour un montant de 1M d’€, ce qui va nous permettre rapidement de créer de nouvelles communautés, au-delà de la première, dédiée à l’Industrie du Futur, et de continuer d’améliorer notre solution. La nouvelle version de la plateforme arrive d’ailleurs déjà dans les jours prochains, avec plus de fonctionnalités mobiles. Des postes sont ouverts cette année pour compléter notre équipe (R&D, animation des communautés), et l’objectif est la création d’une cinquantaine d’emplois d’ici 4 ans si les prévisions de croissance de l’activité se confirment. Dans un monde incertain, volatile, complexe et ambigu, pour reprendre l’expression consacrée, le besoin pour les entreprises de « chasser en meute » sur des projets communs va aller en progressant.