Un anthropologue observant une entreprise devrait être capable, sans aucune interview, de décrire sa culture, sa raison d’être ou sa stratégie. Car nos choix d’organisation disent des choses de nous que nous ignorons…. Et cela place la cohérence de l’entreprise comme un levier majeur de sa performance explique Pierre Sinodinos, PDG d’Aneo, agence de conseil en Stratégie, Transformation et Digital.
Les entreprises françaises sont-elles bien armées au moment d’entamer leur transition numérique ?
Oui et non ! Oui car elles investissent le sujet en ayant conscience que c’est une des clés pour survivre et se développer dans l’économie « servicielle » de ce début de 21ième siècle. Et non, car elles en oublient que le digital n’est qu’un moyen au service d’une stratégie, d’une finalité. Et que ce sens, lorsqu’il a la chance d’exister, se perd souvent dans l’organisation complexe de nos entreprises. On pourrait aussi regretter que la mode du digital éclipse d’autre enjeux, bien supérieurs. Comme de placer le client au cœur de nos entreprises, ce qui est probablement la vraie leçon que les start-up et la nouvelle économie ont à nous transmettre.
La question de la finalité est donc centrale…
« Pourquoi désire-t-on passer au digital ? » est une question qui paraît essentielle, mais qui finalement ne devrait pas se poser si le digital venait simplement soutenir une stratégie. Car on ne va pas « digitaliser » de la même manière selon qu’il s’agit d’augmenter la rentabilité de l’entreprise, ou d’amélioration l’expérience client ou collaborateur. La finalité (le « pour quoi ») impacte le choix des projets, mais également la manière de les exécuter et de les piloter. De ce point de vue, nous estimons, chez Aneo que les grands débats de ces dernières années sur les organisations et le mode de management (entreprise libérée, etc.) sont devenus parfois dogmatiques et qu’ils ont un peu éclipsé la réalité des enjeux des entreprises.
Il existe une infinité de possibilités de structurer une entreprise en fonction de son identité, de sa culture, de son marché, de son activité, de sa nationalité, etc. La clé de la performance va, alors, résider dans la cohérence de l’ensemble. Pour autant, vouloir sacrifier toute incohérence sur l’autel de la performance deviendrait aussi dogmatique et déshumanisant. En réalité, une incohérence est un signe porteur de sens qu’il faut observer et prendre le temps de comprendre. C’est aussi et souvent une porte qui peut s’ouvrir sur une innovation.
Y a-t-il un timing optimal en matière de transformation digitale ?
Le sujet du timing est directement lié à la nécessaire prise de recul (encore plus dans cette période de crise) afin de vérifier que l’entreprise est alignée avec ses intentions de départ, mais aussi, que la direction prise est toujours pertinente. Ces deux aspects sont trop souvent ignorés car il faut respecter le planning, les budgets … Une fois de plus, on peut perdre le sens, le bon sens. Vaut-il mieux s’arrêter afin de se réorienter ou tenir ses délais, mais être à côté de son marché ? Notre économie va vite, très vite, et les paramètres changent très rapidement. Un plan d’entreprise (ou une feuille de route) est souvent construit pour 3 ou 5 ans. Sa réactualisation ne doit pas être simplement de traiter les paramètres qui la ralentissent ou l’accélèrent. Il faut la repenser en permanence, la reconstruire, la challenger et l’adapter. C’est cela la réelle agilité. Et c’est probablement là que nos systèmes managériaux et organisationnels actuels montrent leurs limites. Il reste en la matière beaucoup à inventer et c’est une bonne nouvelle. Boileau disait : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » une maxime que nous aimons bien chez Aneo.
