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GOUVERNER L’ENTREPRISE ET L’INFORMATIQUE DANS UN ÉTAT DE CRISE PERMANENT

GOUVERNER L'ENTREPRISE ET L’INFORMATIQUE DANS UN ÉTAT DE CRISE PERMANENT
Lionel BOUR et Sébastien DELCROS, co-fondateurs du cabinet Nexen Partners

Les méthodes qui permettaient hier aux directions d’anticiper le futur et d’y préparer leurs entreprises sont appelées à se transformer. La Covid-19 a permis à tous cette prise de conscience : les crises se diversifient, s’ajoutent les unes aux autres et frappent sans prévenir. La conscience environnementale se popularise, les attentes des employés évoluent, et les cyber-attaques se multiplient. L’ubérisation et les investissements massifs des géants du numérique bousculent les paysages concurrentiels de secteurs bien établis. Afin de prendre de la hauteur, nous avons échangé avec Lionel BOUR et Sébastien DELCROS, co-fondateurs du cabinet Nexen Partners. Ils nous partagent une vision des directions à prendre pour garder le cap et avancer sereinement dans un monde en crise perpétuelle.

 

Quels impacts ont les défis d’aujourd’hui et de demain sur une Direction Générale ?

La réactivité et la flexibilité, usuellement propres aux gestions de crise, deviennent le quotidien. L’enjeu n’est plus seulement d’anticiper les nouvelles concurrences, les évolutions du métier et les innovations technologiques, mais de réagir constamment et efficacement aux ruptures et aux imprévus. Miser sur des ROI trop longs se révèle une stratégie périlleuse, car une crise, plus que probable, risque de chambouler la pertinence de ces investissements ou le gain attendu. Aujourd’hui, la stabilité est vraiment l’exception. Pour accompagner un changement devenu permanent, les précurseurs se mettent en capacité de réviser continuellement les objectifs, les priorités, et les modes de fonctionnement de leurs entreprises, sous peine d’être dépassés.

 

Comment relever ces défis ?

Prévoir et se préparer aux catastrophes en amont ne suffit plus. L’entreprise doit repenser son modèle, afin d’être souple, vive, efficace et surtout modulaire. C’est-à-dire s’aménager des moyens efficients de modifier sa trajectoire lorsque ces scénarios se produisent. Par exemple, en gelant les activités non rentables ou en abandonnant des initiatives infructueuses, mais aussi en accélérant les chantiers critiques ou en exploitant de nouvelles opportunités. 

La recherche de cette modularité impose tout d’abord aux directions de formuler et de partager clairement les enjeux stratégiques, les objectifs à atteindre et les priorités. Ainsi, chacun s’approprie la feuille de route : un changement d’itinéraire soudain est d’autant plus facile à entreprendre. Ensuite, l’entreprise a besoin d’approfondir sa connaissance d’elle-même, pour prendre rapidement des décisions éclairées en situation de crise. Cette vision introspective passe par la maîtrise de ses données, des KPI qui l’informent sur l’état de santé réel de son cœur d’activité : des modèles de coûts aux performances de ses branches. L’entreprise modulaire peut alors décliner opérationnellement les leviers à actionner pour développer sa résilience aux crises. Par exemple, remobiliser ses équipes à la volée pour se prémunir de risques immédiats, notamment des cyber-attaques. 

En consolidant à différents niveaux des données fiables et concrètes sur chacune des briques qui compose l’entreprise, la direction se donne la possibilité de décliner et de moduler efficacement sa stratégie globale pour réagir à son environnement. 

 

 

Concrètement, comment se traduit ce virage stratégique pour les directions informatiques ? 

L’informatique doit pouvoir réaligner rapidement ses investissements sur les feuilles de route des métiers. Cette modularité a deux prérequis : une compréhension pointue de ses coûts (par utilisateur, par application, par branche, par métier, etc.), et un modèle de dépenses souple. Ainsi, les DSI privilégiant le paiement à l’usage se donnent la capacité de réallouer leurs dépenses aux nouvelles priorités. Il devient possible d’arrêter une application dont le coût de fonctionnement excède soudainement l’utilité, ou de désactiver les outils informatiques des salariés en chômage partiel. La transition vers le Cloud est l’un des principaux vecteurs de cette flexibilité, ce qui explique en partie son attrait.

Les projets informatiques généralisent une démarche agile qui produit des itérations courtes et apporteuses de valeur. Nous étendons progressivement cette approche en concevant le produit minimum viable (MVP) et l’architecture des solutions pour pouvoir interrompre le projet avec un minimum de pertes. La tendance est encore plus marquée sur les projets d’innovation : à l’image des leaders de la Silicon Valley, les entreprises de toutes tailles s’organisent en petites équipes, très qualifiées et très agiles, pour valider des concepts. Pour se libérer de contraintes structurelles, certaines vont jusqu’à externaliser ces missions par le biais de partenariats ou de filiales. 

La modularité transforme également l’approche de la cybersécurité. Maintenir un socle solide et sain reste indispensable pour réduire la probabilité d’occurrence d’un risque. L’informatique et le métier doivent en plus identifier les processus critiques de l’entreprise et investir davantage pour les sécuriser. Malgré ces efforts, le risque zéro n’existe pas : il faut partir du principe que le scénario catastrophe va se produire. Définir et tester régulièrement un mode de fonctionnement dégradé garantit une bonne réactivité : les équipes savent ce qui doit être abandonné en cas de crise pour se concentrer sur l’essentiel.

 

 

Comment piloter une informatique modulaire dans ce contexte ?

Nous adaptons tout simplement la forme du schéma directeur SI. La finalité reste la même : lister et ordonner les chantiers à engager en assurant la cohérence du SI. Auparavant, des schémas directeurs rigides cadençaient ce portefeuille de projets informatiques sur cinq ans. Aujourd’hui, il faudrait les réviser tous les trois mois en fonction des événements extérieurs. Le nouvel enjeu consiste donc à regrouper les grappes de projets informatiques et leurs valeurs ajoutées pour le métier. Avec cette maîtrise des dépendances, la DSI explicite les chemins de projets nécessaires à la mise en service de nouvelles fonctionnalités. Elle se met ainsi en capacité de débrayer et d’intervertir rapidement les chantiers pour répondre au mieux aux priorités du moment. 

Si elle ne fixe plus sa feuille de route sur plusieurs années, la DSI ne se limite pas à une posture réactive. Elle se prépare en régissant le périmètre technologique de l’entreprise et en dessinant des stratégies de « petits pas ». Elle se rapproche des directions métiers qu’elle accompagne et aide continuellement à identifier la prochaine étape. 

Devenir modulaire, c’est aussi adapter sa culture d’entreprise. L’arrêt brusque d’une application ou d’un projet en cours peut démotiver les équipes ou générer des frustrations. La remobilisation soudaine des collaborateurs autour d’un nouveau sujet peut perturber et impacter la productivité. L’appropriation de la stratégie de l’entreprise par le middle management est essentielle pour assurer l’adhésion des équipes ; elle permet de concentrer et de coordonner les efforts de tous vers un nouvel objectif commun. 

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